Intervention de Christian Lequesne

Réunion du 9 novembre 2016 à 8h45
Commission des affaires européennes

Christian Lequesne :

Quand j'ai accepté cette invitation, je ne savais pas que j'interviendrai le matin même des résultats des élections présidentielles américaines ! Il est assez tentant de faire un lien entre l'élection de Donald Trump et le vote en faveur du Brexit en Grande-Bretagne. Dans les deux cas, il s'agit d'une réaction d'une partie de la population laissée pour compte des évolutions économiques de ces vingt dernières années, qui se mobilise contre cette perte de statut ou d'identité et qui cherche à « faire payer » les membres de « l'establishment ». Ce rejet des élites, des privilégiés coupés du peuple, Donald Trump et le parti UKIP l'ont largement instrumentalisé.

Il y a quelques années, les réformes libérales paraissaient un gage pour l'avenir mais en réalité ces réformes n'ont pas eu les effets bénéfiques attendus et n'ont pas favorisé l'émergence de nouvelles classes moyennes, bien au contraire. La revue « NewStatesman » a récemment titré : « The closing of the liberal mind » que l'on peut traduire par la fermeture à l'esprit libéral. Le libéralisme ne se limitait pas aux questions économiques, il prônait aussi une société ouverte sur l'extérieur, multiculturelle, favorable aux libertés des personnes. Ces valeurs d'ouverture sont aujourd'hui rejetées.

Le Brexit intervient après une série de crises successives comme celles de 2008 ou de la zone euro mais grâce à des compromis, l'Union européenne avait réussi à franchir plusieurs étapes d'intégration. Le vote du Brexit ne correspond pas à une énième crise des partenaires européens, il risque de compromettre l'avenir même de la construction européenne qui est menacée d'un véritable délitement. Ce précédent renforce le sentiment anti européen et plusieurs Etats souhaitent à leur tour organiser des référendums comme au Pays Bas ou la part du peuple danois ou encore le mouvement « cinque stelle » italien, dont la contestation de la construction européenne est moins frontale.

Le premier ministre britannique a eu un discours très dur à Birmingham récemment mais elle s'adressait à des militants de son parti, alors qu'en réalité elle est bien consciente de la nécessité de faire des compromis pour trouver une solution de sortie qui fasse le moins de dommages possibles. La justice britannique a estimé que le Parlement devrait se prononcer sur la sortie de l'Union européenne. Le Gouvernement britannique a fait appel de cette décision, ce qui prolonge de facto la période transitoire. Le Parlement sera sans doute partisan d'une négociation longue qui pourrait se prolonger au-delà des échéances des futures élections européennes et devrait inciter à un « soft Brexit », avec une possibilité de trouver un compromis pour que le pays puisse continuer à avoir accès au marché intérieur.

Ce compromis est-il possible, est-il souhaitable ? Que penser de la proposition de la Fondation Bruegel qui suggère d'admettre la notion de quotas qui viendrait remplacer la liberté de circulation des personnes ? N'est-il pas dangereux de toucher aux quatre libertés fondamentales qui constituent l'identité même de la construction européenne ? Les États membres doivent transformer cette crise du Brexit en une occasion pour refonder le modèle européen et faire de cette menace une occasion de sursaut.

L'Europe différenciée est-elle une solution face à la montée des eurosceptiques ? L'idée de créer des cercles concentriques avec des États plus ou moins intégrées dans la construction européenne est une idée déjà ancienne, la CDU l'avait déjà proposé en 1994. Certains États dans le cercle le plus extérieur, construiraient un libre marché intérieur, ce cercle pouvant associer la Grande Bretagne ainsi que certains États actuellement candidats. Ce cercle ressemblerait à l'actuel espace économique européen qui associe aujourd'hui la Norvège, l'Islande et le Liechtenstein. Les contributions de ces États seraient réduites par rapport à ceux appartenant au premier cercle qui eux seraient beaucoup plus intégrés et rassemblerait les États appartenant à la zone euro et ceux qui aspirent à y entrer.

Cette organisation nécessiterait une réforme institutionnelle pour modifier les mécanismes de prise de décision.

Il y a quelques années les pays d'Europe centrale avaient beaucoup d'empressement à rejoindre la zone euro alors qu'aujourd'hui, au contraire, la Pologne par exemple considère que sa monnaie nationale l'a protégée par rapport à l'effet récessif de l'euro. L'Union européenne n'est plus aujourd'hui perçue d'abord comme un grand marché. On lui demande d'être un facteur de protection et on voudrait lui conférer certains attributs régaliens comme la défense contre le terrorisme, la gestion efficace des frontières extérieures, certains parlant même de politique de défense.

La difficulté avec ce mécanisme des cercles concentriques est de faire comprendre aux pays de l'Europe centrale qu'ils ont vocation de faire partie du premier cercle. De plus, aucun progrès notable dans l'organisation de l'UE ne pourra intervenir avant les échéances électorales en France et en Allemagne. L'opinion publique ne peut se satisfaire de cette idée d'Europe différenciée car il manque un discours politique mobilisateur.

Depuis le non français au référendum sur le traité constitutionnel européen, les politiques ont tendance à occulter les questions européennes qui restent gérées entre spécialistes sans contrôle démocratique. Il faudrait au contraire repolitiser le débat. Mattéo Renzi l'a bien compris même si ses déclarations sont parfois un peu populistes. La réorganisation institutionnelle ne doit pas apparaître comme une discussion entre experts. Elle doit être au service d'un projet d'avenir.

Trop longtemps les instances communautaires ont eu des positions réactives pour faire face aux crises comme ce fut encore le cas lors de la crise des réfugiés. Il faut changer de démarche et proposer un projet crédible qui aborde franchement les défis actuels. L'Union européenne doit s'interroger sur la possibilité de réguler les effets de la mondialisation alors que jusqu'à présent les opinions publiques considèrent que les politiques sont impuissants.

Ce doit être aussi l'occasion de bien expliquer que cette Europe différenciée n'est pas fondée sur une exclusion mais au contraire qu'elle permettra une intégration à un rythme spécifique à chacun pour permettre aux États membres de librement choisir leur mode de participation au projet européen.

Il faut aussi faire preuve de pédagogie pour faire comprendre l'originalité de la construction européenne qui n'est pas un projet libéral mais qui au contraire repose sur des mécanismes de régulation protecteurs comme dans la politique agricole commune ou la politique de cohésion des territoires. L'atout de l'Union européenne c'est justement d'être capable d'élaborer des compromis respectueux des intérêts de chaque État membre. Loin d'être une faiblesse cette capacité à élaborer des solutions de consensus est un véritable facteur de stabilité et de progrès.

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