Intervention de Aurélia Bouchez

Réunion du 20 octobre 2016 à 14h15
Mission d'information sur les relations politiques et économiques entre la france et l'azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au sud caucase

Aurélia Bouchez, ambassadeur de France en Azerbaïdjan :

Je vous remercie de m'avoir invitée à vous présenter l'Azerbaïdjan, pays où je suis en poste depuis un an mais où il me semble l'être depuis plus longtemps tant les relations bilatérales sont dynamiques, riches et diversifiées et tant la région connaît d'évolutions.

Deux éléments caractérisent le contexte régional : le conflit du Haut-Karabagh, sujet sur lequel je ne m'attarderai pas puisqu'il est de la compétence de M. Pierre Andrieu, co-président du Groupe de Minsk, que vous recevrez ; la présence de voisins de poids que sont la Russie, l'Iran et la Turquie, ainsi que la Géorgie. Tous ont connu récemment des évolutions majeures. Je citerai la tension russo-turque, la réintégration de l'Iran dans le jeu régional après la levée de la plupart des sanctions internationales, l'affirmation militaire russe dans la Caspienne, la convergence irano-russe en Syrie, la tentative manquée de coup d'État en Turquie. Outre que ces événements ont, à des degrés divers, des répercussions en Azerbaïdjan, ils se déroulent dans un contexte général marqué, de manière particulièrement sensible dans cette partie du monde, par la montée du fondamentalisme, le renforcement du risque terroriste et aussi la baisse persistante du prix du pétrole, qui affecte la plupart des économies de la région.

L'Azerbaïdjan doit de plus faire face à la crise économique la plus sérieuse connue après les débuts de son indépendance – crise qui provoque changements et réformes – tout en finançant l'essentiel des dépenses liées au corridor gazier Sud. Il finance en effet quelque 60 % du coût du segment trans-anatolien du gazoduc, le TANAP, et presqu'un quart du segment trans-adriatique, le TAP.

Tel est le cadre de l'action bilatérale franco-azerbaïdjanaise. Il s'agit avant tout d'un dialogue politique au plus haut niveau. Entre 2014 et 2016, le président de la République et le président Ilham Aliev se sont entretenus trois fois. Deux rencontres ont eu lieu à Bakou, la troisième en marge du sommet de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN), à Varsovie, en juillet dernier. Les rencontres au niveau ministériel sont fréquentes : en 2016, le ministre azerbaïdjanais des affaires étrangères est venu deux fois à Paris, et le Secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes, M. Harlem Désir, s'est rendu à Bakou. De 2014 à 2016, douze visites de présidents, de ministres ou de secrétaires d'État ont eu lieu ; ce nombre est impressionnant. Lors de ces entretiens, le dialogue porte sur une grande diversité de sujets d'ordre politique, culturel et économique. En matière politique, les discussions ont trait à la situation du Haut-Karabagh et aux évolutions régionales, mais aussi aux questions intérieures, le sujet de l'État de droit étant toujours présent.

L'Azerbaïdjan est pour la France un partenaire important à plusieurs titres. En raison, d'abord, de sa situation géographique : en matière de sécurité et de stabilité, et compte tenu de la proximité du Proche-Orient et du Moyen-Orient, c'est pour nous un interlocuteur clef quand nous cherchons à évaluer l'évolution des défis sécuritaires autour de la Caspienne, au Daghestan, en Iran et dans les pays d'Asie centrale, lesquels sont confrontés au retour des combattants revenus d'Afghanistan et aux trafics divers, dont celui de stupéfiants. Par ailleurs, l'Azerbaïdjan entretient de bonnes relations avec la Russie, la Turquie et l'Iran, et parvient à les maintenir même lorsqu'ils se querellent entre eux. Parler à l'Azerbaïdjan, c'est avoir une discussion ouverte sur l'évolution politique de partenaires politiques majeurs pour la France ; c'est également l'occasion de faire partager nos propres analyses stratégiques. Cet apport de la France est important en soi, et aussi parce que l'Azerbaïdjan s'emploie fortement à préserver sa souveraineté nationale, son indépendance de décision et sa stabilité, ce qu'il sait ne pouvoir faire qu'en maintenant des relations équilibrées avec l'ensemble de ses grands voisins. Cette diplomatie d'équilibre ne se conçoit que si l'Azerbaïdjan donne toute sa place à l'Occident et en particulier à la France. Le président Ilham Aliev rappelle cette doctrine à tous ses interlocuteurs, et de manière systématique dans ses déclarations publiques. Il arrive que la présidence azerbaïdjanaise critique l'Occident, mais sans jamais remettre en cause l'importance du dialogue avec nous, comme les actes le prouvent.

Nous entretenons donc un dialogue confiant sur les considérations stratégiques régionales avec un partenaire attaché à la stabilité et aux rapports de bon voisinage. Mais ce dialogue franc et ouvert n'élude pas les questions relatives à la situation intérieure du pays. Nous rappelons, à tous les niveaux, que la stabilité durable à laquelle aspire l'Azerbaïdjan ne peut être fondée que sur l'État de droit et que le dialogue inclusif avec l'ensemble des composantes de la société civile et politique est le meilleur gage de stabilité. Nous transmettons ce message régulièrement, en faisant alterner, selon les sujets, une diplomatie publique et une diplomatie plus discrète. Nous usons de la diplomatie publique pour exprimer des positions de principe – ce que la France a fait parfois seule, parfois dans le cadre de l'Union européenne ou de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) – et aussi lors de l'arrestation de certains opposants, tels M. et Mme Yunus ou Mme Khadija Ismaïlova. Parce qu'il importe de faire preuve d'une position équilibrée, nous avons aussi réagi de manière positive lorsqu'ils ont bénéficié d'une libération conditionnelle. Nous utilisons une diplomatie plus discrète pour obtenir des résultats précis. Je rappellerai à cet égard le cas célèbre de la libération pour cause humanitaire des époux Yunus. Après que Mme Yunus eut reçu en 2013 les insignes de la Légion d'honneur des mains du président François Hollande et que la France eut exprimé publiquement sa position au sujet de la situation de ce couple, nous avons aussi entretenu un dialogue discret avec les autorités pour obtenir que les époux Yunus puissent, comme il le souhaitaient, être autorisés à titre humanitaire à sortir d'Azerbaïdjan pour recevoir à l'étranger les soins requis par leur état de santé. Notre action diplomatique, publique ou discrète, s'adapte aux circonstances et recherche des résultats. Elle est appréciée par les opposants et les activistes. Les remerciements que j'ai reçus en sont la démonstration. Mais l'on peut toujours faire plus et mieux, et il faut persévérer.

Sans nous départir d'une approche critique, nous devons prendre en compte les évolutions positives, qu'elles soient de fait ou en germe. Au nombre des premières, je citerai la position de l'Azerbaïdjan sur la peine de mort – le pays a, sur ce plan, toujours été aux côtés de la France – et sur la laïcité, entendue comme le droit pour chacun d'exercer sa religion librement, sans être passible d'amende ou d'emprisonnement parce que l'on ne porte pas le voile, comme cela se produit ailleurs. En Azerbaïdjan, la pratique laïque, garantie par la Constitution, est réelle. Cela a été souligné par le pape François lors de sa récente visite comme par le Bureau international de la démocratie et des droits de l'Homme (BIDDH) de l'OSCE, dont le président a rendu hommage à cette tolérance religieuse. Cette position remarquable en un temps où les pays musulmans modérés respectant les libertés se font rare, doit être soutenue car l'état d'esprit, dans les pays voisins de l'Azerbaïdjan, n'est pas toujours le plus propice à cette approche laïque de l'islam, étant donné l'influence qu'y exercent l'Iran, le mouvement salafiste wahhabite venu du Daghestan et des États du Golfe. Le multiculturalisme traduit la volonté de l'Azerbaïdjan d'être un pont entre l'Asie et l'Europe et entre les religions ; le pays a d'ailleurs pour intéressante particularité d'être membre à la fois du Conseil de l'Europe et de l'Organisation de la coopération islamique.

Au nombre des évolutions prometteuses vers une démocratie plus affirmée et plus claire, je mentionnerai la reprise du dialogue, le 21 septembre dernier, entre l'Azerbaïdjan et le Parlement européen et, plus généralement, avec l'ensemble des institutions européennes. Le plus visible est la négociation actuelle du mandat en vue d'un accord de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et l'Azerbaïdjan ; tous les accords de ce type comportent systématiquement un important volet relatif à l'État de droit. Autre élément concret : l'accord en vigueur entre l'Union européenne et l'Azerbaïdjan prévoit l'existence d'un sous-comité bipartite « justice, affaires intérieures, droits de l'homme, démocratie, migration et asile », et l'Azerbaïdjan a donné son accord pour une réunion de ce sous-comité, qui a eu lieu la semaine dernière, avant l'ouverture des négociations du nouvel accord. Enfin, à la suite de la visite à Bakou de Mme Federica Mogherini, Haute-Représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et des pressions exercées par certains États dont la France, certains opposants au régime, y compris les époux Yunus et Mme Ismaïlova, ont bénéficié de libérations conditionnelles et 148 personnes ont été amnistiées, dont plusieurs activistes des droits de l'Homme inclus.

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