Intervention de Ségolène Royal

Réunion du 22 novembre 2016 à 18h30
Commission des affaires économiques

Ségolène Royal, ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat :

Vous questions sont intéressantes et variées sur ce sujet à la fois dense et technique dont la portée est presque civilisationnelle.

Monsieur Laurent Furst, vous avez évoqué le problème de l'investissement pour les petites fermes. Nous avons déployé des soutiens à la méthanisation : en septembre 2015, j'ai pris un arrêté tendant à rétablir les tarifs préférentiels, en attendant un arrêté révisant plus globalement le soutien. Il faut augmenter la rentabilité des méthaniseurs. Nous avons aussi soutenu le raccordement des installations photovoltaïque des exploitations agricoles, en réduisant ses tarifs. Enfin, nous avons attribué 10 millions d'euros à l'amélioration des dispositifs d'épandage, une somme prélevée sur le Fonds de transition énergétique.

Quel rapport y a-t-il entre la transition énergétique et la maîtrise des intrants, notamment les intrants chimiques comme les pesticides, me direz-vous ? Précisément, je souhaite que le pouvoir d'achat des agriculteurs soit globalisé et que l'on puisse les aider en matière de transition écologique et énergétique. Je pense d'ailleurs qu'ils se sont saisis de ce nouvel outil. En tout cas, je suis extrêmement vigilante car j'ai constaté, sur mon propre territoire du Poitou-Charentes, qu'il était difficile de rentabiliser certains équipements de méthanisation. Arrivée à la tête du ministère, c'est l'un des premiers dossiers dont je me suis emparée, à la lumière des expériences que j'avais vécues sur le terrain et des freins que j'avais observés. Si vous pensez à des projets plus précis, je serais tout à fait heureuse de pouvoir contribuer à leur émergence.

Vous m'avez interrogée sur l'existence de dispositions particulières concernant le milieu hospitalier. C'est vrai que la question se pose pour toutes les grandes infrastructures, notamment les universités qui sont souvent des passoires énergétiques. En liaison avec le ministère, la Caisse des dépôts et consignations a mis en place des prêts à taux zéro qui rendent le rendement de l'investissement très efficace mais qui sont parfois méconnus. Des blocages juridiques ont été levés : certaines universités, qui n'avaient pas le droit d'emprunter, peuvent désormais le faire et avoir recours à ces prêts de la Caisse des dépôts. Il faut aussi encourager les hôpitaux à s'engager dans cette voie tout en mettant en place les projets de lutte contre le gaspillage alimentaire. Pour renforcer la prise de conscience de l'importance de tous ces sujets, nous allons conduire des actions de mobilisation.

Vous avez évoqué ensuite la question de l'alternance politique. Bonne question ! J'ai la même préoccupation que vous car je pense notamment qu'il ne faut pas ballotter les filières industrielles, et je me réjouis de la qualité du travail accompli tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. L'accord de Paris a été ratifié à l'unanimité sur tous les bancs de l'Assemblée nationale, à l'exception du Front national. Il en est allé de même au Parlement européen où l'accord a rassemblé les sensibilités politiques. C'est une très bonne chose que l'argument du climato-scepticisme n'ait pas été utilisé, y compris lors des débats pour les élections primaires de la droite et du centre. La question du réchauffement climatique n'y a malheureusement pas été beaucoup évoquée ; en contrepartie, elle n'a pas fait l'objet d'une instrumentalisation comme aux États-Unis.

N'ignorons pas l'existence d'une sensibilité que nous avons vu surgir dans les débats à propos du nucléaire. Dans ce domaine-là aussi, j'ai veillé à ce que l'on n'oppose pas les énergies les unes aux autres. En outre, la fermeture de certains réacteurs pour des raisons de sûreté nous oblige à reconsidérer l'importance de la part du nucléaire dans la production d'électricité et à accompagner sa diminution. Les investissements dans la remise à niveau de la sûreté des réacteurs vont peut-être coûter beaucoup plus cher que le déploiement des énergies renouvelables. En tout cas, nous avons besoin des différents types d'énergie et il ne faut pas les opposer les uns aux autres. C'est pourquoi j'espère que ces dispositifs et ce travail considérable survivront aux éventuelles alternances politiques.

