Intervention de Elchin Amirbayov

Réunion du 2 novembre 2016 à 11h15
Mission d'information sur les relations politiques et économiques entre la france et l'azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au sud caucase

Elchin Amirbayov, ambassadeur d'Azerbaïdjan en France :

Merci pour ces questions. Avant d'y répondre, je ferai une remarque : il est tout à fait normal que l'on évoque ici, dans cette mission, la question du Haut-Karabagh. En effet, on ne peut pas examiner les relations entre la France et l'Azerbaïdjan sans évoquer l'implication de la France dans la médiation sur le conflit du Haut-Karabagh, un sujet d'importance pour l'Azerbaïdjan. J'apprécie donc toutes ces questions, qui me permettent d'éclairer certains points et peut-être de dissiper certains mythes.

Monsieur Pupponi, vous avez évoqué certaines photos. Je peux vous montrer aussi quelques photos de corps d'enfants azerbaïdjanais victimes de cette attaque.

Certes, et vous avez raison de le dire, chaque camp essaie de justifier sa position. Mais il y a aussi la réalité sur le terrain. Et aujourd'hui, la réalité n'est pas que l'Azerbaïdjan occupe le territoire de l'Arménie, mais que l'Arménie occupe 20 % du territoire de l'Azerbaïdjan. Cette occupation a été enregistrée et reconnue par le monde entier, y compris par le Conseil de sécurité des Nations unies, qui l'a condamnée à quatre reprises et qui a demandé le retrait des forces arméniennes.

Vous avez des doutes sur l'appartenance du Haut-Karabagh. Selon vos propos, il serait arménien depuis toujours. Si vous le permettez, nous vous fournirons quelques informations, qui ne sont pas de source azerbaïdjanaise, mais de sources plutôt neutres, pour vous éclairer.

Pour tous les historiens, le Haut-Karabagh a toujours été une terre appartenant à l'Azerbaïdjan. Ce n'est pas notre faute si, en raison de l'épuration ethnique à laquelle les Arméniens ont procédé, il n'y a plus aujourd'hui d'Azerbaïdjanais physiquement présents dans ces territoires. Ce n'est pas notre faute si notre patrimoine culturel y a été rasé, détruit, si l'on a donné aux noms géographiques une consonance plutôt arménienne, et si nous avons été les victimes de ce nettoyage ethnique. Comment parler de justice, quand il n'y a plus un seul Azerbaïdjanais dans ces territoires ?

À propos des évènements du mois d'avril, je rappelle encore une fois que l'Azerbaïdjan ne pouvait que se défendre contre cette provocation, qui a visé notre population civile.

Par ailleurs, je n'ai pas mentionné les Arméniens en tant que tels, dans la mesure où je faisais référence aux religions. Et j'ai dit, si je me souviens bien, que 90 % de la population de l'Azerbaïdjan était aujourd'hui de confession musulmane – 65 % de chiites et 25 % de sunnites. Mais j'ai également fait référence aux chrétiens et aux juifs qui sont là de longue date.

Je n'ai pas mentionné spécifiquement les Arméniens, dans la mesure où il y a aussi des Ukrainiens, des Russes et d'autres citoyens de l'Azerbaïdjan qui sont chrétiens. Mais il y a en effet des Arméniens en Azerbaïdjan, et pas seulement dans les territoires occupés aujourd'hui par l'Arménie. Certains continuent à vivre confortablement à Bakou – 20 000 à 30 000 Arméniens qui ont contracté des mariages mixtes – sans y être menacés.

Monsieur Pupponi, nous n'avons malheureusement pas eu l'occasion de vous voir en Azerbaïdjan quand vous l'avez visité, mais ceci est une autre histoire… Quoi qu'il en soit, je crois qu'il est important de dire qu'il faut respecter les principes du droit international, parmi lesquels la souveraineté et l'intégrité territoriale des pays. Et je trouve bizarre qu'il y ait parfois deux poids deux mesures : en effet, des parlementaires qui visitent la Crimée annexée sont critiqués, mais pas ceux qui visitent les territoires occupés de l'Azerbaïdjan, dont fait partie la région du Haut-Karabagh.

Vous m'avez demandé comment je voyais les choses. Selon moi, c'est assez facile : il convient simplement d'appliquer le droit international. On peut toujours avoir différentes versions de ce qui s'est passé. Mais, pour obtenir un résultat et faire évoluer la situation, et je crois que c'est le devoir des médiateurs, il faut appliquer les normes du droit international et les exigences de la communauté internationale à toutes les parties.

Votre question m'amène, d'une certaine façon, à celle de M. Mancel : qu'attendons-nous de la France ? En raison de l'amitié et de la proximité des relations entre l'Arménie et la France, nous attendons qu'elle puisse exercer une certaine influence sur les dirigeants arméniens.

