Je suis impressionné par la qualité des questions et par l'ampleur du champ qu'elles couvrent, si bien qu'il me faudrait bien deux ou trois heures pour répondre à toutes…
Je commencerai par le changement climatique. Il faut bien avoir en tête que, d'ici à 2050, quel que soit le scénario retenu, le réchauffement de l'atmosphère ne dépassera pas deux degrés centigrades, et que, dans ce contexte, à peu près tous les vignobles sont à même de s'y adapter en mobilisant et en combinant les solutions que j'ai évoquées dans mon intervention liminaire. Le problème se posera ensuite : soit nous parviendrons à stabiliser la situation, et il sera dès lors possible de reconstituer, sur des bases différentes, des vins, des marchés, des écosystèmes ; soit, si c'est la trajectoire exponentielle d'augmentation des températures qui s'avère effective, à savoir quatre ou cinq degrés Celsius supplémentaires, le problème posé sera celui de l'instabilité. Dans ce dernier cas, il s'agira, pour la viticulture, de changer de monde : on ne pourra plus raisonner à l'échelle de quarante, cinquante ou soixante ans mais, comme c'est le cas pour l'arboriculture, à l'échelle de quinze ou vingt ans. Les questions de risques, d'assurances seront plus pressantes, celles liées à la ressource en eau deviendront cruciales – avec la possibilité de conflits en plaine.
Ainsi, pour éviter tout effet de panique, nous avons fixé le terme de notre prospective à 2050, c'est-à-dire juste avant la bifurcation, en étant conscients des catastrophes qui pourraient survenir à cause de l'instabilité à laquelle je viens de faire allusion. Il faut en effet avoir également présent à l'esprit que la viticulture ne nécessite pas seulement des investissements techniques, mais aussi des investissements humains et culturels – elle implique en effet des secteurs comme la gastronomie –, qui relèvent du long terme. Et la France est le premier producteur de vin au monde, en valeur, et le premier exportateur en valeur. Or si l'on aime le vin, il faut tout faire pour s'inscrire dans un scénario vertueux tel celui défini par la COP 21, qui permettra de dégager des marges de manoeuvre pour tous les vignobles.
Par ailleurs, et c'est une question qui n'a pas été évoquée, la viticulture peut jouer de manière positive dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, qu'il s'agisse de la bonne gestion des sols, des couverts, de l'écosystème, des formes de viticulture associées à l'agroforesterie… Il faut savoir que les sols viticoles, d'une manière générale, sont assez pauvres en matières organiques et ont donc un potentiel de capture de carbone non négligeable. Les interprofessions viticoles, en Champagne, dans le Bordelais, à Cognac et en Bourgogne, se sont lancées dans l'analyse du cycle de vie (ACV) pour connaître l'impact carbone sur les exploitations. Or, il s'avère que ce n'est pas la viticulture qui émet le plus de gaz carbonique, mais la logistique viticole. Aussi, pour réduire l'émission des gaz à effet de serre, convient-il d'améliorer la logistique – poids des bouteilles, redéfinition du vin en vrac… Cet aspect est devenu très important dans mon département à l'INRA. Quand on parle d'agro-écologie, on a plutôt une approche à travers laquelle on considère l'agronomie et la production agricole au regard du fonctionnement des écosystèmes.
Voilà qui renvoie à la question des maladies. Nos collègues qui y travaillent restent très prudents. On pense qu'il y aura des maladies, ou des insectes invasifs, ou bien des mutations – le changement climatique, j'y insiste, affecte les écosystèmes et permettra à des maladies, à des insectes, à des champignons nouveaux de se propager. Chaque espèce réagira de manière différente et certaines pourront muter ; certaines adaptations complexes vont modifier les écosystèmes, modifier le bio-agresseur, l'agresseur du bio-agresseur... Nous avons lancé un nouveau programme sur ces phénomènes qui restent des plus difficiles à étudier.
Dans cet ordre d'idée, je suis attentivement le projet des cépages résistants avec mes collègues de l'INRA. Les débats que nous menons sur le sujet sont constructifs. Appliquant le principe de précaution, l'Institut a décidé dans un premier temps, c'était il y a cinq ou six ans, de ne pas diffuser les cépages issus d'une première génération de recherche, résistant au mildiou et à l'oïdium, du fait d'une incertitude quant au risque de contournement. Il fallait en effet préserver un gène que nous considérions comme extraordinaire et qui, en complément avec d'autres gènes résistants, devait nous permettre d'obtenir des gènes « super résistants » – une expérience est en cours en la matière, à Colmar notamment. Nous pensons être désormais en mesure de maîtriser ce risque et la première génération de ces gènes est déjà en cours d'inscription, les suivantes devant voir le jour vers 2020-2023.