Je partage totalement les propos de Pascale Crozon. Nous avons mené ensemble un travail indispensable, qui a pris place dans un calendrier pertinent. Laisser passer quatre ans pour évaluer la loi pourrait paraître beaucoup. En réalité, ce laps de temps a permis de mieux observer la mise en place des dispositions et leur application. Nous avons constaté que les esprits avaient commencé à évoluer mais trop lentement. Le harcèlement sexuel fait partie de ces sujets sur lesquels notre société veut, légitimement, prendre du temps pour changer. L'impact de la loi reste pour l'instant limité mais nous pensons qu'il y aura un progrès inexorable en ce domaine.
J'en viens à nos treize propositions et leurs différentes cibles.
La première série de propositions entend améliorer, dans le cadre législatif existant, les moyens de la mise en oeuvre des dispositions de la loi de 2012.
La première proposition vise à mieux faire connaître aux victimes de harcèlement sexuel la possibilité de saisir le Défenseur des droits ou d'être accompagnées par les associations de lutte contre les violences sexuelles dont les moyens doivent être garantis par les pouvoirs publics. Nous suggérons également que soit menée une réflexion sur l'extension aux victimes de harcèlement sexuel du bénéfice de l'aide juridictionnelle sans condition de ressources.
La deuxième proposition consiste à développer la formation sur le harcèlement sexuel au sein des formations mises en place dans le cadre de la loi du 4 août 2014, qui pose une obligation de formation initiale et continue sur les violences faites aux femmes. Je précise ici que Sébastien Denaja et moi-même présenterons bientôt devant le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) un rapport relatif à la consultation citoyenne qu'a engagée l'Assemblée sur la politique publique en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes.
La troisième proposition prévoit de mettre en place une nouvelle campagne d'information et de sensibilisation sur le harcèlement sexuel. Nous constatons avec satisfaction que les grandes campagnes nationales menées sur les thématiques de cette ampleur sont généralement bien conçues et portent leurs fruits, même si c'est pendant un temps que nous estimons encore trop limité. Elles finissent par imprimer dans l'esprit de nos concitoyens la nécessité de considérer ces questions comme étant au coeur de l'éthique républicaine.
Une deuxième série de propositions cible la sensibilisation.
La proposition n° 9 prévoit d'inciter les partenaires sociaux et les branches professionnelles à engager des démarches d'information et de sensibilisation des entreprises. L'audition, que je qualifierai d'« intéressante », des représentants des branches professionnelles – MEDEF et CGPME – nous a appris que c'était surtout dans le tissu des petites et moyennes entreprises que la prise de conscience des organisations représentatives était la plus forte et qu'un pragmatisme en action s'y manifestait. L'évolution est sans doute plus difficile dans les entreprises de taille plus importante. Cela ne rend pas moins indispensable une sensibilisation de toutes les entreprises qui doivent assumer leurs devoirs d'information et leurs obligations légales de prévention.
La proposition n° 10 vise à mettre en place un guide pratique pour les CHSCT et les représentants du personnel, quelle que soit la nature, publique ou privée, de l'employeur.
Quant à la proposition n° 11, elle incite à diffuser les bonnes pratiques et les actions engagées dans certaines entreprises, à travers la mise en place de référents, de séances de formation des cadres et la diffusion de documents d'information à destination des salariés.
Nous avons été très favorablement impressionnés par les excellents résultats de la cellule Thémis mise en place au sein du ministère de la Défense et nous souhaitons – proposition n° 12 – que la fonction publique développe, à chacun de ses échelons, des dispositifs spécifiques.
Une troisième série de propositions relève d'une proposition de loi que nous comptons Pascale Crozon et moi-même vous soumettre dans les semaines qui viennent. Comme une chronique très intéressante d'une grande radio périphérique le soulignait ce matin, si la loi du 6 août 2012 ne suffit pas en elle-même pour tout régler, elle a au moins le mérite d'exister. Il est indispensable d'inscrire dans la loi les éléments fondateurs de notre pacte social. Toute la question est ensuite de faire respecter les obligations qui y sont liées. Cette loi est bonne, cela nous a été dit et je le confirme. Elle mérite quelques prolongements.
La proposition n° 4 vise à permettre l'allongement du délai de prescription de l'action publique pour le délit de harcèlement sexuel, ce que rendra possible l'adoption définitive de la proposition de loi de Georges Fenech et Alain Tourret sur la réforme des délais de prescription.
Par la proposition n° 5, nous préconisons de porter de six à douze mois de salaire l'indemnité « plancher » versée à un salarié licencié en raison d'un motif discriminatoire ou à la suite de harcèlement sexuel.
C'est la proposition n° 6 qui intéressera le plus certains « observateurs », dirai-je pour ne pas être plus précis : elle entend développer les peines complémentaires notamment, les peines d'affichage, de publication, d'inéligibilité et les privations de droits civiques.
La proposition n° 7 suggère de mener une réflexion sur la définition de la dénonciation calomnieuse figurant dans l'article 226-10 du code pénal. Il s'agit d'une matière où la charge de la preuve est toujours délicate à apporter. Il n'est pas rare que des personnes qui sont, selon toute vraisemblance, coupables sortent du tribunal sans condamnation, faute d'éléments probants suffisants. Et le retour de bâton peut se traduire par l'accusation de dénonciation calomnieuse portée à l'encontre de la victime. Nous avons, dans la loi du 9 juillet 2010 sur les violences faites aux femmes, apporté une réponse pour éviter ce risque qui expose les victimes à subir une double peine. Il faudra sans doute nous pencher sur une nouvelle rédaction d'une partie de l'article 226-10 afin de faciliter plus encore la libération de la parole.
Pour la proposition n° 8, nous hésitons entre domaine législatif et domaine réglementaire. Nous penchons toutefois pour le domaine législatif, compte tenu de la spécificité du secteur d'activité concerné : l'enseignement supérieur, domaine où les relations entre hommes et femmes sont assez sensibles. Nous préconisons de réformer la procédure disciplinaire applicable en cas de harcèlement sexuel, en permettant au plaignant de saisir directement la section disciplinaire et de faire appel de la décision, en renforçant le dispositif de délocalisation des sections disciplinaires et en permettant à l'instance d'appel de prononcer une sanction plus élevée que celle prononcée par la section disciplinaire. Il faut que l'université reste un lieu préservé mais elle doit aussi accepter de se réformer en donnant aux personnes qui seraient victimes de harcèlement sexuel en son sein une meilleure capacité à être défendue. Elle doit protéger les victimes et non pas les coupables.
Je conclus par la proposition n° 13, qui pourrait paraître superfétatoire mais que nous avons souhaité mettre en avant : il s'agirait de procéder à une nouvelle évaluation de la loi du 6 août 2012 dans deux ans. Nous avons progressé dans les procédures d'évaluation des lois : une mission d'information est confiée à deux parlementaires, l'un de la majorité, l'autre de l'opposition. Nous devons aller plus loin et permettre un travail approfondi sur un plus long terme. Dans deux ans, nous devrions disposer d'éléments statistiques plus précis qu'aujourd'hui sur les faits de harcèlement sexuel et les sanctions qui en découlent.
Nous invitons donc à une nouvelle évaluation en 2018 de la loi du 6 août 2012 qui, nous l'avons vu, pourrait être mieux mise en oeuvre. Rien ne doit nous empêcher d'atteindre tous les objectifs qui ont été fixés. Ils sont partagés par l'ensemble de nos concitoyens et font l'unanimité – une fois n'est pas coutume – au sein du Parlement. Il n'y a aucune raison pour que cela change, bien au contraire.