Intervention de Pierre-édouard Guillain

Réunion du 16 novembre 2016 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Pierre-édouard Guillain, directeur de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de me donner l'occasion de présenter les actions et les missions de notre fondation.

Vous l'avez dit, madame la présidente, notre fondation, qui représente un cas à part dans le monde de la recherche, est relativement jeune, puisqu'elle a été créée en 2008 par huit instituts de recherche très connus, actifs en France, dans les outre-mer, mais aussi dans de nombreux pays, dans le cadre de la coopération internationale. Tous s'intéressent à la biodiversité – que ce soit dans les sols, dans les mers, en lien avec l'agriculture, par la recherche fondamentale ou appliquée –, et tous ont souhaité disposer d'un outil qui puisse coordonner leurs efforts, incarner une communauté scientifique qui n'est pas seulement constituée d'écologues, mais accueille bien des disciplines, et servir d'interface avec la société au sens large – entreprises, associations, représentation nationale ou tout acteur souhaitant soutenir nos projets scientifiques, comme l'ont fait le groupe LVMH, qui est membre fondateur depuis 2014, et d'autres mécènes privés.

C'est cette dimension importante, inspirée d'autres modèles, qui a présidé à l'idée d'une fondation. La FRB se distingue ainsi de deux groupements d'intérêt scientifique créés juste avant elle, mais dont la dimension est purement institutionnelle, puisqu'ils s'adressent uniquement à des organismes de recherche.

Deux ministères nous soutiennent fortement : le ministère chargé de la recherche, qui est l'un de nos interlocuteurs privilégiés et dont il nous arrive de relayer la politique, et le ministère chargé de l'écologie, dont nous appuyons les efforts pour développer la prise de conscience de la diversité biologique. Par ailleurs, nous coopérons avec le ministère de l'agriculture, évidemment concerné par les questions relatives à la biodiversité.

Nous avons fait le choix d'une gouvernance un peu particulière, qui donne beaucoup de place à la société civile. Notre conseil d'orientation stratégique est en fait un conseil de parties prenantes avec lequel nous essayons de réaliser des projets. Nous l'avons voulu le plus large possible et y accueillons 176 membres : entreprises, syndicats agricoles, gestionnaires de milieux naturels, protégés ou non, associations, fondations, divers organismes en relation avec le public, tels des aquariums ou des bureaux d'études.

Nous avons aussi un conseil scientifique de vingt membres, présidé par François Sarrazin, professeur à l'université Pierre et Marie Curie, et qui travaille dans une unité commune avec le Muséum et le CNRS. Nous avons essayé de faire en sorte que tous les âges et toutes les disciplines soient représentés.

Notre but est d'être en relation avec la communauté scientifique. À la différence d'autres fondations ou d'autres think tanks consacrés à la recherche, la FRB n'emploie pas de chercheurs, mais rassemble une communauté de quelque 4 500 chercheurs, dans près de 800 laboratoires présents dans les instituts et les universités, auxquels il faut ajouter les post-doctorants ou les thésards, qu'il est difficile de comptabiliser de manière pérenne.

Plusieurs disciplines sont donc concernées : l'écologie, l'économie, la géographie, la sociologie, l'agronomie ou les mathématiques pour faire de la modélisation. Les sciences de la biodiversité font appel à des méthodes de description de la nature connues depuis très longtemps, mais elles ont aussi de plus en plus souvent recours à des technologies extrêmement modernes, comme la métagénomique ou la métabolomique, qui ont radicalement changé notre regard. Dans les laboratoires, nous modélisons aussi des phénomènes vivants, c'est-à-dire complexes : c'est ce qui fait l'intérêt de ces travaux.

La communauté scientifique française de la biodiversité est bien évidemment présente dans l'Hexagone, mais aussi en outre-mer, terrain d'expérimentation majeur pour nos équipes, et à l'étranger. Plusieurs universités des outre-mer ont des équipes qui travaillent sur les questions liées la biodiversité et qui ont rejoint récemment l'ERA-NET BiodivERsA pour former un consortium encore plus important et se positionner au niveau européen.

J'ai parlé de l'interface science-société : nous essayons de mettre des questions scientifiques en regard des questions sociétales soulevées par le COS. Vous avez accueilli dans vos locaux, le 14 novembre dernier, un colloque du groupe ALLISS (Alliance sciences sociétés) qui travaille sur le sujet. Il a fallu du temps pour faire dialoguer acteurs de la société civile et scientifiques, qui doivent se mettre d'accord sur le vocabulaire et sur les buts poursuivis, et s'engager dans la durée. Mais nous sommes heureux d'avoir fait progresser ce dialogue, et je salue tous ceux qui, depuis 2008, ont eu la persévérance de participer à nos travaux. À ce jour, trente et un partenaires publics et privés nous ont rejoints et, depuis 2008, nous avons soutenu 177 projets de recherche ou études.

Au-delà du conseil scientifique, nous pouvons mobiliser une centaine de scientifiques, très proches de nous, pour participer à des programmes ou à des expertises. Nous avons réuni 8,6 millions d'euros dans les programmes de recherche dont nous avons pris l'initiative ou que nous avons soutenus.

Vous m'avez interrogé, madame la présidente, sur les collectivités. Nous avons eu le plaisir de promouvoir, avec l'ancienne région Nord-Pas de Calais, un programme de recherche sur la biodiversité en collaboration avec les universités de la région, mais aussi avec d'autres chercheurs français. Il s'agissait de répondre à des problématiques qui avaient été posées par des acteurs du Nord-Pas de Calais. Des appels à projets ont permis d'intégrer des dimensions de recherche dans les projets et actions des acteurs de terrain.

Une fondation comme la nôtre doit s'intéresser à toute la biodiversité : les espèces, les écosystèmes – zones humides, zones de montagne, prairies, systèmes agro-pastoraux –, mais aussi la diversité génétique, qu'elle soit sauvage, domestique ou cultivée, et elle doit en outre croiser ces trois niveaux. Les exemples et les modèles d'une telle organisation sont rares à l'étranger, et l'équilibre n'est pas facile à atteindre. Nombre des projets que nous avons financés concernaient les zones marines – modèles et scénarios, descriptions de la biodiversité, etc. D'autres concernaient les forêts, les terres cultivées, les terres arides, les zones insulaires, les zones arctiques, les zones urbaines, les eaux intérieures. La biodiversité touche à bien des domaines et soulève à tous les niveaux des questions scientifiques et sociétales.

Notre ambition est de jouer pleinement notre rôle de fondation, en collectant et en redistribuant les moyens des équipes de recherche, et en mobilisant à la fois des programmes publics et des partenaires privés – par exemple le programme Écophyto avec notre partenaire l'Association de coordination technique agricole (ACTA), pour donner toute sa place à la diversité dans le cadre de la réduction de l'usage des pesticides. Certes, le mécénat scientifique et le mécénat environnemental ne sont pas les plus visibles. Toutefois, nous avons réussi à convaincre de grands groupes de nous rejoindre.

Certes, il peut être frustrant d'attendre deux à trois ans avant que la recherche ne donne de premiers résultats, et on peut avoir l'impression que l'urgence est plutôt sur le terrain. Mais tous les acteurs de terrain expliquent qu'ils ont besoin de s'appuyer sur la recherche, qu'ils doivent évaluer et accompagner les solutions qu'elle propose de mettre en oeuvre, mais que, pour que leurs actions soient pertinentes, efficaces et peu onéreuses sur le plan économique comme sur le plan social, elles doivent s'articuler avec la recherche.

Nous avons aussi l'ambition d'être un think tank, c'est-à-dire de proposer des réflexions aux acteurs, en nous appuyant sur les résultats de la recherche et en les confrontant avec la société. Nous avons récemment consacré un colloque à l'usage des grands rapports produits par les sphères internationales comme le Groupe d'experts internationaux sur l'évolution du climat (GIEC) ou la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), dans laquelle nous sommes très impliqués et qui est l'équivalent du GIEC pour la biodiversité. Quel est l'impact de ces rapports ? Que doit-on en faire ? Comment les orienter ? Comment diffuser leurs résultats et convaincre les acteurs ?