Monsieur Michel Lesage, vous m'avez interrogé sur les réacteurs nucléaires. Nous devons en effet être vigilants. L'Autorité de sûreté nucléaire a pris des décisions qui ont un peu surpris l'opérateur EDF mais la sécurité ne souffre pas de discussions. Nous allons voir si les autorisations de redémarrage sont données ou pas. Quoi qu'il en soit, cette tension sur la production d'électricité va justifier une nouvelle mobilisation en faveur des économies d'énergie. D'un côté, il y a beaucoup de précarité ; de l'autre, il y a beaucoup de gaspillage que ce soit dans les commerces, les bureaux ou les domiciles. Tous les appareils en veille consomment une énergie qui représente la production d'un réacteur nucléaire. Des progrès restent à faire en ce qui concerne l'éclairage public et le chauffage des bureaux en dehors des heures d'ouverture.

On sous-estime la part des économies d'énergie possibles. Dans les familles à énergie positive, qui ont été soutenues par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), par exemple, on s'est rendu compte qu'un ménage pouvait économiser jusqu'à 50 % de sa consommation grâce à une bonne gestion, sans même réaliser de travaux. Cette bonne gestion passe par de petits gestes quotidiens : mettre un couvercle sur la casserole, faire démarrer ses machines à laver pendant les heures creuses, etc. La Greentech verte a mis au point de nouveaux services et de nouvelles technologies permettant notamment la gestion des appareils électriques à distance au moyen des téléphones portables.

C'est aussi l'occasion de relancer la citoyenneté énergétique. Je forme le voeu que les parlementaires soient les relais de ces mouvements auxquels les gens adhèrent dans un état d'esprit très positif : ils peuvent se faire du bien en réduisant leurs factures tout en étant citoyens du monde. Nous allons donc lancer sans tarder des actions en faveur des économies d'énergie, en commençant par une campagne de presse nationale que je vous engage à relayer dans les territoires.

MM. Thierry Lazaro et Michel Lesage sont revenus sur les chèques énergie. Je croyais avoir répondu en vous assurant de ma vigilance quant au bilan et aux possibilités d'amélioration du dispositif avant son extension. Il faut améliorer l'interconnexion des certificats d'économie d'énergie qui représentent tout de même un montant de 4 milliards d'euros, sachant que la dépense publique pour les chèques énergie s'élève à 600 millions d'euros. Cherchez l'erreur ! Pas plus tard que ce matin, j'ai insisté auprès de mes services sur la nécessité d'y voir plus clair et d'être créatif et imaginatif. Vous allez être associés à cette réflexion et vous pourrez faire part de vos observations. Il faut améliorer l'usage des certificats d'économie d'énergie afin qu'ils servent davantage aux citoyens les plus précaires.

M. Jean-Louis Bricout m'interroge sur le bilan des TEPCV dont le succès extraordinaire dépasse nos espérances. Vous pouvez d'ailleurs constater la créativité, l'imagination et l'esprit de cohésion qui existent sur le terrain. L'identité des territoires se manifeste aussi selon le choix des projets. Je me suis mise à la place des élus locaux : le dispositif n'est pas rigide ; il n'y a pas de circulaires draconiennes. Ayant été moi-même une élue locale pendant longtemps, je vois comment on peut saisir un outil et l'utiliser en toute liberté. Ces TEPCV recouvrent six grands thèmes et comportent des mesures très simples. Les élus locaux et les forces vives – associations et entreprises – ont parfaitement compris la philosophie de ces instruments et on voit émerger des projets formidables.

Pour renforcer la mutualisation, un document tout simple vient d'être créé sur cette communauté des territoires. Les territoires s'y expriment, échangent leur savoir-faire, etc. Ce mouvement sert les économies d'énergie, la montée en puissance des économies renouvelables, et aussi la citoyenneté. Je viens d'y ajouter un volet biodiversité dont les territoires se saisissent. Il peut s'agir de la reconquête de la nature en ville, de l'éducation à l'environnement dans les écoles où sont notamment créés des coins potagers, ou encore des trames vertes et bleues. Dans un registre plus inquiétant, celui des pollinisateurs, nous finançons des ruches communales dans les territoires à énergie positive. Pour que la créativité puisse continuer à s'exprimer, je veille à ce qu'il n'y ait pas de rigidités ou le retour à des pratiques bureaucratiques. Je ne veux pas que l'on reformate les territoires parce que leur richesse dépend de leur diversité.

