Intervention de Jérôme Gautier

Réunion du 16 novembre 2016 à 9h30
Commission des affaires économiques

Jérôme Gautier, inspecteur national de l'Institut national de l'origine et de la qualité, INAO :

L'Institut national de l'origine et de la qualité attribue les AOC et les indications géographiques protégées (IGP), les labels rouges ainsi que le label « agriculture biologique », tous signes d'origine et de qualité agricole. Je travaille à Bordeaux et suis chargé des questions environnementales pour l'ensemble des produits, tous concernés par le changement climatique.

Le régime des AOC viticoles existe depuis quatre-vingts ans ; il a été fondé sur les caractéristiques particulières des produits et sur leur lien avec le terroir. Ces vins d'appellation d'origine contrôlée présentent une originalité et des caractéristiques bien particulières. La composante climatique est prépondérante dans la définition du terroir, et toute évolution des conditions climatiques entraîne des modifications de ses caractéristiques, singulièrement si les autres critères demeurent inchangés.

Dans les années 1980, le travail de l'Institut a notamment consisté à définir les règles de production afin de s'assurer que les vins présentaient toutes les garanties de maturité et de qualité, notamment dans les régions septentrionales, mais aussi dans le Sud-Ouest, par exemple, où la variabilité climatique est importante. L'INAO s'est toujours adapté, tâchant de jouer sur un certain nombre de critères que sont notamment les rendements, en les modulant chaque année en fonction des caractéristiques climatiques constatées.

Ainsi les cahiers des charges prennent-ils en compte ces évolutions, dont la hausse des températures bien entendu. Toutefois, si une hauteur de feuillage importante permet une bonne photosynthèse, si les vignes ont été enherbées afin d'obtenir une concurrence hydrique entre l'herbe et la vigne pour éviter un rendement excessif, si les vins atteignent une concentration suffisante et si les conditions climatiques sont favorables, le changement climatique peut être bénéfique dans un premier temps.

Il faut conserver à l'esprit que la France connaît simultanément plusieurs évolutions climatiques ; elle produit 360 AOC et 75 IGP, assez également réparties sur l'ensemble du territoire, même s'il n'y a pas de vigne dans le nord du pays. Par ailleurs, la production est marquée par la prépondérance des AOC et IGP.

Ces implantations viticoles ont été fondées sur une organisation sociale importante, avec des producteurs et des négociants ; l'ensemble de la filière est concerné par les évolutions du climat. On constate que les récentes années ont été de belles années dans certaines régions, toutefois des sécheresses terribles sont survenues en d'autres endroits, ce qui conduit à poser la question de l'irrigation, voire de la survie du végétal. Dans ces conditions, c'est le devenir de l'appellation qui peut être remis en cause.

Les cahiers des charges des appellations déterminent un certain nombre de caractéristiques comme les zones. Et, s'il fait toujours plus chaud, peut-être faudra-t-il remonter les vignobles lorsque des zones d'une altitude raisonnable sont disponibles, car on ne peut aller à 2 500 mètres ! En revanche, dans la plaine languedocienne par exemple, il est possible de gagner en altitude.

Outre la définition des zones, il faut prendre en compte le végétal, car des variétés de vignes supportent mieux telles ou telles caractéristiques, notamment les températures élevées.

Par ailleurs, le changement climatique se caractérisera par la multiplication des évènements extrêmes, car, outre les canicules et les sécheresses, des épisodes très pluvieux peuvent survenir. De tels évènements se sont produits il y a quelques années en Europe de l'Est, où il a plu tout un été. Au demeurant, le changement climatique peut accroître les risques de gels printaniers, les pousses étant plus précoces du fait du réchauffement. En outre, l'alternance jour-nuit sera modifiée : les nuits seront plus longues et les jours plus courts ; ce qui augmentera le risque de survenue de gel de printemps, alors que les gels d'hiver seront moins denses. Dans tous les cas, la capacité de production annuelle sera mise en cause.

Ainsi, le dernier congrès de l'Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV) s'est tenu au Brésil, pays où, il y a deux ans, les vignes ont été touchées par le gel pour la première fois.

L'appropriation de la thématique des appellations par les producteurs est fondamentale : que faire alors que les vignes vont être replantées pour quarante ou cinquante ans, à l'horizon de 2050-2060 ? Il est possible de prévoir de modifier les hauteurs de feuillage par exemple, ce qui relève du travail quotidien déjà existant, et chaque année, le viticulteur doit s'adapter aux évolutions climatiques de l'année.

Par ailleurs, d'autres réflexions peuvent être conduites au sujet de l'encépagement. Dans les régions françaises, l'encépagement des AOC est assez diversifié, et certains d'entre eux peuvent compter jusqu'à dix cépages. Plus on remonte au nord, plus ce nombre diminue : ainsi la Bourgogne compte-t-elle un cépage unique, présent depuis plus de six cents ans. Il existe donc une notoriété, une histoire, un attachement des producteurs et des consommateurs au chardonnay et au pinot noir dans cette région. C'est en ayant conscience de cet arrière-plan qu'il faut considérer l'éventualité d'introduction de nouveaux cépages.

Nous avons entamé une réflexion portant sur les conditions imposées par les cahiers des charges des appellations d'origine. Nous suivons tous les travaux techniques produits par la recherche. Si le taux de sucre des moûts est trop élevé, alors que, pendant vingt ans, nous avons travaillé à obtenir des taux de sucre et d'alcool plus importants ; il nous faudra peut-être revenir sur les travaux de sélections effectués par le passé.

Nonobstant les travaux de la recherche, un certain nombre de règles ont été entérinées par les producteurs, dont la proscription des organismes génétiquement modifiés (OGM). Nous sommes par ailleurs toujours dans l'attente de travaux supplémentaires des divers instituts de recherche, ainsi que d'information et de souhaits d'appropriation de l'ensemble de ces thématiques par la filière.

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