Monsieur Mancel, nous serions reconnaissants à France si elle parvenait à convaincre l'Arménie et ses dirigeants d'exprimer leur volonté politique de s'engager dans un dialogue constructif. Hors de tout langage diplomatique, cela veut dire que si, demain, ce pays montrait sa volonté politique de se retirer de ces territoires qui n'ont jamais appartenu, même en rêve, aux Arméniens, nous nous dirions que le président Serge Sarkissian cherche sérieusement à progresser…

Si ce n'est pas le cas, si l'on continue à avancer des prétextes pour différer les choses et pour consolider le statu quo, on ne pourra pas résoudre ce conflit. Et cela nous rapprochera d'une voie dangereuse, d'ordre militaire. Bien sûr, l'Azerbaïdjan, pas plus que l'Arménie, du moins je l'espère, ne souhaite relancer la guerre. Mais c'est un fait que le statu quo n'est pas tenable et que l'on ne peut pas encore attendre vingt-cinq ans pour parvenir à une solution. Je crois que c'est dans cet esprit que la présidence française a récemment réitéré son intention de continuer ses efforts pour trouver une solution, en essayant d'inviter les dirigeants des deux pays à un nouveau sommet de Paris.

Encore une fois, il ne s'agit pas de réinventer la roue, mais d'appliquer le droit international. Les accords d'Helsinki de 1975 ont établi dix principes, un « décalogue » qui définit un modus vivendi applicable à tous les pays du monde. Et il en ressort clairement qu'on ne peut pas mettre en oeuvre le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes en violation de l'intégrité territoriale des pays.

On peut trouver de nombreux exemples de la façon dont on peut concilier le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, tout en respectant la souveraineté et l'intégrité territoriale des pays. C'est le sens de la proposition des médiateurs. Je crois que lorsque M. Andrieu, après sa visite à Vienne, viendra ici pour répondre à vos questions, il tiendra le même discours.

Mais vous avez raison de vous demander comment on peut satisfaire certaines parties de cette population en l'absence de minorités. On peut toujours nettoyer n'importe quel territoire de la présence de minorités, puis organiser un référendum et proclamer l'indépendance. C'est exactement ce qui s'est passé au début du conflit. Voilà pourquoi il n'est pas question, pour nous, de commencer par un vote qui viendrait contredire le droit international comme la loi de l'Azerbaïdjan ; en effet, notre Constitution ne permet pas d'organiser des référendums dans une seule partie du territoire.

Au minimum, il faut laisser rentrer chez eux ceux qui ont été victimes du nettoyage ethnique. Pour ma part, je suis tout à fait favorable à la coexistence entre les Arméniens et les Azerbaïdjanais. Selon certaines théories très racistes et très dangereuses en provenance d'Erevan, les Arméniens ne pourraient jamais vivre avec les Azerbaïdjanais, parce qu'ils ne seraient pas « compatibles ». Or l'histoire a montré que, même au Haut-Karabagh, même en Azerbaïdjan, et même s'ils étaient en minorité au siècle dernier, les Arméniens sont capables de coexister avec les Azerbaïdjanais, de nouer des amitiés avec eux, et que les mariages mixtes sont possibles. Bien sûr, après le conflit, la situation a changé…

Maintenant, je suis d'accord avec ce que vous avez dit sur les personnes réfugiées et déplacées.

Je suis toujours étonné de constater que l'on oublie complètement qu'en Azerbaïdjan, des centaines de milliers de personnes ont vu leurs droits fondamentaux bafoués : elles ont été chassées de leur maison, ont perdu leurs parents au cours de différents massacres, et depuis presqu'un quart de siècle, se trouvent déplacées dans leur propre pays. Je ne parle pas des 200 000 personnes d'origine azerbaïdjanaise qui ont fui l'Arménie : elles ont franchi les frontières internationales et, selon le droit international élémentaire, elles ont acquis le statut de réfugiés. Je parle des 750 000 personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays.

Quoi qu'il en soit, les personnes réfugiées et déplacées représentent à peu près un million. Or, malgré leur nombre, personne ne parle de cette population.

Aujourd'hui, grâce aux efforts du gouvernement de l'Azerbaïdjan, la situation de ces personnes s'est améliorée. Celui-ci a puisé sur ses revenus pétroliers pour faire sortir ce million – ou presque – d'Azerbaïdjanais des camps de réfugiés. Ce n'est pas moi qui le dit, mais le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Selon lui, l'Azerbaïdjan s'est acquitté de façon exemplaire des responsabilités qui incombent à tout État vis-à-vis des victimes de conflits internes. Par exemple, l'Azerbaïdjan a beaucoup investi pour loger ces personnes dans des conditions normales. Mais cela ne veut pas dire que ces personnes seront toujours là, ni qu'elles se satisfont d'avoir été chassées et de ne pas pouvoir visiter les tombes de leurs ancêtres.

Dernier point : le réseau ASAN a été mis en place en 2012 dans le cadre des réformes globales de modernisation de l'administration publique, lancées par la présidence de la République. C'est une nouvelle approche des services publics mis à la disposition des citoyens.

Les centres de service ASAN sont des guichets uniques – one stop shot – qui réunissent les représentants de diverses institutions gouvernementales et entreprises privées. Vous pouvez y faire toutes vos démarches, et accéder aux services publics qui y sont installés. C'est une expérience assez novatrice, que l'on pourrait partager avec d'autres, et sur laquelle je pense qu'il faudrait communiquer davantage.

L'Azerbaïdjan n'est pas le seul pays qui tente d'améliorer ses services publics. Je sais que certains pays voisins font des efforts en ce sens – comme la France, d'ailleurs. Mais le fait que nous ayons su investir dans certains secteurs pour lutter contre la corruption montre bien quelles sont les préoccupations du Gouvernement.

Enfin, pour ne pas abuser de votre temps, je vais vous laisser aussi une petite fiche qui vous donnera des informations supplémentaires sur le réseau ASAN.

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