Monsieur le Président, mes chers collègues, le 4 mai dernier, en application de l'article 145 alinéa 7 du Règlement de l'Assemblée nationale, la commission des Lois nous a chargés, Guy Geoffroy et moi-même, de produire un rapport d'évaluation de la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel.
Je veux ici rappeler que c'est volontairement, du fait des délais judiciaires en la matière, que nous avons souhaité attendre quatre ans avant de réaliser cette évaluation, afin de disposer d'informations exploitables.
Je vous présenterai donc les principaux enseignements que nous retirons des vingt auditions que nous avons menées, avant de laisser Guy Geoffroy présenter nos recommandations.
Première loi adoptée sous ce quinquennat, la loi relative au harcèlement sexuel – dont j'ai eu l'honneur d'être votre rapporteure – a été votée à l'unanimité, suite à l'abrogation le 4 mai 2012 des dispositions antérieures par le Conseil constitutionnel. Considérant que les éléments constitutifs de l'infraction étaient insuffisamment définis, le Conseil les a censurées pour méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines.
La loi du 6 août 2012 rétablit donc le délit de harcèlement sexuel en le définissant selon deux cas de figure, afin de couvrir l'ensemble des situations rencontrées. En premier lieu, le harcèlement sexuel est défini comme « le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. » En outre, est assimilé au harcèlement sexuel ce que les associations nomment communément le « chantage sexuel », défini comme « le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. »
Les auteurs de ces deux infractions encourent deux ans de prison et 30 000 euros d'amende, une peine qui peut être portée à trois ans de prison et 45 000 euros d'amende en cas de circonstances aggravantes.
En outre et conformément au droit européen, cette loi établit que « toute distinction opérée entre les personnes parce qu'elles ont subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel » constitue désormais une discrimination punissable dans les mêmes conditions que les autres motifs de discrimination recensés à l'article 225-1 du code pénal. À l'initiative de notre assemblée, cette disposition a été étendue aux témoins afin de permettre la libération de la parole.
Enfin, la loi opère de nombreuses coordinations dans le code du travail et la loi du 13 juillet 1983 sur les fonctionnaires, afin d'y harmoniser les définitions du harcèlement sexuel. Là encore, à l'initiative de notre assemblée, plusieurs dispositions avaient été adoptées afin notamment d'inclure explicitement le harcèlement sexuel parmi les obligations de prévention de l'employeur, de rendre obligatoire l'affichage des dispositions légales sur les lieux de travail dans les mêmes conditions qu'en matière de droit des discriminations, et d'impliquer les partenaires sociaux. Ainsi, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) est compétent pour « proposer notamment des actions de prévention du harcèlement moral et du harcèlement sexuel » et les délégués du personnel peuvent désormais user de leur droit d'alerte lorsqu'ils ont connaissance de faits de harcèlement sexuel ou moral.
Quatre ans après l'adoption de cette loi, nous pouvons en dresser un constat en demi-teinte.
Tout d'abord, la qualité du travail législatif que nous avons accompli a été unanimement saluée par l'ensemble des personnes auditionnées. Le premier objectif, à savoir le rétablissement du délit, a été pleinement atteint. La Cour de cassation a ainsi estimé, dans un arrêt du 25 mai dernier, que l'article 222-33 est désormais « rédigé en des termes suffisamment clairs et précis pour que l'interprétation de ce texte, qui entre dans l'office du juge pénal, puisse se faire sans risque d'arbitraire. D'où il suit qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel. »
Suffisamment claire donc, mais aussi assez pertinente pour couvrir l'ensemble des situations rencontrées, selon les associations de défense des droits des femmes auditionnées. L'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) salue tout particulièrement le fait que cette définition soit centrée sur les conséquences pour les victimes, telles que l'atteinte à leur dignité en raison du caractère offensant ou humiliant des comportements visés.
Parmi les points positifs qu'il convient également de saluer et auxquels nos débats ont contribué, nous assistons à une véritable prise de conscience du phénomène et à une libération de la parole. Alors que 18 % des Français et 28 % des femmes déclarent avoir été victimes de faits de harcèlement sexuel, ils sont 78 % à estimer qu'il s'agit d'un phénomène répandu en France et 80 % à juger que notre société demeure trop laxiste sur cette question.
De nombreuses initiatives de libération de la parole ont vu le jour, notamment sur les réseaux sociaux. C'est le cas par exemple de sites de témoignages publiés par des journalistes ou des avocates. Plus près de nous, le site chaircollaboratrice.com recense les agissements sexistes dont témoignent des collaboratrices d'élus, notamment à l'Assemblée nationale et au Sénat. On peut enfin rappeler la publication du livre La Guerre invisible, qui a conduit le ministère de la Défense à mener une réflexion approfondie sur la prévention de ce phénomène dans les armées et qui a abouti à la création d'une plate-forme d'information, d'écoute et d'accompagnement des victimes, la cellule Thémis.
