La France et l'Azerbaïdjan entretiennent depuis 1992 des relations d'amitié et de coopération, qui sont en constant développement. Je n'entrerai pas dans le détail de ces relations secteur par secteur, dans la mesure où d'autres auditions vous apporteront un éclairage en la matière. Je suis néanmoins à votre disposition pour répondre à vos questions à ce sujet. Avant de vous exposer les principaux enjeux politiques de la relation franco-azerbaïdjanaise, je crois utile de vous présenter le contexte régional et de rappeler les objectifs de notre action dans le Caucase du Sud.
L'Azerbaïdjan est le pays le plus étendu et le plus peuplé du Caucase du Sud, bande montagneuse qui relie la mer Noire à la mer Caspienne. Géographiquement proche de l'Europe, cette région revêt une importance stratégique à plusieurs titres. Il ne s'agit pas seulement des ressources en hydrocarbures qui s'y trouvent ou y transitent, et qui garantissent la diversification de l'approvisionnement énergétique de l'Europe. Il s'agit, plus généralement, des défis de sécurité que pose cette région, mosaïque de peuples, de religions et de cultures, située au carrefour des influences des puissances voisines, qui font par ailleurs beaucoup parler d'elles à l'échelle mondiale.
Premier voisin important : la Russie. Ancienne puissance tutélaire, elle est toujours présente militairement dans les provinces sécessionnistes de la Géorgie ainsi qu'en Arménie, où elle entretient une base militaire et assure la protection de la frontière turco-arménienne. Elle est le quatrième partenaire commercial de l'Azerbaïdjan et le premier de l'Arménie, laquelle a par ailleurs adhéré à l'Union économique eurasiatique en 2015.
Deuxième puissance voisine : la Turquie. Elle est un partenaire stratégique de l'Azerbaïdjan, auquel elle est liée par la proximité linguistique et culturelle. Elle est aussi son premier fournisseur. Ankara suit de très près le conflit du Haut-Karabagh, dont la résolution constitue une condition à la normalisation de ses relations avec l'Arménie. La position géographique de la Turquie en fait le débouché des routes et des ressources caucasiennes vers l'Europe.
Troisième puissance régionale : l'Iran. Il compte une communauté azérie estimée à 25 millions de personnes, soit plus qu'en Azerbaïdjan même. Bakou et Téhéran entretiennent des relations complexes, ce qui tient en partie au fait que ces deux pays à majorité chiite ont des modèles politiques radicalement différents. L'Iran constitue actuellement le seul débouché méridional de l'Arménie et souhaite profiter de sa réintégration dans la communauté internationale après la signature de l'accord sur le nucléaire l'an dernier pour promouvoir son projet d'axe nord-sud transitant par le Caucase du Sud.
En conséquence de cet enchevêtrement d'enjeux locaux et régionaux et de la dislocation brutale de l'Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) en 1991, la région est marquée par trois conflits territoriaux non résolus, appelés parfois improprement « conflits gelés ». Le plus virulent d'entre eux est celui du Haut-Karabagh, qui oppose, depuis 1988, l'Azerbaïdjan et l'Arménie. Notre pays est directement impliqué dans sa résolution depuis 1992, d'abord en tant que membre, puis, à partir de 1997, en qualité de coprésident du groupe de Minsk de l'OSCE, qui est chargé de la médiation entre les parties. Notre rôle de médiateur nous impose un devoir rigoureux d'équilibre et d'impartialité entre lesdites parties.
En avril dernier, nous avons pu voir à quel point la qualification de « conflit gelé » était impropre en ce qui concerne le Haut-Karabagh : les affrontements qui s'y sont déroulés ont été si violents qu'on les a qualifiés de « guerre des quatre jours ». Sans l'action diplomatique menée par la coprésidence du groupe de Minsk, qui a permis de rétablir un certain calme sur le terrain, les affrontements auraient pu conduire à une crise grave qui, impliquant d'une façon ou d'une autre la Russie et la Turquie, aurait pris, dès lors, une tout autre ampleur. Malgré la reprise des négociations entre Bakou et Erevan en juin dernier, ce risque demeure, et je crains qu'il ne soit en train de s'aggraver après la relative accalmie de cet été. Le coprésident français du groupe de Minsk évoquera de manière plus détaillée la situation actuelle au Haut-Karabagh lorsque vous l'auditionnerez. Pour ma part, en ce qui concerne les relations bilatérales, je considère que la persistance de ce risque rend d'autant plus nécessaire le maintien de rapports de confiance tant avec l'Azerbaïdjan qu'avec l'Arménie, afin que nous puissions poursuivre de manière efficace et crédible notre travail de co-médiation.
