Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Réunion du 16 novembre 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde, rapporteur :

Non : la loi – la partie législative du code de commerce – limite déjà les dispositions contractuelles qui régissent un GIE, le législateur ayant considéré par le passé, dans sa grande sagesse, que l'on ne pouvait pas donner libre cours à la liberté contractuelle dans ces centres commerciaux. Cela n'a d'ailleurs pas posé de problème au Conseil constitutionnel. J'irais même jusqu'à dire que, si nous ne votons pas le texte, le Conseil constitutionnel n'aura jamais à en connaître ; en revanche, dans cette hypothèse, il sera inévitablement confronté à une QPC.

Le commerçant dont j'ai cité l'exemple, qui était manifestement décidé à aller jusqu'au bout, a fait le buzz dans les médias et son avocat a commencé à engager certaines démarches, qui pouvaient inclure le dépôt d'une QPC. Les centres commerciaux, qui se connaissent et se regroupent, savaient que, juridiquement, ils allaient à l'encontre d'un principe constitutionnel : la liberté du commerce, laquelle ne peut devenir une obligation de commercer – pour des raisons qui ont été négligées par l'étude d'impact de la « loi Macron ». Je n'imagine pas le Conseil constitutionnel déclarer un jour qu'il existe une obligation de commercer en dehors d'un cadre raisonnable pour un centre commercial : dans la semaine, aux heures d'activité normales.

Il ne faudrait pas que l'Assemblée nationale donne l'impression de protéger les grandes enseignes sous prétexte que le Conseil constitutionnel ne se prononcerait pas. Si d'aventure une difficulté se posait, il pourrait se prononcer, et je ne vois pas pourquoi la restriction que nous proposons serait moins légitime que les autres restrictions prévues par le code de commerce.

Monsieur Molac, je vous assure que je n'avais pas du tout l'intention de rouvrir le débat sur le travail du dimanche. Le vice-président de la CFTC m'a tenu des propos similaires aux vôtres et à ceux de M. Bompard ou de Mme Zimmermann. Mais nous avons déjà eu cet important débat, au cours duquel les positions ont pu évoluer ou se figer. Le problème que je veux soulever aujourd'hui est la faille que nous avons alors laissé subsister et qui me paraît aisée à résorber ; non en modifiant les règles de décision au sein des GIE, ce qui entraînerait des problèmes nombreux et complexes, mais en excluant les dimanches et jours fériés parce que nous les jugeons différents des autres jours de la semaine. C'est précisément pour ces raisons que M. Bompard soutient notre proposition de loi : parce que ces jours-là ne doivent pas être considérés comme normaux.

Il s'agit aussi de rétablir l'équilibre au profit du droit du commerçant et de celui de ses salariés lorsqu'il existe des conventions collectives qui obligent ces derniers à travailler à la demande de l'employeur.

Quelle est en effet la situation ? Un GIE décide d'un jour d'ouverture dans un centre commercial. Ceux des commerces qui sont régis par des conventions collectives ne prévoyant pas l'obligation pour les salariés de travailler quand l'employeur le leur demande seront fermés puisque, aux termes de la loi, celui-ci doit recueillir l'accord écrit des salariés pour pouvoir ouvrir. En revanche, lorsque les conventions collectives prévoient cette obligation, cet accord n'est plus nécessaire et les salariés sont obligés de travailler, au risque sinon de rompre leur contrat de travail. Dans un tel cas, un GIE peut alors obliger un commerçant à ouvrir malgré lui, en le menaçant, s'il refuse, de lui infliger des pénalités qui, exorbitantes ou non, porteront atteinte à son commerce. Cela revient finalement à faire travailler des salariés et un commerçant à perte au bénéfice d'une grande enseigne sans même que nous ayons créé les conditions de la concertation. Disons les choses simplement : aucun commerçant en France ne refusera d'ouvrir s'il a la possibilité de faire des affaires. C'est logique dès lors que la survie de son entreprise est en jeu. Et peu de salariés refuseraient de travailler dans un tel contexte, surtout dans un centre commercial !

Je vous remercie de votre soutien, monsieur Morel-A-L'Huissier. Non, il n'y a pas de jurisprudence en la matière et pour une raison qui devrait nous troubler : jamais un commerçant n'est allé au bout du rapport de force. La seule fois où cela s'est produit, c'est au Grand Var. Ce centre commercial, qui a voulu infliger au commerçant récalcitrant une pénalité fixée dans un premier temps à 186 000 euros puis ramenée à quelque 10 000 euros, a en effet reculé devant la détermination du commerçant à saisir le Conseil constitutionnel : il savait que cette procédure ne tenait pas la route et qu'il risquait de déstabiliser tout le reste de l'édifice.