Pourtant, si les Français ont aujourd'hui conscience que ces faits sont répréhensibles et s'ils en parlent plus librement, ces évolutions ne se traduisent pas comptablement en matière de répression.
Selon les chiffres communiqués par la Chancellerie, environ un millier de procédures sont engagées chaque année depuis 2014 pour soixante-cinq condamnations, soit un taux de 6,5 %. Nous sommes ici face aux mêmes ordres de grandeur qu'avant 2012 alors même que la jurisprudence de la Cour de cassation devrait permettre d'incriminer davantage d'agissements : saluée pour sa qualité, elle a évolué pour fixer la frontière entre ce qui relève du harcèlement répréhensible et ce qui relève de la maladresse.
Pour expliquer ce constat, les associations comme les magistrats pointent la difficulté que représente la charge de la preuve qui, en matière pénale, repose sur le plaignant : les dossiers se résument bien souvent à « parole contre parole ». Ils déplorent également une faible sensibilisation des policiers et magistrats, dont le regard sur les faits de harcèlement n'a pas évolué de façon aussi nette qu'en matière de violences conjugales.
Nous constatons donc les mêmes difficultés que celles observées il y a quatre ans, à savoir une extrême lenteur des procédures et une prise en compte des plaintes qui n'intervient que lorsqu'elles émanent de plusieurs victimes.
Nous avions également constaté, à l'occasion de la décision du Conseil constitutionnel, qu'un grand nombre de procédures engagées pour harcèlement sexuel relevaient en réalité de l'agression sexuelle, voire de la tentative de viol. Je veux ici rappeler que l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui avait abouti à la censure a lui-même été finalement condamné pour agression sexuelle. Malgré l'effort volontariste des parquets pour permettre la requalification des infractions poursuivies en 2012, nos auditions semblent confirmer que des faits plus graves sont encore requalifiés en harcèlement sexuel.
En matière de prévention, si plusieurs administrations et collectivités ont pris des mesures qui mériteraient toutefois davantage de coordination et de partage des bonnes pratiques, nous regrettons le peu de plans de prévention adoptés dans les entreprises.
Selon une enquête de l'IFOP, seuls 18 % des actifs interrogés affirment que leur employeur a mis en place des actions sur leur lieu de travail. Ces actions sont concentrées sur quelques secteurs comme le transport, le commerce ou l'hôtellerie-restauration. À l'inverse, l'absence d'initiative est plus particulièrement soulignée dans les services, la finance, la communication ou l'immobilier. Il y a également une nette disparité entre les grandes entreprises, couvertes à 27 %, et les PME, qui ne sont que 9 % dans ce cas.
Avant la loi de 2012, nous avions constaté que si les employeurs considéraient le risque de harcèlement moral comme systémique, il n'en allait pas de même pour le harcèlement sexuel perçu comme le dérapage d'un individu isolé. J'avais pleinement assumé, en tant que rapporteure, la volonté de notre assemblée de considérer alors le harcèlement sexuel comme un risque « environnemental », favorisé par certaines cultures professionnelles. L'exemple de l'armée nous a donné raison et 90 % des Français considèrent aujourd'hui que c'est à l'employeur de prévenir le harcèlement sexuel.
Toutefois, cette lecture reste fortement contestée par les entreprises, comme l'a montré notre audition du MEDEF. On peut bien sûr comprendre que ses responsables soient dans leur rôle en contestant les contraintes que représente l'obligation de prévention. Mais leur témoignage a soulevé un problème plus grave de banalisation des faits de harcèlement, qu'ils attribuent à une « culture latine » et au fait qu'« il n'est pas souhaitable d'appliquer chez nous des idées relevant directement d'une conception anglo-saxonne des relations entre les hommes et les femmes ».
En conclusion, je voudrais donc contester cette confusion régulièrement opérée entre ce qui relèverait d'une séduction que nous n'avons jamais souhaité incriminer et le harcèlement que nous définissons très clairement par sa dimension d'atteinte à la dignité des personnes. Les chiffres que j'ai évoqués montrent que nous sommes loin, très loin d'une criminalisation des relations hommes-femmes. L'enjeu principal reste donc toujours pour nous de faire évoluer les mentalités pour que la frontière entre ce qui est répréhensible et ce qui ne l'est pas s'impose plus clairement à chacune et à chacun, et pour que les professionnels se saisissent des définitions et outils mis en place par cette loi.