Tel est le contexte régional dans lequel évoluent nos relations avec les trois États du Caucase du Sud. L'enjeu pour nous, depuis la disparition de l'URSS, est de contribuer à la stabilité de cette région en accompagnant chacun de ces pays vers la démocratie et le développement. Il s'agit également de favoriser la résolution négociée des conflits – je l'ai dit –, la coopération régionale et un partenariat aussi étroit que possible entre ces pays et l'Union européenne.
J'en viens à la relation bilatérale franco-azerbaïdjanaise. Je la présenterai en abordant successivement trois thèmes : le dialogue, les échanges et l'influence.
Le dialogue politique constitue le premier pilier de nos relations avec l'Azerbaïdjan. Les visites et les entretiens bilatéraux sont réguliers. Nous vous en avons communiqué une liste exhaustive, qui figure aussi sur le site internet du ministère.
Pour m'en tenir à l'année en cours, le Président de la République s'est entretenu avec son homologue azerbaïdjanais le 9 juillet en marge du sommet de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) à Varsovie. Il a mis à profit cette occasion pour s'entretenir également avec son homologue arménien. Au niveau ministériel, le ministre azerbaïdjanais des affaires étrangères a effectué deux visites à Paris cette année, en mai et septembre, au cours desquelles il s'est entretenu avec le ministre des affaires étrangères et avec le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, M. Harlem Désir. Celui-ci s'était rendu à Bakou le 26 avril pour des entretiens avec le président et le ministre azerbaïdjanais des affaires étrangères. J'ajoute que le dialogue par le biais des deux ambassades est très régulier.
Ce dialogue est franc et ouvert à tous les niveaux. Il porte non seulement sur l'ensemble de nos échanges et de notre coopération, mais aussi sur les questions de démocratie et de droits de l'Homme : le porte-parole du Quai d'Orsay est intervenu régulièrement sur ces questions au cours des derniers mois et des dernières années – je tiens la liste de ses prises de position à votre disposition. En outre, la France mène avec l'Azerbaïdjan un dialogue intense et discret à ce sujet au plus haut niveau politique : le Président de la République a écrit à son homologue azerbaïdjanais à plusieurs reprises, notamment au sujet de Leyla et Arif Yunus. Ces questions font partie de notre relation bilatérale. Nous les abordons sans tabou, avec calme et sérénité. Cette sérénité fait que nos messages sont, je crois, appréciés et écoutés.
Je précise que, compte tenu de notre rôle de coprésident du groupe de Minsk, nous veillons toujours à maintenir, autant que possible, un équilibre dans notre dialogue avec Bakou et Erevan. Nous avons été particulièrement attentifs au respect de ce principe dans la période qui a suivi la « guerre des quatre jours » : le secrétaire d'État chargé des affaires européennes avait fait précéder son déplacement à Bakou le 26 avril d'une étape à Erevan ; selon le même principe d'équilibre, les ministres des affaires étrangères arménien et azerbaïdjanais ont eu, l'un et l'autre, des entretiens au Quai d'Orsay en mai et en septembre.
Deuxième pilier de notre relation bilatérale : les échanges économiques, sur lesquels Mme Sandrine Gaudin reviendra certainement de manière plus précise cet après-midi. Le volume de notre commerce bilatéral avec l'Azerbaïdjan est important : il a atteint 1,3 milliard d'euros en 2015, chiffre néanmoins en légère baisse par rapport à 2014 en raison de la crise économique qui touche le pays. Notre balance commerciale est clairement déficitaire, à cause du poids de nos importations d'hydrocarbures, qui s'élèvent à 1,1 milliard d'euros.