Je reconnais bien volontiers, chers collègues, ne pas avoir la capacité de faire une étude d'impact. Mais nous n'en avons pas eu non plus s'agissant de l'excellente proposition de loi de Maina Sage que nous venons d'adopter à l'unanimité. Or, il est plus difficile d'évaluer l'impact d'un texte sur la Polynésie française que celui de dispositions visant à interdire d'imposer la loi du plus fort en matière de travail le dimanche et les jours fériés. Ma proposition n'aura aucun autre effet sur les centres commerciaux. J'ai évacué tous les autres aspects du problème afin précisément de trouver une solution.

Encore une fois, il n'y a pas de jurisprudence parce que les commerçants ne peuvent pas aller au bout de la procédure. Je reprendrai ici l'exemple d'un buraliste dont le commerce est en équilibre économique précaire, compte tenu des loyers élevés qu'il a à payer dans un centre commercial et de la faiblesse des commissions qu'il perçoit sur ce qu'il vend au nom de l'État. Si on le menace de devoir payer ne serait-ce que 3 000 euros de pénalités, il abandonnera le combat et acceptera d'ouvrir contre son gré. Est-ce bien normal ? Imaginons maintenant que le commerçant se voie appliquer la pénalité, le fait qu'il saisisse les tribunaux lui fera courir un second risque, beaucoup plus insidieux : le non-renouvellement de son bail. La plupart des baux signés dans les centres commerciaux prévoient en effet l'obligation d'adhérer à un GIE ou, depuis peu, à une association – ce qui revient finalement au même en termes de procédure. Le commerçant qui saisit les tribunaux risque donc de ne pas pouvoir renouveler son bail. Dans le centre commercial du Grand Var, ce n'est pas un mais douze commerçants qui étaient confrontés au problème que j'ai évoqué. Si les onze autres n'ont pas engagé la moindre procédure, c'est notamment parce que le bail de deux d'entre eux était presque arrivé à son terme. L'Assemblée nationale doit-elle considérer le problème comme étranger à ses préoccupations et attendre avant de réagir – ce qui, entre nous, fait l'affaire de ces puissances commerciales ?

Madame Untermaier, il ressort d'un sondage réalisé par la CGPME, et ayant donné lieu à bien plus de réponses qu'habituellement, que, dans les centre commerciaux, 62 % des commerçants interrogés adhèrent à un GIE ou à une franchise. Mais leur contrat a changé : les commerces ont dû passer de cinq à douze ouvertures par an le dimanche, sans compter les jours fériés. Les commerçants pourraient certes formuler une demande reconventionnelle devant la justice mais encore une fois, ils courraient alors le risque de perdre leur bail, leur fonds de commerce, leur travail et leurs salariés. Vous imaginez bien que le rapport de force est inégal et que la crainte est plus grande chez celui qui a mis toute sa vie dans son commerce. C'est pourquoi je parlais de combat du pot de terre contre le pot de fer.

Le problème est-il réel ou anecdotique ? Je reconnais volontiers que les représentants des centres commerciaux le considèrent comme tel mais pas la CFTC qui s'est retrouvée avec des salariés obligés de travailler – même si elle est, de façon générale, opposée au travail le dimanche. La CGPME confirme, elle aussi, que le problème est bien réel : 23 % des commerçants des GIE sont indépendants ; pour 83 % des commerçants, les sanctions pécuniaires liées au non-respect des conditions d'ouverture et de fermeture sont excessives ; la liberté d'ouvrir ou de fermer son commerce les jours fériés n'est possible que pour 10 % des commerçants interrogés.

Le constat est suffisamment édifiant pour nous permettre d'avoir une opinion. Doit-on laisser perdurer une situation manifestement inéquitable, qui met en difficulté des salariés et des employeurs d'entreprises de taille modeste ? En définitive, nous ne visons qu'à sanctuariser le principe selon lequel le dimanche et les jours fériés doivent être considérés différemment des autres jours de l'année, et qu'à mettre sur un pied d'égalité les salariés qui sont obligés de travailler du fait de leur convention collective et ceux qui ne le sont pas. En pratique, le client entrera dans un centre commercial où certains commerces seront de toute façon fermés tandis que d'autres seront ouverts. Par conséquent, la grande surface ne pourra pas prétexter que la fermeture de certains commerces fera fuir le client. Et ce d'autant plus que ce n'est pas pour aller dans les petits commerces que les clients se rendent dans les centres commerciaux ouverts le dimanche à l'occasion d'opérations de promotion nationale menées par les grandes chaînes : il s'agit pour eux de bénéficier des différentes réductions ainsi proposées.

Je conclurai sur le cas du restaurateur varois : on lui demande d'ouvrir le 14 juillet un restaurant situé dans un centre commercial. Ne croyez-vous pas qu'à cette date, sur la Côte d'Azur, les gens auront plutôt tendance à aller manger au bord de la mer, à l'air libre et au soleil, plutôt que de s'enfermer dans un centre commercial ? Pourquoi obliger à commercer lorsqu'il n'y a pas de clients ? Certes, la grande surface a intérêt à faire venir des clients mais ceux-ci prendront leur repas ailleurs.

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