Alors que vous constatez vous-même un rejet de l'Europe de la part des citoyens, ne trouvez-vous pas paradoxal que les membres du CESE, censés représenter la société civile, soient désignés par les États ? Je n'adresse évidemment à nos invités aucun reproche, mais je me pose des questions. Si l'on veut améliorer la représentativité et le caractère démocratique des institutions européennes, il faudrait, pour le moins, que la société civile désigne elle-même ceux qui la représentent.
Je crois que l'Europe attire si peu parce qu'elle est loin des peuples, parce qu'elle n'est pas démocratique, mais aussi parce qu'elle n'est pas politisée. On n'a jamais voulu politiser l'Europe en abordant le social ; on a préféré parler d'économie et de commerce, « parce que ça ne pose pas de problème ». Résultat : une concurrence déloyale et faussée règne au sein même de l'Europe où se font 70 % de nos échanges. Pourtant, jamais je ne constate la moindre velléité de mener une politique sociale, ou de réfléchir à la façon dont sont traités les travailleurs qui viennent chez nous. On se contente de faire du libre-échange. Le projet européen tel qu'il avait été conçu par les pères de l'Europe a été complètement dévoyé, et je n'ai pas l'impression que ceux qui veulent revenir sur cette évolution soient nombreux. L'Europe sociale est toujours remise aux calendes grecques.
Les organisations syndicales ne sont pas vraiment plus allantes que les autres sur le sujet. Élue en Bretagne, je connais bien la FNSEA : elle a soutenu la dérégulation et la fin des quotas laitiers qu'elle avait pourtant réclamés à cor et à cri – même si, aujourd'hui, elle proteste contre leur suppression. Il faut vraiment que la politique prenne le pas sur les seuls intérêts économiques. Si vous voulez de la régulation, acceptez-la, mais pas uniquement quand les choses ne se passent pas bien pour vous ! Vous vouliez la suppression des quotas laitiers parce la situation était bonne, mais, depuis, manque de chance, elle s'est dégradée. Il faut une politisation de l'Europe.
Pour renforcer la solidarité entre les pays européens, il faut un projet social d'abord, et économique ensuite – le social ne doit pas toujours venir en second, comme c'est le cas dans le nom même du Comité économique et social européen. On ne peut pas délaisser le social, et laisser l'économique faire du lobbying et obtenir toutes les concessions.
Un vrai budget européen est indispensable, et ce n'est pas en laissant des cacahuètes à l'Europe que nous parviendrons à le mettre en place – la somme « donnée » par chaque Français à l'Europe tous les ans est ridicule. Il faut un vrai Parlement européen avec de vrais pouvoirs. En clair, il faut à l'Europe une vraie démocratie.