Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, dans le cadre de cette journée dont l’ordre du jour est proposé par le groupe UDI, nous sommes amenés à examiner la proposition de loi visant à assurer le respect du principe de liberté du commerce et de l’industrie dans les contrats des groupements d’intérêt économique et à interdire toute clause obligeant les commerces à ouvrir les dimanches et jours fériés.
L’objet de ce texte, comme son intitulé et son article unique le laissent supposer, est particulièrement précis. Notre collègue Jean-Christophe Lagarde, que je remercie pour sa présentation circonstanciée, nous a exposé les raisons qui l’ont amené à le proposer aujourd’hui.
La question nous est donc posée de l’opportunité de voter ce texte qui a déjà fait l’objet d’un examen en commission. À cette étape de nos travaux, nombre de nos collègues avaient fait part de leurs interrogations, non d’ailleurs quant à son opportunité puisqu’il tente de répondre à un cas concret et avéré. L’exemple du centre commercial Grand Var, en raison de l’écho médiatique qu’il a rencontré, a effectivement soulevé de vraies interrogations auxquelles nous sommes aujourd’hui invités à répondre. Le nombre de cas similaires de groupements d’intérêt économique qui auraient appliqué des pénalités à des commerçants refusant d’ouvrir le dimanche en dépit de l’obligation qui leur est imposée par les contrats d’organisation des GIE – en termes plus simples, leur règlement intérieur – reste toutefois sujet à caution.
En commission, monsieur le rapporteur, vous aviez évoqué « de nombreux cas comparables (…) dans toute la France. » Vous aviez notamment évoqué le fait que la Confédération des commerçants de France estimait à « plusieurs dizaines, sans doute une centaine », le nombre de cas similaires. Cela reste à démontrer. Vous m’accorderez que peu d’entre eux – hormis le cas du centre commercial Grand Var – ont émergé. Nous manquons de données en la matière et les demandes de plusieurs de nos collègues en commission pour une étude d’impact, de ce point de vue, n’étaient pas déraisonnables.
Au-delà de cet aspect, la question de fond reste posée. Nous sommes dans un cas de confrontation entre plusieurs normes juridiques, entre la liberté du commerce et de l’industrie, d’une part, qui découle de la liberté d’entreprendre et qui a été reconnue comme un principe constitutionnel dès 1982, et la liberté contractuelle, d’autre part, dont la reconnaissance constitutionnelle s’est effectuée par touches successives.
Que se passe-t-il en cas de conflit entre elles ? Le Conseil constitutionnel estime plus particulièrement, dans une décision du 13 janvier 2003, que « le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant, sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ». C’est donc à la loi d’apporter des réponses. Aussi la démarche de notre collègue peut-elle sembler légitime.
La deuxième question à laquelle nous devons répondre est de savoir si la limite qu’il nous est proposé de porter à la liberté contractuelle est motivée par un intérêt général suffisant. Il y a là une question d’opportunité.
J’en reviens à ma question de tout à l’heure sur l’ampleur du phénomène qui a nourri la genèse de cette proposition de loi. Il y en a d’autres. Dans un numéro de la fin du mois d’août du magazine LSA, qui fait référence en matière commerciale, j’ai ainsi pu lire l’analyse d’un cabinet d’avocats spécialisés en baux commerciaux qui estimait que les règles contenues dans le règlement intérieur d’un GIE, même acceptées et votées en assemblée générale, ne sauraient donner prétexte à coercition ou mise à l’amende étant donné que ce règlement intérieur porte sur des critères ponctuels d’intérêt commun et de bon fonctionnement du centre comme l’amplitude horaire, les livraisons, les stocks, etc. Le contrat de GIE ne saurait ainsi en aucun cas modifier l’équilibre contractuel bailleur-locataires sur le plan financier.
Or le passage de cinq à douze dimanches ouverts par an, s’il est imposé, induit sans aucun doute une modification de l’équilibre financier. Selon cette analyse, même pour les commerçants couverts par une convention collective encadrant le travail dominical, une ouverture ne pourrait donc pas être imposée si le commerçant ne le souhaite pas, parce qu’il n’y trouve tout simplement pas d’intérêt.
Dans le même numéro, la Fédération pour l’urbanisme et le développement du commerce spécialisé, Procos, indiquait avoir amorcé depuis l’été un travail avec le Conseil national des centres commerciaux, dont vous nous avez dit que vous l’aviez auditionné, monsieur le rapporteur, pour faire en sorte qu’un modus operandi intelligent et de bon sens soit trouvé, permettant : le refus de toute facturation de pénalités tant que les ouvertures n’ont pas satisfait les préalables législatifs comme le recueil du consentement des salariés ; la mise en place d’un dialogue entre les grandes enseignes et les commerçants indépendants ; l’instauration, enfin, de périodes probatoires de quelques mois afin d’évaluer l’intérêt des ouvertures pour tel ou tel type de commerce. Les acteurs du secteur commercial semblent avoir trouvé utile de se laisser un peu de temps, ce qui paraît être une bonne idée et la voie à poursuivre.
À la lumière de ce type d’initiatives, nous conviendrons ensemble que ce qui s’est passé au centre commercial Grand Var est l’exemple-type de ce qu’il ne faut pas faire et que cet incident traduit probablement, au niveau local, un dysfonctionnement du dialogue entre les acteurs du centre. Lors de nos travaux en commission, vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, la « lutte du pot de terre contre le pot de fer » pour décrire les rapports de force entre les grandes enseignes et les commerçants indépendants dans les centres commerciaux. Je pense que nous sommes nombreux, sur tous les bancs de cette assemblée, à partager avec vous cette appréciation. Il faut nous assurer que nous agissons avec un motif d’intérêt général suffisant. Or, à ce stade de nos travaux, il est difficile d’en être convaincu.
Pour ces raisons, notre groupe appuiera la motion de renvoi en commission qui va être présentée, afin que nous puissions travailler plus sereinement sur un sujet qui est complexe et qui mérite que nous ne fassions pas d’erreur. La majorité a déjà prouvé, et elle l’a fait ce matin encore avec la proposition de loi sur la Polynésie française, qu’elle savait voter avec le groupe UDI quand c’était nécessaire. Aussi, je souhaite que nous puissions reprendre nos travaux en commission pour aboutir à un texte solide, dans l’échange et la co-construction avec les auteurs de cette proposition de loi qui soulève, je le répète, de vraies questions.