La Polynésie française présente des singularités institutionnelles, politiques et géographiques qu'il est parfois difficile de se représenter depuis l'Hexagone.Parce que notre République doit être la même pour tous, il nous faut pourtant prendre en compte ces singularités pour corriger les contraintes exceptionnelles que rencontrent certains territoires, à l'instar de la Polynésie.
La commission des Lois s'est engagée dans cette voie en envoyant en Polynésie, au mois de février 2015, une mission conduite par notre ancien président, M. Jean-Jacques Urvoas, dont l'objet était de mieux comprendre la situation et les caractéristiques particulières de ce territoire très isolé et très éclaté.
Je rappelle que la Polynésie est une collectivité autonome qui relève de l'article 74 de la Constitution. Elle regroupe 118 îles réparties sur une surface grande comme l'Europe. Son activité économique repose essentiellement sur ses ressources primaires et sur le tourisme. C'est une collectivité de 270 000 habitants, qui a subi une dizaine d'années d'instabilité politique mais a réussi, depuis 2013, à redresser ses comptes publics et à regagner la confiance des bailleurs de fonds. En moins de deux ans, la commande publique a ainsi été doublée, et nous avons réorienté les investissements vers les secteurs prioritaires que constituent le tourisme et le logement social. Nous récoltons cette année les fruits de cet effort après avoir perdu près de dix points de PIB et avoir dû, en 2013, augmenter la pression fiscale de près de dix points également.
Si je suis heureuse de pouvoir annoncer que nous avons retrouvé le chemin de la croissance, il faut avoir conscience que ce résultat doit beaucoup au retour de la stabilité politique. Cependant, compte tenu de l'éclatement géographique du territoire, on comprend aisément à quel point les collectivités locales sont un relais essentiel ; elles sont, pour la collectivité territoriale, des partenaires de premier plan. Or les nombreuses réformes intervenues au cours des dernières années ont pu déstabiliser ces communes. D'où la nécessité de moderniser les règles qui leur sont applicables.
Dans ce contexte, cette proposition de loi, déposée le 4 mai dernier par Mme Lana Tetuanui, sénatrice de Polynésie, qui reprend notamment les travaux du Syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française (SPCPF), a été adoptée par le Sénat le 30 juin dernier. Elle vise, d'une part, à permettre aux élus de représenter leur territoire dans de meilleures conditions et, d'autre part, à moderniser l'action publique.
L'une des caractéristiques de la Polynésie est qu'elle comporte 48 communes de plein exercice et 98 autres communes qui leur sont associées. Ces communes associées offrent des cas de figure très variés : dans certains cas, plusieurs communes sont situées dans une même île – par exemple, à Tahiti ou à Raiatea ; dans d'autres cas, une commune est formée de plusieurs îles – c'est le cas dans une partie de l'archipel des Gambier ; dans d'autres cas encore, plusieurs îles constituent une seule commune, mais avec des communes associées comme Rangiroa avec Makatea, Mataiva et Tikehau.
Si cette spécificité tient au caractère archipélagique du territoire, des tensions sont apparues lors des dernières élections municipales du fait du mode de scrutin retenu, qui conduisait à accorder toute latitude au maire pour choisir celui de la commune associée, y compris au sein de la minorité politique des conseillers locaux. La légitimité des maires délégués ainsi élus en a été fortement affaiblie.
Par conséquent, ce régime électoral est remplacé, à l'article 1er, par un mode de scrutin plus respectueux des votes exprimés sur les territoires, tout en garantissant la possibilité de constituer des majorités stables.
D'autres mesures sont également prévues en ce qui concerne les modalités d'élection des maires délégués et le traitement indemnitaire – à coût constant, je le précise.
Par ailleurs, afin de tenir compte de l'éloignement géographique de certaines communes associées de leur chef-lieu et des conséquences en termes de coût et de durée des déplacements entre communes, trois mesures spécifiques sont prévues. D'abord le recours à la visioconférence pour réunir le conseil municipal : il s'agit d'une « mesure pilote », qui pourrait être observée de près pour envisager une application dans l'Hexagone pour les territoires les plus isolés. Ensuite, la possibilité pour les EPCI comportant des communes membres dispersées sur plusieurs îles de fixer leur siège en dehors de leur territoire : vous savez qu'en métropole il est parfois plus simple et plus rapide de passer par Paris pour se rendre de Bordeaux à Montpellier ; à l'échelle de la Polynésie, il s'agirait plutôt de rallier Venise depuis Madrid, via Oslo ! Les petites communes associées ont donc intérêt à avoir un siège à Papeete, qui offre des capacités en termes d'infrastructures et de connectivité sans commune mesure avec des îlots dispersés sur une surface grande comme l'Europe. En troisième lieu enfin, a été décidée la prise en charge des frais de déplacement de certains élus intercommunaux, ce qui va dans le sens de ce que j'avais défendu, l'an dernier, lors du débat sur le texte relatif à la formation des élus.
Je salue l'ensemble de ces mesures, qui amélioreront sans conteste le travail des élus locaux. Je souligne à cette occasion que la dématérialisation des listes électorales est également en cours dans notre territoire et qu'elle devrait faciliter l'organisation des prochaines élections.
En ce qui concerne l'action publique, deux mesures principales peuvent être rappelées : les communes polynésiennes pourront désormais créer des sociétés publiques locales (SPL), ce qui n'était pas encore le cas en Polynésie, tandis que les règles encadrant la passation des marchés publics sont clarifiées. En effet, la Polynésie étant compétente en matière de droit des marchés publics, il était complexe pour les communes, soumises au contrôle de légalité de l'État, d'appliquer un droit qui soit également conforme à la réglementation locale. Nous avons donc souhaité que soient précisées et harmonisées les compétences des communes en matière de marchés publics.
Enfin, ce texte comporte également des dispositions relatives aux cimetières et aux opérations funéraires, qui prennent en compte les traditions locales et adaptent, par exemple, l'obligation de disposer de sites cinéraires.
Au cours de son examen par le Sénat – et je souhaite saluer ici le travail réalisé par le rapporteur Mathieu Darnaud – deux nouveaux articles ont été adoptés prévoyant, pour le premier, l'application aux élus communaux polynésiens du dispositif du droit individuel à la formation, consacré par la loi du 31 mars 2015. Les élus polynésiens doivent en effet bénéficier des mêmes droits que ceux de l'Hexagone.
Quant au second article, il étend à la Polynésie française les dispositions permettant de repousser au 1er janvier 2020 les modifications apportées par la loi NOTRe au régime indemnitaire des élus de certains syndicats de communes.
Compte tenu de l'important travail de concertation réalisé au préalable, en Polynésie, avec le Gouvernement et les différents groupes politiques, et au regard des aménagements bienvenus opérés par le Sénat, je souhaite que la présente proposition de loi puisse faire l'objet d'une adoption conforme – et, je l'espère, à l'unanimité – par notre Commission.