Intervention de Elchin Amirbayov

Réunion du 2 novembre 2016 à 11h15
Mission d'information sur les relations politiques et économiques entre la france et l'azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au sud caucase

Elchin Amirbayov, ambassadeur d'Azerbaïdjan en France :

Je crois que nous sommes à même de vous envoyer tous les chiffres qui concernent les grands pays européens.

Vis-à-vis de la France, le peuple azerbaïdjanais éprouve une affection particulière, qui va au-delà de tout intérêt pragmatique. Cette affection nous porte vers la culture, la littérature et la musique françaises, qui sont très bien implantées dans l'esprit collectif de notre pays. D'où notre volonté de nous rapprocher de la francophonie, et nos investissements pour créer des lycées, l'université et d'autres mécanismes d'échanges humanitaires avec votre pays.

Monsieur le rapporteur, vous m'avez interrogé à propos des droits de l'Homme. Encore une fois, il ne faut pas oublier que notre chemin vers la démocratisation a commencé après soixante-dix ans passés sous le joug soviétique, avec un voisinage pas toujours commode et d'importantes difficultés d'ordre politique, économique et sécuritaire après la restauration de notre indépendance. Il nous a donc fallu un certain temps pour entamer des réformes politiques. Voilà pourquoi nous n'avons commencé à nous rapprocher des valeurs européennes et démocratiques que depuis vingt ans.

L'important reste notre volonté politique de continuer dans ce sens. Mais nous avons déjà bien avancé.

Nous avons aboli la peine de mort ; le pays est devenu membre du Conseil de l'Europe, et s'est ainsi soumis à la Cour européenne des droits de l'Homme ; cinquante-cinq partis politiques sont enregistrés dans le pays ; l'internet est libre, avec des sites d'opposition ; il existe plus de cinq cents journaux, une vingtaine d'agences d'information, une dizaine de chaînes de télévisions nationales et de nombreuses télévisions locales et chaînes de radio, sans compter les journaux. Pendant les campagnes électorales, chaque candidat est assuré d'avoir accès à la chaîne de télévision publique. En outre, au niveau national, les observateurs internationaux sont toujours invités au scrutin.

Nous avons réalisé la transition de l'économie collective vers le libre marché, ce qui n'a pas toujours été facile. Enfin, nous avons engagé le dialogue avec la société civile.

Cela m'amène à une autre de vos questions. Voici quelques mois, à l'initiative du Gouvernement, une plateforme de dialogue a été créée en réponse aux critiques que l'on a entendues, pour renforcer la coopération, la communication et le partenariat entre les institutions d'État et la société civile, et pour contribuer à la mise en oeuvre des principes et des valeurs de la société civile en Azerbaïdjan.

En instituant ce dialogue, nous engageons les différents représentants de la société civile à faire des propositions constructives pour améliorer la situation. La création de cette plateforme prouve qu'il n'y a pas de tabous dans notre pays, et que nous voulons continuer à oeuvrer dans ce sens.

Nous continuons à ouvrir l'Azerbaïdjan vers le monde tout en restant très fermement attachés aux notions d'indépendance, de souveraineté et de laïcité. Et nous profitons beaucoup de notre participation au Conseil de l'Europe, de nos contacts avec les différents pays, et de notre coopération bilatérale.

J'en viens aux décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme. Depuis 2003, la Cour a rendu 117 décisions et 159 arrêts. On peut dire que la très grande majorité des décisions ont été mises en application par l'Azerbaïdjan, certainesrequêtes ayant été préalablement rejetées par la Cour pour irrecevabilité.

Dans ce domaine aussi, le dialogue continue. Nous ne nous enfermons pas dans le déni, nous ne prétendons pas qu'il n'y ait pas de problèmes. Comme on dit en anglais, the sky is the limit : nous savons que l'on peut toujours s'améliorer, mais nous sommes également conscients que nous allons devoir faire beaucoup plus rapidement ce que d'autres ont fait sur une longue période de temps. La raison en est que nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre des siècles pour parvenir aux standards d'autres pays.

C'est dans cette logique qu'en tant qu'État jeune, indépendant et attaché à ses valeurs, nous travaillons avec le Conseil de l'Europe et la Cour européenne des droits de l'Homme.

Vous vous êtes demandé quelles étaient les raisons des événements qui ont eu lieu dans la région du Haut-Karabagh en avril.

Elles sont très simples : au début du mois, l'Azerbaïdjan a été attaqué depuis des territoires aujourd'hui sous occupation arménienne, au nord de la région du Haut-Karabagh. Au cours de cette attaque, nous avons perdu huit civils. La ligne de contact du coté azerbaïdjanais est en effet très peuplée.

