Intervention de Gérard Sebaoun

Séance en hémicycle du 24 novembre 2016 à 9h30
Accès aux soins égal sur l'ensemble du territoire — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Sebaoun :

…pilier de la charte de la médecine libérale depuis 1927 – charte qui, à mon avis, mériterait d’être actualisée, mais il appartiendra aux médecins libéraux de le dire. Je pense notamment au paiement à l’acte, qu’il faudra bien équilibrer avec la capitation si l’on veut promouvoir la prévention.

Je crois tout simplement, au vu des réactions unanimes des syndicats de jeunes médecins et d’internes que j’ai interrogés, que cette mesure contraignante risquerait de les détourner définitivement de l’exercice libéral. Par ailleurs, et nous avons eu ces échanges en commission, si les internes, indispensables à la bonne marche de nos hôpitaux, sont en effet rémunérés, rappelons qu’un externe de sixième année, lui aussi fort utile, touche une indemnité mensuelle de 279 euros et 52 euros par garde depuis le 1er septembre 2016. On doit pouvoir trouver mieux comme privilégiés à l’âge de 24 ou 25 ans.

Je crois vraiment qu’à la fin de leur cursus les internes auront rendu à la société l’investissement financier consenti pour leur formation.

À ce propos, monsieur le rapporteur, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de remonter le temps et de relire l’histoire fort instructive de l’internat. Les concours de l’externat et de l’internat des hôpitaux de Paris, nés sous le Consulat, en 1802, ont perduré jusqu’à notre époque, quasiment dans leur forme originelle – et très élitiste –, précisément jusqu’aux événements de 1968, qui ont permis de supprimer l’externat, ce qui était régulièrement demandé depuis le début du XIXe siècle. Si les décrets de 1969 et 1970 ont instauré le statut d’étudiant hospitalier, le mot « externe » est resté dans le langage commun.

L’externat devenait enfin obligatoire et accessible à tous les étudiants pendant leur deuxième cycle, ce qui n’alla pas sans réticences dans les services où le mandarinat était roi et il fallut beaucoup de courage pour faire une place à des étudiants ignorés lorsqu’ils n’étaient pas nommés au concours.

Cette démocratisation de la médecine à partir de 1968 a vu le nombre de nouveaux inscrits en première année du premier cycle des études médicales – la PCEM1 – augmenter jusqu’à 40 000 en 1976-1977, redoublants compris. L’instauration du numerus clausus dès 1971, basé sur les capacités de formation des centres hospitaliers universitaires, et non sur les besoins en médecins, était censée réguler ces flux en fixant le nombre de places disponibles en seconde année d’études médicales et odontologiques. En 1977, ce système sera appliqué à la maïeutique, et en 1980 à la pharmacie. Après avoir pointé à environ 8 000 jusqu’à la fin des années 1970 pour les étudiants médecins, le numerus clausus diminua brutalement pour atteindre son plus bas niveau historique en 1993 – 3 500 –, avant de remonter trop lentement jusqu’à 7 500 en 2012 et 7 633 en 2015. La ministre vient de nous annoncer fort heureusement une hausse de 478 places, qui sont les bienvenues.

On mesure pleinement les conséquences de ce yo-yo sur la situation actuelle. Si la hausse du numerus clausus visait à rééquilibrer la démographie dans la perspective des nombreux départs des médecins issus des promotions des années 1970, ce système a aujourd’hui montré ses limites.

Lorsque l’on se penche sur l’évolution du nombre de médecins généralistes, on constate que, dans les années 1990, le nombre de ceux qui s’installaient en médecine libérale était plutôt constant, oscillant entre 2 100 et 2 600. Ensuite, le numerus clausus aidant, le nombre d’installations a malheureusement décru régulièrement pour stagner aux environs de 1 000 par an entre 2004 et 2006.

Notre système de formation aura mis plus de trente ans à se réformer, à se moderniser, à se démocratiser, en passant par bien des péripéties, telle la création des certificats d’études spéciales dans les années 1970, pour former des spécialistes dans des disciplines carencées à l’époque comme l’ORL, l’ophtalmologie, la radiologie ou la gynéco-obstétrique, bientôt supprimés avec la réforme de 1982 qui instaurait l’internat obligatoire de spécialité.