De même, l'appui que l'on peut apporter à la décision et à la négociation doit être fondé sur des connaissances scientifiques. Or il n'est pas toujours aisé d'y accéder, car le nombre de publications consacrées à la biodiversité a explosé. Nous manquons de relais entre le monde académique et le monde de la décision, et c'est pourquoi nous nous appliquons à développer des outils en ce domaine.

Nous avons également besoin d'assurer des missions de coordination entre les instituts et les autres acteurs de la recherche. Ceux-ci ont d'importants défis à relever, avec, notamment, la mise en oeuvre des Objectifs d'Aichi et la déclinaison du Protocole de Nagoya sur l'accès et le partage des avantages – dont vous avez largement discuté lors des débats sur le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité. Il nous faut aussi réfléchir ensemble à la façon d'utiliser et de mobiliser les infrastructures de recherche.

Permettez-moi de vous donner quelques exemples concrets de relations science-société. Nous avons mis en place des groupes communs COS-CS sur « la compensation écologique », « l'écologie et la société urbaine », « les espaces protégés et la recherche » pour appuyer le travail des gestionnaires. Avec la future Agence française pour la biodiversité que le Parlement a créée dans la loi biodiversité, nous travaillerons sur ces sujets, ainsi que sur le thème des ressources génétiques.

Tout cela permet de faire de la prospective, de dresser l'état des connaissances, de voir où il faut faire porter l'effort de recherche. Cela devrait nous permettre, espérons-le, de lancer des appels à projets sur des thèmes d'intérêt à la fois scientifique et sociétal, et de faire des publications communes sur des sujets qui ne vont pas de soi – par exemple « écologie et société urbaine ».

Face à la multiplication des publications scientifiques, nous avons besoin d'outils pour appuyer la décision et la négociation. À cet effet, nous avons développé des méthodes de revue systématique ou d'expertise collective. Nous sommes impliqués dans un programme européen qui vise à analyser les différents outils existants, pour répondre à des députés, à des entreprises ou à des ministères qui s'interrogent sur ce que dit la science, sur ce qu'elle ignore encore, sur les compléments d'information qui sont nécessaires, voire sur les points de divergence au sein de la communauté scientifique.

Nous travaillons aussi sur la modélisation et la simulation des futurs de la biodiversité, qui devraient intéresser tout particulièrement les collectivités. Il s'agit en effet d'identifier, à l'échelle d'un territoire plus ou moins vaste, les leviers d'action qui risquent de faire évoluer la biodiversité : climat, activités économiques, etc. Les meilleures réalisations concernent pour l'heure le milieu marin, où l'on observe ce qui se passe en fonction des changements climatiques, des migrations d'espèces, des modifications du comportement des consommateurs – la demande de produits de la mer ayant énormément augmenté –, ou des pêcheurs qui doivent répondre à cette demande et faire face à l'évolution des techniques. Il faut ensuite intégrer toutes ces données dans des modèles permettant de déterminer les leviers d'action qui ont le plus d'effets sur l'avenir de la biodiversité. On peut alors éventuellement procéder à des régulations, que ce soit auprès des consommateurs ou des pêcheurs, ou en fixant des quotas. Ainsi, ce sont des chercheurs qui ont développé les modèles et scénarios utilisés pour réglementer la pêche du thon rouge.

Le secrétariat d'État chargé de la biodiversité a diffusé un Résumé à̀ l'intention des décideurs de l'évaluation thématique des pollinisateurs, de la pollinisation et de la production alimentaire, élaboré par l'IPBES, qui sera remis officiellement au Gouvernement le 22 novembre prochain.

Nous soutenons aussi l'évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques. Il faut savoir mobiliser les résultats de la science, et les présenter de manière telle qu'ils puissent être appréhendés par chacun. Rien n'est moins simple. On a récemment comparé, par l'analyse du vocabulaire utilisé, le degré d'accessibilité des éléments que nous produisons à d'autres éléments de support à la décision : il ressort de cette étude que nous avons encore des progrès à accomplir pour rendre les nôtres plus percutants et plus lisibles. Ils n'en restent pas moins importants pour faire vivre l'interface science-société.

