Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, chers collègues, la présente proposition de loi a un objectif simple : assurer le respect de la liberté du commerce et de l’industrie des petits commerçants lorsqu’ils exercent leur activité dans un centre commercial.
Le parc français des centres commerciaux comprend aujourd’hui plus de 800 centres accueillant environ 36 000 commerces et employant plus de 450 000 personnes, dont 90 % dans des grandes enseignes nationales.
Les centres commerciaux regroupent en effet à la fois des grandes enseignes nationales, qui leur servent de « locomotives », et des commerçants indépendants. Les uns et les autres ont pris l’habitude de se regrouper dans des groupements d’intérêt économique – – pour élaborer une politique commune d’aménagement et d’animation et en partager les frais.
En adhérant à un GIE, généralement lorsqu’il signe son bail, le commerçant souscrit donc à un certain nombre d’obligations, contreparties légitimes du principe de solidarité qui régit le fonctionnement de ces centres. Il s’engage par exemple, sous peine de pénalités financières, à respecter les horaires d’ouverture communs à l’ensemble des commerces du centre : on comprend facilement qu’il est bénéfique pour tout le monde que toutes les enseignes soient ouvertes au même moment du lundi au samedi, jours travaillés de droit commun au regard du code du travail.
Si le commerçant, en signant son bail, se plie volontiers aux règles qui lui sont imposées parce qu’elles lui assurent une bonne fréquentation, il en est tout autrement lorsque le règlement du GIE lui impose d’ouvrir un certain nombre de dimanches et jours fériés, jours qui ne peuvent être travaillés qu’en vertu de dispositions dérogatoires du droit du travail.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, le maire peut autoriser l’ouverture des commerces de détail douze dimanches ou jours fériés par an, contre cinq auparavant. Ces jours peuvent inclure trois jours fériés au plus, à l’exception du 1ermai, qui est obligatoirement chômé.
L’augmentation du quota de « dimanches du maire », comme on les appelle, a rencontré un succès incontestable : sur soixante-dix grandes villes françaises, 43 % ont augmenté le nombre de dimanches ouverts en 2016 ; près d’un quart d’entre elles sont même allées jusqu’au maximum de douze jours fériés ou dimanche travaillés par an.
Le problème est que de nombreux petits commerçants, pris au dépourvu par ce changement législatif intervenu après leur adhésion au GIE de leur centre commercial, sont désormais contraints par le règlement du GIE d’ouvrir des dimanches ou jours fériés supplémentaires sous peine de pénalités financières – plusieurs d’entre eux se sont déjà vu appliquer de telles pénalités.
Le cas le plus emblématique de ce type de pratiques abusives est incontestablement celui du centre commercial du Grand Var à l’été 2016. Douze enseignes de ce centre, qui avaient refusé d’ouvrir le 14 juillet, se sont vu appliquer par leur GIE des pénalités financières d’un montant exorbitant – 186 000 euros dans le cas de la brasserie Le Phénix, gérée par M. Patrick Brun, soit la moitié de son chiffre d’affaires.
Si ces pénalités furent finalement annulées à la suite de la médiatisation de cette affaire, celle-ci a également permis de constater qu’il ne s’agissait pas là d’un cas isolé. Selon M. Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France, que j’ai auditionné dans le cadre de ma mission de rapporteur, plusieurs dizaines de cas de pénalités excessives lui auraient déjà été signalés. M. Patrick Brun, que j’ai également auditionné, a pour sa part recueilli les témoignages de plusieurs dizaines de commerçants confrontés au même problème et subissant les mêmes pressions des grandes enseignes. Je tiens à souligner que les cas recensés ne prennent pas en compte les nombreux commerçants qui préfèrent ouvrir leur enseigne plutôt que de se voir infliger une amende, même de 3 000 ou 4 000 euros seulement.
En août 2016, la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises – CGPME – s’était saisie de ce sujet à la demande de nombreux adhérents qui s’étaient émus de l’affaire du centre commercial du Grand Var. La Confédération avait alors lancé une enquête auprès de ses adhérents afin de prendre la mesure du phénomène. Les résultats de cette enquête me semblent assez nets : dans les galeries marchandes, 62 % des commerçants interrogés adhérent à une structure de type GIE ou association ; pour 92 % d’entre eux cette adhésion est obligatoire. Seulement 10 % des commerçants ont la liberté d’ouvrir ou non leur commerce les dimanches ou jours fériés ; 53 % d’entre eux estiment que ces contraintes ne sont pas justifiées. Enfin, pour 85 % d’entre eux, les sanctions financières de la violation des règles d’ouverture et de fermeture les dimanches et jours fériés sont excessives.
Ces chiffres, mes chers collègues, révèlent un malaise profond. Alors même que l’ouverture des commerces les dimanches et jours fériés est strictement encadrée par la loi et qu’elle repose sur le volontariat dans la plupart des professions, la crainte de sanctions financières oblige nombre de commerçants à ouvrir contre leur gré. Nous sommes donc dans la situation paradoxale où des normes privées, en l’occurrence les règlements des GIE des centres commerciaux, peuvent méconnaître des principes garantis par la loi, tels que la liberté du commerce ou le droit du salarié de ne pas travailler le dimanche et les jours fériés.
Alors que faire ? J’ai procédé à plusieurs auditions. Sans surprise le Conseil national des centres commerciaux m’a dit qu’il était inutile de légiférer : selon lui la liberté contractuelle est totale et le commerçant est censé savoir à quoi il s’engage lorsqu’il choisit de s’installer dans un centre commercial. C’est oublier que les commerçants ne pouvaient pas savoir que le législateur ferait plus que doubler le nombre de dimanches pouvant être travaillés. C’est méconnaître le fait que la signature du bail commercial est conditionnée, dans la majorité des cas, à l’adhésion au GIE du centre commercial. Pour le dire clairement, un petit commerçant ne peut pas s’installer dans un centre commercial sans adhérer au GIE.
C’est également méconnaître le fait que les droits de vote aux assemblées générales des GIE sont proportionnels à la surface des commerces signataires et que, dans la plupart des cas, les grandes enseignes nationales y disposent à elles seules de la majorité. Ce sont donc ces dernières, souvent en application d’une politique déterminée au niveau national, qui décident quels jours seront travaillés ou non. Le petit commerçant n’a rien à dire et on peut aujourd’hui le contraindre à travailler à perte, alors même que son personnel refuserait de travailler ces dimanches et jours fériés.
C’est enfin méconnaître le fait que la plupart des commerçants avaient adhéré au GIE avant l’entrée en vigueur de la loi Macron et qu’ils se trouvent désormais liés par un règlement modifié unilatéralement dans un sens qu’ils n’avaient pas souhaité.
Je pense donc que refuser d’encadrer cette liberté contractuelle c’est accepter l’inégalité du rapport de forces entre les petits commerçants et les grandes enseignes nationales : c’est le « pot de terre contre le pot de fer » selon l’expression de M. Joseph Thouvenel, vice-président de la CTFC, que j’ai également auditionné.
Ce n’est naturellement pas ma vision des choses et c’est pourquoi je vous propose d’adopter un dispositif qui encadre cette liberté contractuelle, qui n’est pas absolue et peut se voir opposée des limitations en cas de déséquilibre entre les contractants, la loi devant protéger le plus faible – encore faut-il que le législateur s’en donne la peine.
Le texte que je vous soumets est très simple : il interdit de faire figurer dans les règlements des GIE des clauses qui imposent aux commerçants d’ouvrir les dimanches et jours fériés.
Il s’agit de rappeler le principe de liberté du commerce et de l’industrie, reconnu depuis 1982 comme un principe constitutionnel sous la forme de la liberté d’entreprendre. Aux termes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la liberté d’entreprendre comprend deux composantes : la liberté d’accéder à une profession ou une activité économique et la liberté dans l’exercice de cette profession ou de cette activité. C’est à cette liberté dans l’exercice de son activité économique, qui comprend notamment la liberté d’embaucher, de licencier, de fixer les tarifs ou de faire de la publicité commerciale que le choix d’ouvrir ou non son commerce peut être rattaché. C’est pourquoi je souhaite que ce principe soit rappelé et qu’il s’impose aux contrats des GIE des centres commerciaux ne se trouvant ni dans une zone touristique internationale ni dans une zone commerciale dont l’objet même, selon la loi Macron, est d’être ouverte tous les jours de l’année.
Mes chers collègues, il n’est pas question ici de recommencer le débat sur le travail du dimanche. Il s’agit simplement de corriger un des effets non anticipés de l’application de la loi Macron et de faire en sorte que les commerçants indépendants et leurs salariés disposent d’un verrou pour s’opposer au bon vouloir des grandes enseignes qui cherchent à faire des affaires sur leur dos.