Cela s'est produit au moment où les présidents azerbaïdjanais et arménien s'étaient rendus aux États-Unis pour le sommet sur la sécurité nucléaire. La provocation était très claire et ne pouvait rester sans réponse de la part de l'Azerbaïdjan. Non seulement on ne peut pas tolérer cette occupation illégale qui dure depuis vingt-cinq ans, mais on ne peut pas garder son calme à chaque provocation. Cette fois, des enfants ont été tués.

Après la réaction de l'Azerbaïdjan, on a assisté à une escalade du conflit, qui a duré quelques jours. Et finalement, grâce aux efforts de la Russie, le nouvel accord sur le cessez-le-feu a été obtenu à Moscou en présence des chefs d'état-major de l'Arménie, de l'Azerbaïdjan et de la Russie.

Vous avez évoqué la proposition russe, ou le plan russe, que certains appellent « plan Lavrov ». Ce plan ne change pas grand-chose sur le fond. En fait, on ne peut pas espérer que le conflit puisse se résoudre dans le cadre du statu quo, à savoir la présence militaire illégale des forces arméniennes sur les territoires de l'Azerbaïdjan.

Vous voyez sur la carte que l'on vous a distribuée que le Haut-Karabagh n'est pas le seul territoire de l'Azerbaïdjan qui ait été occupé : sont également concernées sept provinces qui entourent le Haut-Karabagh et qui n'ont rien à voir avec les prétentions des Arméniens sur le Haut-Karabagh, dans la mesure où elles n'ont jamais été peuplées par les Arméniens.

Ces sept provinces et le Haut-Karabagh ont fait les frais de la politique d'épuration ethnique de l'Arménie, au point qu'aujourd'hui il n'y a plus un seul Azerbaïdjanais dans les territoires qu'elle occupe. Ainsi, lorsque je parle d'un million de personnes réfugiées et déplacées, je ne vise pas seulement les 200 000 Azerbaïdjanais qui ont été expulsés d'Arménie et se sont réfugiés en Azerbaïdjan, mais aussi les 750 000 Azerbaïdjanais déplacés dans leur propre pays du fait de l'agression arménienne.

Donc, si le statu quo se maintient, si les Arméniens ne se retirent pas des territoires autour du Haut-Karabagh, je ne vois pas comment le conflit pourrait se régler. Le « plan Lavrov », comme toutes les autres solutions proposées par d'autres médiateurs, préconise de passer par plusieurs étapes ; en effet, il y a tellement de points à examiner qu'on ne peut pas envisager d'aboutir du jour au lendemain. Voilà pourquoi il faut commencer par le début, à savoir l'évacuation des territoires, au minimum autour du Haut-Karabagh. Mais cela suppose, de la part de l'Arménie, qu'elle ait la volonté politique de le faire.

Il reste encore beaucoup de questions sur la table. Sans doute aurez-vous l'occasion d'entendre bientôt l'ambassadeur Pierre Andrieu, qui pourra vous expliquer plus précisément comment le médiateur voit les choses. Pour l'Azerbaïdjan, elles sont claires : nous sommes prêts à discuter, car il n'y a pas pour nous de question taboue. Mais on ne peut pas à la fois laisser le statu quo se maintenir à la faveur de manoeuvres dilatoires et de provocations militaires, et s'exprimer en faveur d'un règlement pacifique du conflit.

Il faut donc être clair. En ce sens, le rôle des pays qui coprésident le Groupe de Minsk est très important. Bien des gens ne sont pas conscients de toutes les conséquences de ce conflit, ni des menaces qu'il représente, non seulement pour les régions du Caucase du Sud, mais pour toute l'Europe.

En deux mots, le plan russe envisage plusieurs étapes : d'abord l'évacuation des territoires autour du Haut-Karabagh par les forces armées arméniennes ; puis la restauration des communications entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, et peut-être entre l'Arménie et la Turquie ; la réouverture de toutes les voies de communication, des frontières ; enfin, le commencement du retour des personnes déplacées dans les territoires autour du Haut-Karabagh.

Cela peut permettre de rétablir un minimum de confiance entre les deux parties, et nous aider à aborder d'autres questions importantes si l'on veut parvenir au règlement du conflit.

La dernière question de M. le rapporteur portait sur le statut de la mer Caspienne.

Malheureusement, il n'y a pas beaucoup de choses à en dire. Aujourd'hui, la mer Caspienne, qui est le lac le plus grand du monde et dont cinq pays se partagent le littoral, n'a toujours pas de statut juridique. Des accords bilatéraux entre l'Azerbaïdjan et la Russie, entre l'Azerbaïdjan et le Kazakhstan, et entre le Kazakhstan et la Russie, ont tout de même été conclus.

L'absence de statut juridique fait que l'on est obligé de continuer à travailler dans le cadre de coopérations économiques et commerciales. Mais j'espère que les cinq pays concernés auront un jour le courage de progresser dans le bon sens.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion