Intervention de Aurélia Bouchez

Réunion du 20 octobre 2016 à 14h15
Mission d'information sur les relations politiques et économiques entre la france et l'azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au sud caucase

Aurélia Bouchez, ambassadeur de France en Azerbaïdjan :

Les estimations varient. Quelques dizaines, sans doute, mais tout dépend des critères utilisés pour les définir et des informations que nous donnent les organisations non gouvernementales (ONG). Certes, nous ne sommes pas au bout du chemin, mais notre rôle est d'accompagner les étapes. Tels sont les éléments positifs, et je pense que l'on n'en est qu'au début.

J'ajoute que les réformes économiques peuvent enclencher une dynamique de plus grande transparence et une lutte plus efficace contre la corruption. C'est en tout cas ce qui est annoncé par les plus hautes autorités. Ainsi, l'Agence d'État pour le service public et l'innovation sociale (ASAN) vise à éliminer par des procédures électroniques la petite corruption administrative, la plus sensible par les citoyens. Notre rôle est d'encourager les évolutions positives tout en maintenant une vigilance intacte.

Notre action comporte désormais un troisième volet, celui de la coopération décentralisée, qui en est encore à ses débuts. À ce jour, un peu plus d'une douzaine d'accords ou de partenariats ont été conclus entre des municipalités françaises et azerbaïdjanaises. Ce sera pour nous une manière de favoriser les contacts et peut-être des opportunités pour nos entreprises – MEDEF International est intéressé – et de promouvoir notre conception de la gouvernance, sachant qu'une décentralisation réelle est un facteur clef de démocratie vivante. Nous espérons pouvoir progresser en ce sens.

Nos relations avec l'Azerbaïdjan se traduisent aussi par une coopération économique. Malgré la crise qu'il connaît, le pays reste notre principal partenaire économique dans le Caucase, et la quatrième destination de nos exportations dans l'espace de l'ancienne URSS. Nous sommes le troisième acheteur de gaz azerbaïdjanais ; le pays est donc un élément important dans notre stratégie d'approvisionnement et de sécurité énergétique. Cependant, on ne peut sous-estimer la gravité de la crise qui affecte l'Azerbaïdjan. Elle a eu pour effet, en 2015, deux dévaluations qui ont fait perdre à la monnaie l'essentiel de sa valeur, et une inflation qui devrait être de 10 % au moins cette année. En conséquence, par un tour de force assez laborieux, le budget, qui avait été établi sur la base d'un baril à 60 dollars a dû être recalculé en cours d'exercice sur la base d'un baril à 25 dollars.

De manière remarquable, dans l'allocution qu'il a prononcée en janvier dernier au sommet de Davos, le président Aliev a affirmé que la crise que connaît l'Azerbaïdjan offre une chance de faire les réformes nécessairement douloureuses dont l'abondance de l'argent du pétrole avait, par facilité, dispensé le pays jusqu'alors. Ce sera, a dit le président, l'occasion de renforcer la transparence, de lutter contre la corruption et les monopoles, de favoriser la concurrence et de diversifier l'économie – car la crise illustre les méfaits de la dépendance au pétrole. Pour obtenir ces résultats, il faut attirer des investisseurs étrangers, ce qui incite à rendre le pays attractif et à améliorer le climat des affaires. C'est ainsi que peut s'enclencher une spirale vertueuse. J'ai immédiatement appuyé cette approche, en indiquant que nous veillerions à ce que les entreprises françaises fassent connaître leur point de vue sur ce qui pourrait améliorer la marche des affaires en Azerbaïdjan. J'ai des contacts réguliers avec la présidence, qui est le moteur des réformes. Nos conseillers du commerce extérieur sont en relation avec les chambres de commerce et les entreprises, et nous avons de nombreux échanges avec des autorités azerbaïdjanaises ainsi qu'avec l'ASAN. Ces relations sont très ouvertes car les autorités savent que nous cherchons à les aider et à les encourager.

Les réformes seront laborieuses parce que l'Azerbaïdjan a un héritage soviétique, compliqué par la facilité qui a prévalu au cours des belles années pendant lesquelles la croissance annuelle, fondée sur le commerce des hydrocarbures, était parfois de 30 %. Maintenant s'ouvre une phase difficile. Les premiers pas ont été convaincants : ce fut la réforme des douanes, qui a facilité la vie de nos entreprises. Mais ce n'est qu'un début, et je n'aimerais pas laisser entendre que la situation est subitement passée du noir profond au blanc pur. La procédure d'appel d'offres pour les commandes publiques a également été réformée et une réforme des impôts et taxes est en cours – mais la précédente réforme, laborieuse, est encore inachevée.

