Intervention de Patrice Carvalho

Réunion du 22 novembre 2016 à 18h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrice Carvalho :

Après l'accord de Paris que 113 pays signataires ont ratifié, la COP22 à Marrakech avait pour objectif de passer des paroles aux actes. Au chapitre des points positifs, on relève que onze nouveaux pays ont mis à profit cette conférence pour ratifier à leur tour l'accord. Néanmoins, le sommet s'est ouvert avec en toile de fond l'élection de M. Donald Trump, et chacun avait en mémoire ses propos de tribune, ses professions de foi climato-sceptiques, mais surtout son intention affirmée de dénoncer l'accord de Paris et de quitter la convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique.

Depuis qu'il a été élu, il a certes un peu tempéré ses propos mais, en même temps, il s'apprête à nommer un certain M. Myron Ebell à la tête de l'agence de protection de l'environnement américaine, l'EPA (Environnemental Protection Agency). Cette instance est chargée de mettre en oeuvre l'accord de Paris et de faire respecter les engagements pris par les États-Unis. Or ce personnage est l'un des plus en pointe dans l'équipe de M. Trump pour considérer que le changement climatique « n'est qu'un canular inventé par les Chinois ou les Européens pour tuer l'industrie américaine ». Dans ces conditions, que peut-il se passer ?

J'imagine mal les États-Unis aller au bout des intentions de M. Donald Trump mais ils peuvent se contenter de ne rien faire et, pour commencer, ne pas respecter l'engagement pris par M. Barak Obama de réduire de 26 à 28 % les émissions de gaz à effet de serre de son pays d'ici à 2030 ; c'est une possibilité dès lors que l'accord de Paris n'est pas contraignant. Ce choix serait très préjudiciable à l'objectif poursuivi, destiné à contenir le réchauffement en deçà de deux degrés, d'autant que nous savons que les engagements actuels des États signataires se situent plutôt à trois degrés.

Cette COP22 se tenait au Maroc, c'est-à-dire en terre africaine, ce qui n'est pas anodin. En 2009, au sommet de Copenhague, les pays développés avaient décidé de créer le Fonds vert afin de mobiliser 100 milliards de dollars par an d'ici à 2020 pour aider les pays en développement à faire face au changement climatique. La COP21 a choisi d'étendre cet objectif jusqu'en 2025. Pour l'heure, le Fonds vert n'est capitalisé qu'à hauteur de 10 milliards de dollars pour la période 2015-2018, soit 2,5 milliards par an en moyenne.

La COP22 de Marrakech devait être un rendez-vous majeur pour l'agriculture, celle des pays en développement en tout premier lieu. Pourtant, la cause n'aura pas avancé d'un pouce. Il s'agit bien d'un enjeu vital : 66 % de la population du continent africain travaillent dans le secteur agricole. Et il s'agit de nourrir une population à la démographie exponentielle particulièrement exposée aux conséquences du changement climatique : sécheresses, inondations, montée du niveau de la mer, chute des rendements, acidification des sols… Ces manifestations contraignent des millions de personnes à migrer, dans des proportions infiniment plus grandes que ceux qui fuient aujourd'hui la guerre. L'ONU estime à 83,5 millions le nombre de « réfugiés climatiques » recensés de 2011 à 2014 et en prévoit 250 millions en 2050.

Le défi est triple : il s'agit à la fois de lutter contre les fléaux résultant du réchauffement climatique, et notamment la sécheresse, d'assurer la sécurité alimentaire et de limiter les émissions de gaz à effet de serre. Un texte aurait dû être adopté à Marrakech mais il a été renvoyé à une réunion ultérieure à Bonn. La pierre d'achoppement réside dans le refus d'un certain nombre de pays, avec le concours de l'agrobusiness, de renoncer au modèle d'agriculture intensive et d'exportation. Or ce modèle basé sur les grandes monocultures destinées davantage à l'exportation qu'à nourrir les populations locales, très émetteur de gaz à effet de serre, et recourant aux intrants chimiques, est catastrophique.

À Marrakech, des alternatives ont été évoquées afin de modérer l'agriculture intensive, d'arrêter d'épuiser les sols pour, à l'inverse, les utiliser comme puits de carbone : un tel processus de stockage contribuerait non seulement à contenir les émissions de CO2 mais aussi à apporter de la matière organique et donc à favoriser la fertilité des sols. De ce point de vue, la COP22 apparaît comme un rendez-vous manqué.

Néanmoins, nous mesurons mieux que des solutions existent contre le réchauffement climatique. L'obstacle à franchir, et il n'est pas mince, réside dans le mode de développement aujourd'hui dominant à l'échelle de la planète : un libéralisme mondialisé qui, dans sa logique même, fait fi de l'environnement. Pour y faire face, nous avons besoin de volonté politique. On ne peut pas dire qu'elle soit manifeste. Les résultats de la COP22 en apportent la preuve et montrent les limites des engagements de Paris, dès lors que ceux-ci ne sont pas contraignants.

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