Cette réforme de 1982, bienvenue, présentait pourtant un défaut originel majeur car l’étudiant qui se destinait à la médecine générale ne passait pas par l’internat, et celui qui échouait aux concours devenait généraliste par défaut. Une fois encore, la médecine générale était laissée pour compte. Cette sélection des généralistes par l’échec était délétère et elle fut analysée quinze ans plus tard dans un rapport des professeurs Jean-François Mattei et Jean-Claude Etienne qui proposèrent enfin l’internat obligatoire pour tous et une épreuve nationale classante à l’issue de laquelle chaque candidat choisirait sa filière de troisième cycle. Cette idée fut mise en oeuvre par le gouvernement Jospin dans la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002.

Pour la première fois, dans l’arrêté du 22 septembre 2004, la médecine générale figurait enfin comme une spécialité au même titre que les autres disciplines.

S’agissant de la médecine générale, le troisième cycle est constitué d’une formation théorique et pratique pendant trois ans : trois semestres en service hospitalier agréé, un semestre en cabinet de médecine générale auprès d’un maître de stage, un semestre libre et un semestre lié au projet professionnel de l’interne. C’est dire, monsieur le rapporteur, que votre article 2 est satisfait par ces dispositions. Reconnaissez d’ailleurs que votre proposition n’aurait pas grand sens pour un apprenti chirurgien en troisième année, qui ne saurait trouver dans une zone sous-dense les stages nécessaires à sa formation.

Concernant l’intérêt de l’exercice en ville organisé sous forme pluriprofessionnelle, nous pouvons nous retrouver. On parle d’un millier de maisons pluridisciplinaires ouvertes fin 2016. C’est une bonne nouvelle.

Une évaluation réalisée par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé – l’IRDES – entre 2009 et 2014 met en évidence une logique d’implantation majoritaire des maisons de santé dans des espaces à dominante rurale fragiles en termes d’accès à l’offre de soins et dans les espaces à dominante urbaine.

L’Observatoire national de la démographie des professions de santé atteste qu’environ 63 % des primo-inscrits à l’Ordre s’installent dans la région de leur diplôme. C’est, hélas, 40 % dans la région Centre, mais d’autres secteurs connaissent également des carences. J’ai cherché, en m’appuyant sur les chiffres disponibles, l’intérêt de revenir à l’internat régional. Je n’ai pas trouvé de données convaincantes. Les épreuves nationales classantes, malgré certains défauts, ont permis à l’ensemble des étudiants de troisième cycle de mieux visualiser les postes d’internes disponibles. Ils ont augmenté entre 2004 et 2016 de 45 % en médecine générale – 35 % en Île-de-France, et 45 % à Tours.

J’aborderai plus rapidement les articles suivants.

À l’article 4, vous prônez l’abaissement des charges sociales pour les médecins retraités cumulant emploi et retraite dans les zones sous-denses. Au 1er janvier 2016, sur un effectif total de 10 878 médecins en situation de cumul, 62 % ont moins de 70 ans. Plus de huit sur dix sont des hommes et 45 % sont des médecins généralistes. Leur nombre a été multiplié par dix en dix ans et l’augmentation est continue, selon les chiffres de la Caisse autonome de retraite des médecins de France.

Le plafond de revenus maximum est fixé à un montant raisonnable, autour de 50 200 euros, soit 1,3 fois le plafond de la Sécurité sociale. Ils sont 3 281 en Île-de-France et 323 en région Centre, soit plus de 8 % de médecins retraités encore en activité dans ces deux régions.

Je ne vois aucun inconvénient à ce que ces revenus soient soumis à des cotisations sociales.

Quant à l’article 13, il me semble étonnant de vouloir juger de l’impact et de l’efficacité des modifications importantes que vous proposez par un comité ad hoc d’ici à deux ans, alors que le temps long – et même extrêmement long – domine très largement la situation que vous avez soulevée.

Monsieur le rapporteur, vous le savez, nous payons aujourd’hui – et probablement pour encore quelques années – des erreurs dont nous ne sommes pas responsables. Nous partageons le diagnostic, mais pas l’ordonnance que vous réécrivez à l’identique, ou à peu près, depuis cinq ans. Ayons de la constance avant tout nouveau bouleversement. C’est pourquoi, chers collègues, je vous demanderai d’adopter cette motion de rejet préalable.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion