Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du 24 novembre 2016 à 15h00
Liberté du commerce dans les groupements d'intérêt économique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Vous avez souligné, à juste titre, qu’il s’agissait de rétablir le rapport de forces : c’est finalement ce qui devrait être la pratique courante de notre hémicycle ! La loi est faite pour rétablir l’équilibre du rapport de force. En l’espèce, nous savons qu’il est inégal, et nous ne le rééquilibrerions pas ! L’Assemblée nationale ne doit pas fermer les yeux, pour des raisons qui ne sont pas valables.

D’ailleurs, mes chers collègues, vous disiez que seuls quelques cas étaient concernés, mais connaissez-vous un seul commerçant de France qui refuserait d’ouvrir, si l’ouverture lui permettait de gagner de l’argent et de faire tourner sa boutique ? Si le commerçant refuse d’ouvrir, c’est bien parce qu’il va perdre de l’argent ; ce n’est pas parce qu’il a envie de ne pas travailler ! Je suis persuadé qu’un commerçant désireux de gagner de l’argent pourrait même travailler jusqu’à minuit, voire une heure ou deux heures du matin, parce qu’il sait qu’il aura plus de clients que d’habitude. Si cette proposition de loi est demandée par les commerçants, c’est parce qu’on les oblige à ouvrir à perte, au risque de remettre en cause la pérennité de leur commerce et leur capacité à conserver leurs emplois. C’est très contre-productif. Comme l’a dit M. Mariani, il s’agit de compléter un dispositif qui préserve la liberté, aujourd’hui malmenée, des commerçants comme des salariés.

Au nom du groupe Les Républicains, monsieur Morel-A-L’Huissier a dit fort justement, et presque mieux que je ne saurais le dire, que la fréquence des conflits et la spécificité de la période que nous vivons justifiaient l’adoption d’une législation particulière. Si la motion de renvoi était adoptée, nous serions dans une situation assez paradoxale. La semaine dernière, au Sénat, le Premier ministre a dénoncé le caractère libéral, voire ultralibéral, de certains débats en cours au sein de l’opposition nationale. Or, en l’espèce, le groupe Les Républicains souhaite la préservation des droits des salariés et des commerçants le dimanche, et le groupe socialiste, écologiste et républicain souhaite préserver la liberté des grandes enseignes. Vraiment, les groupes politiques se trouvent en ce moment à contre-emploi, si je peux me permettre ce clin d’oeil ! Je reconnais que cela ne concerne pas seulement cet hémicycle.

En outre, je fais observer à l’ensemble des intervenants que la concurrence entre deux droits constitutionnels ne porte pas atteinte à notre capacité à légiférer. Pardon, mais c’est un prétexte, qui ne sert qu’à évacuer le débat. D’abord, la liberté contractuelle est évidemment encadrée par la loi. Elle n’est jamais totale ou absolue. Tous les contrats se voient encadrés par des lois. C’est le cas, d’ailleurs, du GIE, qui est créé par un contrat. Cette proposition de loi ne fait qu’encadrer davantage les GIE.

Pardon d’insister sur le sujet, mais je ne pense pas avoir l’occasion de présenter d’autres propositions de loi pendant cette législature. En tant que parlementaire, ne pouvons-nous pas considérer, madame Descamps-Crosnier, que le rôle du Conseil constitutionnel est d’arbitrer entre deux droits constitutionnels ? Refuser de légiférer, c’est refuser de saisir le Conseil constitutionnel ; c’est refuser de lui permettre d’arbitrer entre ces deux droits ; c’est devoir débattre à nouveau du sujet dans l’hémicycle, dans quelques années. Qu’est ce qui prime ? La liberté du commerce ou la liberté contractuelle ? C’est au Conseil constitutionnel d’arbitrer et de guider le travail du législateur, en fonction de ce qu’il considère être l’intérêt général, comme vous l’avez dit. En l’occurrence, je considère que l’intérêt général consiste à protéger les plus faibles contre les plus puissants, lorsque le rapport de force est aussi déséquilibré. Si le Conseil constitutionnel en décidait autrement, nous devrions revenir sur le sujet.

Madame Fraysse, je ne comprends pas, moi non plus, la pertinence de la motion de renvoi qui nous sera soumise – mais j’aurai l’occasion d’y revenir. Vous avez raison de dire que cela revient à approuver l’obligation de travailler. Je suis évidemment ravi de la position de votre groupe. Nous avons tant de différences et de désaccords que cet accord vous honore. Je ne reviendrai pas sur vos propos sur la supposée contradiction entre deux principes constitutionnels et sur le rapport de force.

Madame Descamps-Crosnier a eu la gentillesse de dire que le rapport était particulièrement précis, mais il faut dire que le sujet l’est tout autant ! Certes, j’aurais pu proposer, comme le Gouvernement a eu un jour l’intention de le faire – mais le temps lui est compté –, de légiférer sur l’ensemble des rapports de force existants dans les GIE. En l’occurrence, l’urgence était de protéger les petits commerçants et leurs salariés. Je tiens à dire que cela ne suffira pas, mais cela permettra au moins de rééquilibrer le rapport de forces.

M. Brun, par qui le scandale est arrivé, est le seul commerçant a avoir eu le courage d’aller jusqu’au bout : les pénalités infligées par les centres commerciaux étant inconstitutionnelles, la justice lui aurait probablement donné raison. L’administration de son GIE a reculé sous l’effet médiatique, mais surtout sous l’effet juridique : elle avait peur que le Conseil constitutionnel démonte tout le système de pression. Rien que pour cette raison, cela vaudrait le coup de légiférer. À la fin de l’histoire, le commerce de M. Brun sera perdu et il en a parfaitement conscience. Il n’aura pas eu de pénalités, mais son bail a été signé il y a neuf ans et est en cours de renouvellement. Le centre commercial s’oppose tellement à la présence d’une personne décidée à faire respecter ses droits et ceux de ses salariés, qu’il est prêt à payer le fonds de commerce pour que ce gêneur dégage et que les bonnes affaires puissent continuer. Et nous ne ferions rien ! Permettez-moi de m’étonner !

Je remercie M. Bompard d’avoir rappelé que l’obligation de travailler ne doit pas être introduite dans notre droit en raison d’une faille juridique. Nous avons débattu longtemps de la liberté de travailler. Était-elle raisonnable ou non ? L’obligation de travailler est une notion nouvelle, que l’Assemblée nationale finirait par accepter si ce texte n’était pas adopté.

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