Nous avons l'honneur de recevoir M. Pierre Claver Mbonimpa, qui préside l'Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues, pour évoquer la situation du Burundi et, plus généralement, l'état des droits de l'homme en Afrique. M. Mbonimpa est accompagné par Mme Carina Tertsakian, chercheuse senior sur le Burundi à l'organisation Human Rights Watch.
L'association que vous avez fondée, monsieur Mbonimpa, est la plus importante organisation non gouvernementale de protection des droits de l'homme au Burundi. Votre action vous a valu d'être emprisonné à deux reprises et d'être la cible d'une tentative d'assassinat. Votre plus jeune fils est décédé le 6 novembre 2015, quelques heures après son arrestation par la police. En 2016, vous avez reçu le prix Alison Des Forges, décerné par Human Rights Watch. Vous nous livrerez donc votre témoignage sur la situation des droits de l'homme au Burundi, mais aussi votre appréciation sur la situation politique de ce pays et sur les efforts des organes régionaux de l'ONU pour l'aider.
Depuis le mois d'avril 2015, la crise politique s'est approfondie : le président Pierre Nkurunziza a été réélu en juillet 2015 mais l'opposition a boycotté ce scrutin, ainsi que les élections législatives et locales, considérant que le président n'avait pas le droit de se présenter à nouveau pour un troisième mandat. Les tensions dans le pays sont particulièrement inquiétantes, plus encore lorsque l'on se souvient de la guerre civile sanglante qu'a connue le pays entre 1993 et 2006. Un récent rapport d'International Crisis Group évoque le risque de nouvelles atrocités à grande échelle et d'une possible guerre civile.
Par ailleurs, les autorités burundaises paraissent de plus en plus fermées aux initiatives de l'ONU. Le gouvernement burundais a accepté le principe du déploiement d'observateurs des droits de l'homme et d'experts militaires de l'Union africaine ainsi que celui de policiers des Nations Unies mais, dans les faits, ces déploiements restent limités à quelques dizaines de personnes et le Burundi a cessé de coopérer avec le bureau du Haut-commissariat aux droits de l'homme de l'ONU. Une résolution du Conseil de sécurité a été adoptée le 29 juillet à l'initiative de la France ; elle rappelle la nécessité de ces déploiements ainsi que celle de renouer le dialogue politique entre les forces en présence. En septembre, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a créé à l'initiative de l'Union européenne une commission d'enquête sur le Burundi. Aucune de ces initiatives n'a infléchi la position des autorités, bien au contraire : le 27 octobre dernier, le Burundi a notifié son retrait de la Cour pénale internationale (CPI), alors que celle-ci avait engagé une procédure d'examen préliminaire de certains faits survenus depuis le mois d'avril 2015.
Pensez-vous que la crise actuelle puisse dégénérer en une guerre civile aussi meurtrière que celle que le Burundi a connue en 1993, qui aurait fait 300 000 victimes – ce qui est énorme dans un pays de 9 millions d'habitants seulement ?
L'Assemblée nationale du Burundi se compose aujourd'hui de 60 % de Hutus et de 40 % de Tutsis. Le pouvoir a engagé une révision de la Constitution : pensez-vous qu'elle risque de rompre cet équilibre et quelle appréciation portez-vous sur ce système ?
Enfin, le Conseil de sécurité est partagé sur la politique à suivre. Certains États prônent la non-ingérence, d'autres souhaitent une politique assortie de sanctions plus sévères. L'Union européenne, quant à elle, a partiellement suspendu son aide, ce qui entraîne des conséquences très importantes sur l'économie et le pouvoir d'achat de la population. Pensez-vous que de telles sanctions sont efficaces et justifiées ?