Intervention de Catherine Coutelle

Réunion du 23 novembre 2016 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Coutelle, rapporteure :

La présente proposition de loi a pour objet d'étendre le délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) aux nouvelles pratiques trompeuses déployées aujourd'hui sur internet. Elle repose sur deux convictions.

Le délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse, reconnu par la loi du 27 janvier 1993, a pour objet de garantir l'accès à l'IVG pour toutes les femmes. Le choix de recourir à l'IVG ne relève pas de l'expression d'une opinion personnelle. Alors qu'un débat sur ce sujet agite aujourd'hui l'opinion publique, je le dis, c'est l'exercice d'une liberté fondamentale qui doit être protégée et garantie en tant que telle. Nous avons, d'ailleurs, en 2014, adopté, à l'unanimité des groupes, une proposition de résolution visant à réaffirmer que l'IVG est un droit fondamental. C'est pourquoi l'entrave à l'interruption volontaire de grossesse est un délit, déjà puni sévèrement par la loi – deux ans d'emprisonnement et jusqu'à 30 000 euros d'amende.

L'entrave à l'interruption volontaire de grossesse trouve sur internet un nouvel espace où s'exercer. Or internet est souvent la première source d'information en matière de santé, particulièrement pour les plus jeunes, comme le montre un rapport du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) de 2013. Parmi les quinze-trente ans, plus de 57 % de femmes et 40 % d'hommes utilisent internet pour se renseigner sur des questions relatives à la santé ; 80 % des jeunes qui y ont recours jugent crédibles les informations recueillies, sans vérifier l'origine des sites ni la fiabilité de ceux qui les alimentent.

Face à la multiplication des pratiques trompeuses sur internet, il est crucial d'agir contre la désinformation en matière d'IVG. Cette désinformation volontaire est une stratégie de lobbies. Ces lobbies ne s'expriment pas dans le simple but de partager une opinion ; leurs pratiques peuvent aller jusqu'à la pression psychologique et morale sur des femmes enceintes ou des personnels d'établissements pratiquant l'IVG.

Ainsi, certaines femmes s'orientent sans se méfier vers le site IVG.net, qui est le plus connu, car il est très référencé et propose un numéro vert. Une femme de vingt-neuf ans raconte : « On m'a demandé s'il n'y avait pas, au fond de moi, une petite voix me disant que je voudrais garder mon enfant et me conseillant de repousser mon rendez-vous chez le gynécologue ». Cette jeune femme a ensuite été harcelée par sms et au téléphone jusqu'à ce qu'elle accepte de repousser le rendez-vous. Elle ne l'a pas fait et a menacé de déposer plainte. Les sms ont alors cessé. Quand elle s'est tournée vers d'autres structures, comme le Planning familial, elle a raconté comment elle avait été trompée.

Mais il peut parfois être trop tard pour faire pratiquer une IVG, les contacts pris par certains sites promettant des rendez-vous qui n'arrivent jamais. En outre, certains numéros verts indiquent des centres d'IVG qui n'existent pas.

Il suffit donc de creuser un peu pour s'apercevoir que les personnes qui sont derrière ces sites sont tout, sauf neutres. Ainsi, derrière IVG.net, on trouve une association SOS-Détresse, créée par des militants antichoix. Comment s'étonner alors des propos tenus par les personnes qui répondent aux numéros verts indiqués sur ces sites ?

Un chroniqueur de France Inter, vous l'avez peut-être entendu, a appelé un de ces numéros verts en se disant opposé à ce que son amie se fasse avorter. Voici ce qu'on lui a répondu : « 80 % des couples se séparent après une IVG » ; « après une IVG, elle fera une fausse couche » ; « elle va avoir des cauchemars, des angoisses, elle se demandera d'où vient ce mal-être et, dès qu'elle verra un bébé, elle deviendra agressive ».

Ces agissements relèvent sans aucun doute du délit d'entrave à l'IVG, défini à l'article L. 2223-2 du code de la santé publique comme étant « le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher de pratiquer ou de s'informer sur une interruption de grossesse ». Ce délit d'entrave se caractérise soit par la perturbation de l'accès aux établissements qui pratiquent l'IVG et la libre circulation des personnels médicaux, soit en exerçant des pressions morales ou psychologiques, des menaces ou tout acte d'intimidation à l'encontre des personnels médicaux, des femmes venues subir une IVG ou de l'entourage de ces dernières. Ce délit a été inscrit dans la loi dès 1993, lorsque les antichoix s'attachaient aux grilles des établissements ou empêchaient, voire menaçaient les personnels qui y travaillaient.

La loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a étendu ce délit au fait de perturber l'accès des femmes à l'information sur l'IVG. Nous souhaitons compléter à nouveau cet article, en ajoutant que le délit se caractérise « par tout moyen de communication au public, y compris en diffusant ou en transmettant, par voie électronique ou en ligne, des allégations ou indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d'une interruption volontaire de grossesse. »

Le droit des femmes à disposer de leur corps est aujourd'hui pleinement reconnu par la loi, mais nous devons rester vigilants en permanence. C'est ce que nous faisons ici. C'est pourquoi je m'étonne que les sénateurs aient refusé d'examiner l'amendement initial du Gouvernement sur ce sujet.

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