Cette proposition de loi du groupe de l'Union des démocrates et indépendants poursuit un objectif simple et clair : assurer le respect de la liberté du commerce et de l'industrie aux commerçants indépendants qui exercent leur activité dans un centre commercial – sachant que, par liberté du commerce, il faut entendre ici le fait de ne pas être obligé d'avoir une activité commerciale quand on ne le veut pas.
Les centres commerciaux réunissent de grandes enseignes nationales, qui servent de « locomotives », et des commerçants indépendants. Ces commerces ont pris l'habitude de se rassembler au sein de groupements d'intérêt économique (GIE) pour élaborer une politique commune d'aménagement et d'animation et en partager les frais.
En adhérant à un GIE, généralement lorsqu'il signe son bail, le commerçant souscrit à différentes obligations, contreparties du principe de solidarité qui permet le bon fonctionnement de ces centres. Il s'engage par exemple, sous peine de pénalités financières, à respecter des horaires d'ouverture communs à l'ensemble des commerces du centre : on n'imagine pas un centre commercial où certains commerces ouvriraient à neuf heures, d'autres à onze heures, d'autres à quatorze heures, etc. On comprend qu'il soit bénéfique pour tout le monde que l'ensemble des enseignes soient ouvertes au même moment : le centre commercial gagne ainsi en attractivité.
Mais nous sommes confrontés à un nouveau problème : le cas des GIE qui imposent, dans leur règlement intérieur, l'ouverture les dimanches et jours fériés. Cela ne créait pas vraiment de difficulté jusqu'à ce que le nombre de jours concernés soit porté de cinq à douze par an. En effet, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron », le maire peut, après avis du conseil municipal, autoriser l'ouverture des commerces douze dimanches par an, contre cinq auparavant. Ces douze jours peuvent inclure, dans la limite de trois, des jours fériés, à l'exception du 1er mai, obligatoirement chômé.
Les grandes enseignes ont naturellement souhaité tirer pleinement profit de cette possibilité nouvelle ; mais elles l'ont également imposée, par l'intermédiaire des GIE, aux commerces indépendants faisant partie du même centre commercial. Ces derniers, qui n'avaient pas l'habitude d'ouvrir plusieurs dimanches ou jours fériés, s'y trouvent désormais contraints par le règlement de leur GIE, quand bien même ils n'y auraient pas intérêt, quand bien même ils y perdraient de l'argent, quand bien même leur personnel ne serait pas d'accord.
Le cas le plus emblématique est celui d'un restaurateur du centre commercial Grand Var qui a refusé d'ouvrir le 14 juillet, jugeant qu'il n'aurait pas de clients et constatant que son personnel ne souhaitait pas travailler ce jour-là, et qui s'est vu imposer par son GIE une pénalité financière absurde de 186 000 euros, soit la moitié de son chiffre d'affaires annuel ! Le buzz médiatique a obligé le GIE à revenir à de meilleurs sentiments, mais l'exemple montre qu'un GIE où les grandes surfaces sont majoritaires peut faire pression sur des commerçants indépendants dont la situation est naturellement plus fragile.
Si cette pénalité a finalement été annulée, de nombreux cas comparables ont été recensés dans toute la France. La Confédération des commerçants de France, qui a apporté son soutien à ce restaurateur, nous a dit estimer à plusieurs dizaines, sans doute une centaine, le nombre de commerçants dans la même situation. Les pénalités sont moindres mais tout de même conséquentes, de 3 000 à 20 000 ou 30 000 euros. Ce genre de conflits se développe donc, sans compter ceux qui ne sont pas signalés parce que le commerçant, prévenu par le GIE qu'il risque une amende, renonce de lui-même à sa liberté de commerce.
Que faire ?
D'abord, décider, comme l'a déjà fait à plusieurs reprises notre Parlement, que les jours fériés et les dimanches ne sont pas des jours comme les autres. Dès lors, le règlement des GIE ne peut pas s'appliquer avec la même force et prévoir les mêmes pénalités ces jours-là que les autres jours. Tel est l'objet de la proposition de loi.
Au cours de la phase d'auditions, les représentants du Conseil national des centres commerciaux (CNCC) m'ont dit qu'il était inutile de légiférer – c'était sans doute prévisible – puisque le commerçant, ayant signé un contrat, sait ce à quoi il s'est engagé et doit en assumer les conséquences. J'observe tout de même que les commerçants en question ne se sont jamais engagés à ouvrir douze dimanches par an et certains jours fériés alors que cela leur fait perdre de l'argent ! Le CNCC affirme que les intérêts du gestionnaire du centre commercial et des petits commerces convergent ; ce n'est pas l'avis de nombre de petits commerçants. Toujours selon le CNCC, le centre commercial n'aurait pas intérêt à ce qu'un petit commerçant ouvre à perte ou paie des pénalités financières qui mettraient en péril son activité. Mais, la plupart du temps, les gestionnaires des centres commerciaux sont choisis par la majorité au sein du centre commercial, constituée des grandes enseignes, parfois rassemblées.
La réalité est donc bien différente de ce que nous avons pu entendre. Les nombreux cas que j'ai évoqués témoignent de l'inégalité du rapport de forces : c'est « le pot de terre contre le pot de fer », selon l'expression du vice-président de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CTFC), M. Joseph Thouvenel, que nous avons également entendu.
Les règles de majorité au sein des GIE sont telles que ce sont presque toujours les grandes enseignes nationales qui décident in fine quand ouvrir, contre l'avis des petits commerces, notamment parce que les dates choisies ne sont pas celles qui semblent aux petits commerçants les plus avantageuses. En effet, les grandes enseignes sont souvent soumises à une stratégie publicitaire nationale qui impose l'ouverture même si les petits commerçants ne sont pas d'accord. On aurait pu envisager de revoir ces règles ; plusieurs représentants l'ont demandé au cours des auditions. Mais, selon votre rapporteur, ce serait ouvrir « la boîte de Pandore » : cela supposerait par exemple de modifier les règles fixant la répartition des charges ou le montant des loyers ; de manière générale, cela créerait bien plus de difficultés que la proposition qui vous est soumise.
Son principe, très simple, résout le problème en rétablissant l'équilibre dans les rapports entre les grandes surfaces et les commerçants indépendants des centres commerciaux. Il s'agit d'interdire dans les règlements des GIE – qui contiennent déjà plusieurs clauses d'exclusion – toute clause qui imposerait aux commerçants d'ouvrir les dimanches et jours fériés. Voilà qui prend acte du fait que ces jours ne sont pas des jours comme les autres ; qui contraindra les grandes enseignes à discuter davantage d'égal à égal, donc plus réellement, avec les indépendants ; qui rappelle le principe de liberté du commerce et de l'industrie, principe constitutionnel, sous la forme de la liberté d'entreprendre, depuis 1982.
À l'heure actuelle, si un cas de ce type était porté en justice, il pourrait donner lieu à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). En effet, la liberté du commerce, ce n'est pas l'obligation de commercer, et un commerçant pourrait assez facilement faire valoir ce droit constitutionnel fondamental.
Mon idée, née des auditions, est également d'exclure de ce dispositif, par voie d'amendement, les zones touristiques internationales et les zones commerciales, dont l'objet même, selon la « loi Macron », est d'être ouvertes toute l'année.
Je souhaite que, par cette proposition de loi, nous comblions un vide juridique né de la « loi Macron » et fournissions aux commerçants indépendants un moyen de s'opposer au bon vouloir des grandes enseignes et d'exercer librement leur activité. S'il convient d'homogénéiser l'activité au sein du centre commercial le reste du temps, les dimanches et les jours fériés doivent faire l'objet d'un traitement spécifique et l'avis des commerçants – des chefs d'entreprise – et des salariés doit être pris en considération. On pourrait m'objecter que, dans la « loi Macron », l'avis des salariés est censé être requis ; mais ce n'est pas le cas lorsque des conventions collectives prévoient le contraire, notamment dans la restauration, où les salariés sont tenus de travailler en fonction des besoins de l'entreprise. Le dispositif proposé résoudrait les conflits et résorberait les inégalités sans déstabiliser par ailleurs le fonctionnement global des GIE.
Nous qui avons tous, malheureusement sans doute, l'occasion de fréquenter des centres commerciaux savons que, même lorsqu'une opération promotionnelle exceptionnelle y est organisée, c'est d'abord pour la grande enseigne nationale que les clients s'y rendent le dimanche, et non en espérant se procurer tout ce qu'ils trouvent habituellement dans la galerie.
Pour ces raisons, j'espère que la proposition de loi recueillera votre assentiment.