Notre rôle est aussi de faire participer les acteurs – à l'exemple de la région Nord-Pas de Calais – à des projets de recherche : c'est indispensable si nous voulons que les acteurs s'y intéressent et se les approprient.

Nous avons parfois pris position. La COP22 sur le climat se tient en ce moment à Marrakech, mais, l'année dernière, au moment de la COP21, nous avons mobilisé les membres du COS et lancé un appel pour rappeler que la biodiversité est certes affectée par le réchauffement climatique, mais qu'elle l'est aussi par bien d'autres facteurs, comme le changement de l'usage des terres, la surexploitation des ressources, les pollutions. Nous ne pouvons pas, dans nos projets de recherche sur l'environnement, ne traiter que des questions climatiques. La biodiversité interagit avec le climat : si le climat a une influence sur la biodiversité, la biodiversité en a une sur le climat.

Cela rend plus nécessaire encore la création d'interfaces. On appréhende bien, dans les scénarios climatiques, la place de la biomasse, issue notamment de la forêt. Mais quel rôle joue la diversité de cette forêt ? Et la diversité des systèmes agropastoraux ? Quel rôle joue cette biodiversité en termes de résistance, de résilience ? Toutes ces questions sont encore des sujets de débats scientifiques. Il ne faut pas oublier que la biodiversité est aussi, d'une certaine façon, une des pistes que l'on peut proposer en matière d'atténuation et d'adaptation au changement climatique.

Certains sujets nous tiennent à coeur. Je pense en particulier aux données d'observation ou d'expérimentation de la biodiversité. Au Centre de synthèse et d'analyse sur la biodiversité d'Aix-en-Provence, nous accueillons des chercheurs internationaux et nous leur proposons de partager, de croiser, de comparer leurs données, et de les envisager sous de nouvelles perspectives. Pendant une semaine, cela les conduit à faire de la science autrement, en travaillant en groupe. Proposer d'autres méthodes de recherche est, selon moi, une dimension importante de la fondation. Nous espérons convaincre davantage d'acteurs, de collectivités et d'entreprises de nous rejoindre pour soutenir ce centre, unique dans notre pays. On ne compte en effet qu'une petite dizaine de centres de synthèse dans le monde. Ils permettent pourtant de mener des travaux très génériques, de faire avancer la science, de sortir d'excellentes publications, mais aussi de faire progresser l'action. Ainsi, nous projetons d'analyser toutes les expériences de translocation d'espèces protégées, en travaillant à très grande échelle et en utilisant de nombreuses comparaisons.

Nous sommes également très impliqués dans l'IPBES. Nous ne doutons pas que, dans quelques années, cet outil essentiel, voulu par le président Chirac, devrait avoir la même notoriété que le GIEC. Il a fallu vingt ou trente ans pour que les rapports du GIEC fassent la une des journaux. Compte tenu de l'urgence, il nous faudra y parvenir beaucoup plus rapidement.

Mais nous avons aussi quelques préoccupations. Nous regrettons que les questions climatiques prennent souvent le pas sur les autres lorsque l'on discute d'environnement. Nous nous inquiétons de la place que peut prendre la biodiversité au niveau politique, dans les orientations de recherche, ou lorsque l'on discute de certains sujets.

La loi sur la biodiversité traite des néonicotinoïdes. Mais il faudrait s'intéresser à toutes les sources de pollution et à leur impact sur l'ensemble de la biodiversité, au-delà de l'espèce qui est originellement ciblée.

Nous nous préoccupons également de la place de la science dans les processus de décision. Aujourd'hui, la voix des scientifiques n'est guère mise en avant. Nous avons donc besoin de convaincre l'opinion de son utilité.

Nous nous soucions de l'accès des chercheurs au dispositif mis en place dans le cadre du protocole de Nagoya sur l'APA – accès aux ressources génétiques et partage juste et équitable des avantages liés à leur utilisation.

Enfin, nous travaillons actuellement sur l'impact que peuvent avoir, sur l'environnement et la biodiversité, la biologie de synthèse et de nouvelles techniques génétiques. C'est un sujet dont il sera discuté à la prochaine conférence des parties de la Convention sur la diversité biologique de Cancún.

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