Malgré ce déficit, la France est un investisseur important en Azerbaïdjan : en 2014, elle a été la cinquième source d'investissements directs étrangers dans ce pays. Je citerai quelques secteurs dans lesquels les entreprises françaises sont présentes et actives. Dans le secteur de l'énergie, Total participe au développement du gisement gazier offshore d'Apchéron. Le secteur des transports a représenté le tiers de nos exportations en 2015, notamment avec la fourniture de 150 bus Iveco et de trois rames de métro Alstom à la ville de Bakou. Dans le secteur de l'environnement, Suez a signé en 2014 un contrat de formation et de transfert de savoir-faire avec la compagnie nationale de l'eau Azersu. Enfin, le secteur des produits chimiques, parfums et cosmétiques constitue également un poste important de nos exportations.
La conjoncture est devenue moins favorable du fait des difficultés budgétaires que connaît l'Azerbaïdjan en conséquence de la chute du prix des hydrocarbures. Cependant, la volonté des autorités azerbaïdjanaises de diversifier leur économie ouvre des perspectives intéressantes pour notre diplomatie économique. Notre ambassadrice, que vous auditionnerez prochainement, est très active en la matière. De nombreuses entreprises françaises ont marqué leur intérêt pour ce processus de diversification, qui prendra du temps, mais correspond à un vrai besoin de l'économie azerbaïdjanaise.
Il va de soi que l'activité de nos entreprises est totalement compatible avec nos obligations internationales, notamment l'embargo décrété par l'OSCE sur les ventes d'armes destinées aux forces engagées dans le conflit du Haut-Karabagh.
Troisième pilier de notre relation avec l'Azerbaïdjan : la politique d'influence. Elle a connu un essor tout à fait significatif au cours des cinq dernières années, sous l'impulsion directe des chefs d'État français et azerbaïdjanais. La coopération culturelle et universitaire recèle encore un fort potentiel. Je citerai deux réalisations emblématiques de la qualité de notre relation dans ce domaine. En 2013 a été inauguré le lycée français de Bakou, établissement homologué par la Mission laïque française, qui compte aujourd'hui une centaine d'élèves et pourrait en accueillir, à terme, trois cent cinquante. Le 15 septembre dernier, le ministre azerbaïdjanais de l'éducation et notre ambassadrice à Bakou ont inauguré l'Université franco-azerbaïdjanaise (UFAZ), qui sera pilotée, du côté azerbaïdjanais, par l'Université du pétrole et de l'industrie de Bakou et, du côté français, par l'université de Strasbourg, qui définira les programmes et fournira les enseignants. De même qu'en Arménie, où l'Université française d'Arménie (UFAR) a considérablement renforcé notre présence dans le milieu universitaire, nous espérons que l'UFAZ pourra contribuer à la formation des élites et pérenniser l'influence française en Azerbaïdjan.
Au titre de l'influence, je mentionne également la coopération décentralisée, révélatrice du développement et de la diversification de notre relation avec l'Azerbaïdjan. Depuis 2012, treize accords de coopération ont été signés entre des collectivités azerbaïdjanaises et françaises, parmi lesquelles Cognac, Mulhouse, Chablis, Megève, Colmar, Évian-les-Bains et le département de l'Yonne, pour ne citer que les plus récents. Un comité de pilotage, dont la création a été décidée par les deux gouvernements en novembre 2015, doit débuter ses travaux d'ici à la fin de l'année, pour donner de la cohérence et une plus grande visibilité à cette coopération. Au regard des partenariats déjà engagés, nous escomptons que le développement de la coopération décentralisée permettra la diversification de nos échanges et de notre influence dans quatre domaines principaux : le tourisme, l'agriculture, l'éducation et la formation professionnelle, la valorisation du patrimoine culturel. Telles sont les pistes sur lesquelles nous travaillons en liaison avec les collectivités territoriales.
Pour conclure, permettez-moi de rappeler les enjeux politiques de notre relation bilatérale avec l'Azerbaïdjan : maintenir un dialogue régulier et global pour promouvoir notamment la démocratie et la paix, à commencer par la résolution du conflit du Haut-Karabagh et la réconciliation arméno-azerbaïdjanaise ; développer et diversifier nos échanges à un moment où l'Azerbaïdjan réfléchit au modèle qu'il souhaite adopter à l'ère du « post-pétrole » ; conforter notre influence à long terme, car la paix et la démocratie sont inévitablement des enjeux à long terme. Ces éléments constituent le dénominateur commun de notre présence et du rôle que nous voulons jouer, à l'échelle de nos moyens, dans cette région.