Les priorités retenues pour la diversification économique et les avantages afférents devraient être dévoilés en novembre. Des signaux ont déjà été donnés : ainsi, l'agriculture bénéficie de conditions favorables en matière de taxation et de financement. Nous espérons que cette politique se prolongera car les entreprises françaises sont particulièrement bien placées pour en bénéficier. En effet, nos entreprises du secteur de l'énergie sont présentes en Azerbaïdjan, mais aussi des entreprises de secteurs appelés à devenir prioritaires dans la diversification économique à venir, dont nous avons déjà quelque idée. Se trouvent ainsi déjà en Azerbaïdjan des entreprises françaises de transport telles qu'Alstom, Thales et d'autres encore. Or, l'Azerbaïdjan envisage de devenir un hub régional de transport multimodal. Nous avons donc une carte que nous ne manquerons pas de jouer, et nous sommes sûrs d'être au coeur de ce volet de la diversification projetée. De même, des entreprises françaises sont bien placées pour participer au développement d'un secteur agricole et agro-alimentaire encore balbutiant, de l'industrie aéronautique et spatiale et de celle de l'environnement. Ce n'est d'ailleurs pas un mystère, et cela a été mis en valeur, le 13 mai dernier, lors d'une visite particulièrement réussie d'une délégation d'une quarantaine de chefs d'entreprise adhérentes de MEDEF international, qui a notamment été reçue par le président Aliev pour un entretien à bâtons rompus d'une heure et demie. Cette audience témoigne de l'importance qu'accorde la présidence à ce que les technologies françaises, qui jouissent d'un prestige mérité en Azerbaïdjan, peuvent apporter à la diversification économique du pays. Le président Aliev m'a d'ailleurs indiqué qu'« acheter français » est pour lui un gage de réussite.

Pour autant, le contexte, difficile, demeure celui d'un État qui a hérité beaucoup de la bureaucratie de l'ancienne Union soviétique, et les réformes n'en sont qu'à leur début. Quand les entreprises françaises rencontrent des problèmes, elles demandent le concours de l'ambassade. Nous intervenons à haut niveau, et nous sommes entendus.

Un mot sur les hydrocarbures. La France, je vous l'ai dit, est le troisième acheteur de gaz azerbaïdjanais. Les entreprises françaises sont présentes en Azerbaïdjan dans le secteur de l'énergie et elles le resteront. Engie sera l'un des principaux acheteurs du gaz extrait à Shah Deniz 2 – c'est une contribution importante à la viabilité du corridor gazier Sud – et Total devrait assurer la production de gaz du très important champ offshore d'Apchéron. Je rappelle que l'Azerbaïdjan est au 23e rang mondial des pays producteurs de gaz naturel, classés en fonction de leurs réserves.

Nous avons mobilisé l'Agence française de développement (AFD), qui contribue au financement de projets dans le secteur ferroviaire.

Ces relations bilatérales, riches et équilibrées, concernent aussi la culture et l'éducation. Le terreau est exceptionnel. Dès le XIXe siècle, via la Russie et l'Empire ottoman, l'Azerbaïdjan a découvert l'Europe. Tous les intellectuels azerbaïdjanais rêvaient d'aller à Saint-Pétersbourg perfectionner leur connaissance de la langue russe et apprendre le français avant de partir à Paris. La tradition a perduré et elle a été favorisée par le boom pétrolier de la fin du XIXe siècle : les investisseurs étrangers – les frères Nobel, la famille Rothschild – et les magnats azéris, tel Zeynalabdin Taghiev, partageaient la même culture européenne amoureuse des Lumières, culture qui a poussé, à cette époque, à l'ouverture d'écoles de filles sur le modèle français et qui a inspiré la première République azerbaïdjanaise, laquelle a reconnu en 1918 le droit de vote aux femmes. Ce terreau est favorable aux relations culturelles entre l'Azerbaïdjan et la France, et nous menons à ce sujet une politique structurée en trois axes : contribuer à la modernisation et à l'ouverture d'esprit de la société ; partager les valeurs de la République française, qu'énonce sa devise ; entretenir le dialogue avec la société civile azerbaïdjanaise, la jeunesse en particulier, dans un pays où les ONG sont peu développées.

La présence française est marquée par l'Institut français d'Azerbaïdjan, lieu d'apprentissage du français et de débats d'idées avec des personnalités venues de France. Elle l'est aussi par le lycée français de Bakou, qui est une réussite et qui fonctionne en coopération entre la Mission laïque française et la Société pétrolière nationale de la République d'Azerbaïdjan (SOCAR). Elle l'est encore par la nouvelle Université franco-azerbaïdjanaise (UFAZ) que j'ai inaugurée le 15 septembre dernier ; né de la coopération entre le ministère de l'éducation d'Azerbaïdjan et les universités de Strasbourg et de Rennes, l'établissement préparera à des doubles diplômes d'ingénieur. Plus largement, l'Azerbaïdjan prend le système éducatif français comme référence pour la modernisation de son propre système éducatif, à tous les niveaux.

Nous nous attachons à promouvoir l'apprentissage du français. Après le russe et l'anglais, c'est la troisième langue étrangère étudiée en Azerbaïdjan, où l'on compte 43 000 élèves de français. Nous aidons à former des professeurs locaux, à Bakou et en province, et nous avons porté à treize le nombre de bourses accordées à de jeunes Azerbaïdjanais partant faire leurs études supérieures en France, qui s'ajoutent à une dizaine de bourses européennes Erasmus. Nous avons noué une coopération, très appréciée, avec l'Université Paris-Sorbonne Abu Dhabi pour orienter par ce biais les élèves vers la culture française. Nous utilisons au maximum les financements accordés par l'Union européenne au titre de l'Instrument d'assistance technique et d'échange d'informations (TAIEX, selon l'acronyme anglais), pour promouvoir l'expertise de nos administrations publiques ; c'est très important pour la modernisation de l'État. Dans ce cadre, la France a participé à des travaux sur l'efficacité du système de retraite, participe à l'amélioration du système de protection sociale des personnes handicapées et coopère également avec l'Azerbaïdjan en matière d'épidémiologie vétérinaire. La France est, après l'Allemagne, celui des pays de l'Union qui utilise le plus ces financements européens en Azerbaïdjan.

En conclusion, dans un contexte de crise économique durable génératrice de changement et d'instabilité régionale, notre ambassade s'attache à renforcer la présence française dans des domaines variés et complémentaires afin d'avoir avec ce pays un partenariat équilibré, orienté vers l'avenir. Nous veillons à encourager l'Azerbaïdjan sur le chemin des réformes et à appuyer la volonté d'indépendance et de souveraineté nationale qui se manifeste par une diplomatie équilibrée, multivectorielle, qui fait sa place à l'Union européenne et en particulier à la France.

Quelques précisions maintenant, pour répondre à vos questions, monsieur le président. S'agissant de la concertation entre l'ambassade de France et celles – une bonne vingtaine – des autres États de l'Union européenne en Azerbaïdjan, des réunions ont lieu tous les quinze jours. Les échanges sont ouverts et chaleureux, et l'approche est convergente : chacun dresse un bilan mitigé en matière de droits de l'homme, mêlant des éléments préoccupants et des éléments plus positifs, et souligne une dynamique, notamment européenne, qui va dans le bon sens – mais il faudra être attentif à chacune des étapes. Cela étant, en arrière-plan, la concurrence économique demeure et, en dépit de la crise, l'Azerbaïdjan demeure un pôle d'intérêt pour beaucoup. La concurrence économique est à l'oeuvre avec de très nombreux pays européens – Allemagne, Espagne, Italie, Pologne, République Tchèque et Royaume-Uni plus particulièrement pour le pétrole – mais aussi avec la Corée du Sud et le Japon et, dans une moindre mesure, avec la Chine et les États-Unis. Israël est également un concurrent important. Cette concurrence est un encouragement à renforcer encore le dialogue et la coopération économique entre la France et l'Azerbaïdjan.

Pour ce qui est du référendum du 26 septembre dernier, la Commission de Venise a montré que l'allongement du mandat du président, la création de postes de vice-présidents nommés par lui, la faculté qui lui est donnée de dissoudre le Parlement, ainsi que d'autres dispositions, sont autant de pouvoirs supplémentaires confiés à un président qui en a déjà beaucoup, au détriment d'un Parlement déjà faible. De plus, certains des 29 amendements à la Constitution appellent des éclaircissements. Je les ai demandés aux autorités ; elles ont fait valoir que les dispositions considérées étaient liées à la mise en oeuvre et à l'accélération des réformes. On peut juger cet argument de différentes manières. Une précision cependant : la seule source d'impulsion des réformes est la présidence, et elle rencontre des difficultés dans leur mise en oeuvre car elles froissent certains intérêts.

Le rôle du Parlement dans la mise en oeuvre de la révision constitutionnelle est très limité. Le principe de la hiérarchie des normes n'existant pas tel que nous le connaissons, beaucoup dépendra de l'utilisation qui sera faite, ou qui ne sera pas faite, des dispositions nouvelles. Je note que le président Aliev a déjà indiqué à la presse qu'il n'entendait pas convoquer d'élection présidentielle anticipée, comme il le pourrait. Quant aux dispositions relatives au droit de propriété foncière, elles sont présentées comme indispensables à la réalisation du hub régional de transport multimodal : si l'on veut construire une voie ferrée, il faut une base juridique permettant à l'État d'acquérir des terrains ; or, dans la tradition soviétique, l'acquisition d'un terrain est toujours problématique. Il faudra voir quelle est la pratique, et nous exercerons notre vigilance habituelle.

La population a payé un lourd tribut à la crise économique et les critiques virulentes de la gestion du gouvernement parues dans la presse traduisent les tensions sociales. Apparemment, le message a été entendu puisque, au sein d'un budget dans lequel l'ensemble des recettes et des dépenses est en baisse de 13 %, les dépenses sociales et de santé augmentent de 32 %. Je ne dis pas que cela suffit à régler les difficultés de la société azerbaïdjanaise, notamment celles des classes sociales les moins aisées, mais cela témoigne d'une prise de conscience.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion