Intervention de Gérard Sebaoun

Séance en hémicycle du 24 novembre 2016 à 9h30
Accès aux soins égal sur l'ensemble du territoire — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Sebaoun :

Garantir un accès aux soins égal sur l’ensemble du territoire, tel est l’objet de votre proposition de loi, monsieur le rapporteur. Chaque député ici présent et nombre d’autres peuvent en partager l’objectif, mais le chemin que vous empruntez est contre-productif. Le 1° de l’article 1er ne changerait rien à l’article L. 631-1 du code de l’éducation, lequel prend déjà en compte les besoins de la population pour fixer le nombre d’étudiants admis en deuxième année ; quant à l’alinéa suivant, il est satisfait par la rédaction actuelle du 2° du I du même article et, par ailleurs, curieusement placé dans une phrase qui vise l’égalité des chances entre les candidats – et non entre les territoires.

Je n’entrerai pas dans une bataille de chiffres et je ne rappellerai pas l’ensemble des mesures qui ont été prises depuis 2012 pour améliorer la situation. Je me bornerai à commenter les articles de votre proposition de loi.

Je peux partager avec vous et la présidente de la commission le questionnement démocratique de certains de nos concitoyens, qui ont le sentiment de cotiser pour un service essentiel qu’ils peinent à obtenir. D’ailleurs, l’usage médiatique de l’expression « désert médical » ne sert pas leur cause puisqu’il freine encore plus toute volonté d’y poser ses valises, voire d’y faire sa vie, pour un professionnel de santé dont les exigences rejoignent aujourd’hui celles de la population.

Cette réalité touche des territoires ruraux mais aussi des territoires urbains ou périurbains dans lesquels existe une suractivité contrainte de médecins souvent vieillissants ou bien lorsqu’il faut plus de vingt minutes pour se rendre chez son généraliste, ou encore lorsque le territoire est marqué par un vieillissement important de la population. J’y adjoins volontiers une question sensible, celle du délai raisonnable pour obtenir l’accès à un médecin – en dehors de l’urgence, bien sûr.

Je ne sais pas comment répondre à cette question, mais la poser nous oblige à prendre en compte deux exigences : la délégation de tâches, qui devra prospérer, ainsi que le développement de la télémédecine. Votre article 12 est consacré à cette dernière, mais sa rédaction ne change rien à l’affaire : la télémédecine est déjà bien définie à l’article L. 6316-1 du code de la santé publique et les articles réglementaires s’y rapportant existent. L’expérimentation inscrite à l’article 36 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014 dans neuf régions pilotes a pris, il est vrai, du retard, mais le PLFSS pour 2017 va la prolonger d’un an en simplifiant les procédures, en l’étendant à tout le territoire et en prévoyant son financement. Je connais l’intérêt pour les patients et le retour sur investissement pour la Sécurité sociale du suivi des insuffisants cardiaques – un exemple parmi d’autres. Vous avez donc devant vous un partisan convaincu de la télémédecine bien conduite.

J’en viens à la question de la démographie médicale, question qui oscille toujours entre la critique du manque et la crainte de la pléthore. L’analyse démographique ne saurait être cantonnée à une seule donnée numérique globale, et les chiffres montrent que nous ne sommes pas moins bien pourvus en nombre de médecins, apparemment en tout cas, que nos voisins des pays développés de l’OCDE.

Vous proposez, à l’alinéa 2 de l’article 7 l’institution d’une autorisation administrative délivrée par les agences régionales de santé en vous référant, pour interdire les créations ou transferts de cabinets libéraux, à une densité maximale de médecins pour 100 000 habitants. Si ce seuil est communément utilisé dans les statistiques, il serait ici complètement inopérant, pour ne pas dire baroque. En effet, si l’on vous suivait, il faudrait additionner dans chaque région les spécialistes de médecine générale de premier recours, dont nous avons tant besoin, avec les autres spécialistes médicaux, les médecins du travail par exemple, ou encore les chirurgiens de toutes spécialités. Je ne suis pas sûr que nous améliorerions ainsi la situation de la région Centre et pas davantage celle de l’Île-de-France. L’exemple le plus caricatural serait la ville de Paris : comptant le plus de spécialistes au mètre carré – lesquels exercent très majoritairement en secteur 2 –, elle serait probablement pénalisée par cet article alors qu’elle manque par ailleurs de médecins généralistes et que ce phénomène ne va cesser de s’accroître.

Non, monsieur le rapporteur – et vous le savez parfaitement –, il n’existe pas de jeu de vases communicants entre les zones sur-denses et les zones sous-denses. La contrainte peut même s’avérer très contre-productive en éloignant durablement les jeunes médecins de l’exercice libéral.

Vous voulez infliger la même obligation à d’autres professionnels de santé exerçant en libéral : les chirurgiens-dentistes à l’article 8, les sages-femmes à l’article 9, les infirmiers à l’article 10, les masseurs-kinésithérapeutes à l’article 11 ; autant de professionnels qui n’ont rien demandé et qui s’opposent tous à votre texte – la plupart de leurs représentants me l’ont écrit.

Je veux aborder plus longuement la situation des médecins car elle est toujours mise en avant par nos concitoyens et les médias, à juste titre puisque leur présence détermine très souvent l’implantation d’autres professionnels de santé dans les territoires sous-dotés.

Il n’a échappé cependant à personne que la formation médicale dure entre neuf et onze ans, et que leur activité court sur trente à quarante ans, voire plus. C’est dire si les projections sur le long terme sont difficiles, et si toute décision doit être pesée à l’aune de cette réalité. Aucun modèle ne saurait nous assurer la présence de médecins généralistes ou d’autres spécialités pendant des dizaines d’années, dans tel ou tel territoire, à moins de les y assigner autoritairement.

C’est le sens de votre article 6 qui entend, et je veux le souligner, pour les seuls médecins qui choisiraient l’installation libérale, instaurer dès 2020 l’obligation de s’installer pendant trois ans en zone sous-dense.

Je ne vous opposerai pas, comme je l’ai fait en commission, monsieur le rapporteur, la liberté d’installation,…

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