Monsieur Serge Bardy, le leadership de M. Barack Obama va en effet disparaître. C'est la France qu'on attend pour assurer ce leadership, et aussi l'Europe. Je l'ai tellement senti à Marrakech, auprès de mes contacts qui me demandent de ne pas les lâcher ! La COP23 sera organisée par les îles Fidji, un État insulaire directement frappé par la montée du niveau de l'océan. Les futurs organisateurs se sont tournés vers moi et m'ont demandé de les aider. Pour des raisons matérielles, la COP23 se tiendra à Bonn, au siège de la convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC), mais il est évident que le leader de la lutte contre le changement climatique est la France : nous sommes les plus en avance sur cette question au sein de l'Union européenne ; nous avons réalisé l'accord de Paris ; nous avons réussi la ratification et les coalitions ; et nous avons un réseau diplomatique qui a parfaitement compris les enjeux.

Les gens me disent qu'ils comptent sur nous pour la suite. Nous n'allons pas faire de l'ingérence et nous incruster partout, mais je leur ai répondu qu'ils pouvaient venir nous chercher. Nous sommes disponibles et nous allons continuer. L'accord de Paris restera sous ce nom dans l'histoire du climat. En 2030 ou en 2050, au moment de tirer les leçons, on parlera toujours de l'accord de Paris. Nous sommes les gardiens, les vigies de cet accord. Nous en sommes responsables et nous avons les compétences pour l'assumer.

Il nous reste à entraîner l'Europe car certains pays, dont je tairai le nom, n'ont pas encore ratifié l'accord. Il faut aussi répartir les efforts, sachant que des pays traînent des pieds. Il faut enfin renforcer l'ambition. Chaque pays européen doit donner la date des délibérations de son parlement sur la mise en place de l'équivalent de notre loi de transition énergétique. Je continue à faire ce travail. Si les États-Unis lâchent le leadership climatique et que l'Europe prend le relais, c'est une chance pour cette dernière. C'est une chance pour nos entreprises et pour nos savoir-faire. C'est l'occasion de nous positionner sur les marchés mondiaux.

À la suite de l'élection de M. Donald Trump, la Chine a d'ailleurs déclaré qu'elle ne voulait pas lâcher le leadership. La Chine et les États-Unis ont joué ensemble ; les deux pays ont ratifié l'accord au même moment, ce qui a créé une impulsion. L'Inde met en place la coalition solaire. En Amérique latine, les pays réagissent un peu plus en ordre dispersé. En Afrique, où les énergies renouvelables doivent se développer, l'Europe – dont la France est la locomotive – est très attendue.

Madame Annick Le Loch, vous m'avez interrogée sur la mer et les zones de conservation halieutiques, qui sont de nouvelles aires marines protégées. Dans le cadre de l'enquête publique, les pêcheurs seront associés au projet, de même que toutes les forces vives qui siègent d'ailleurs au Conseil national de la mer et des littoraux (CNML). La stratégie nationale pour la mer et le littoral, qui a été finalisée et adoptée, sera publiée très prochainement. Elle comprend de grands chapitres opérationnels. La France est la première – et non la seconde, comme on le dit souvent – puissance maritime du monde, la seule à être présente dans les six parties de l'océan, ce dernier étant compris au sens où l'entendent les scientifiques qui considèrent que tous les océans communiquent. Grâce aux outre-mer, la France est le pays où le soleil ne se couche jamais. Nous avons une responsabilité et nous sommes aussi une locomotive dans les conférences internationales sur les océans. On se tourne vers nous pour connaître notre position.

Je viens de publier la décision d'étendre les aires marines protégées des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), une mesure adoptée dans le cadre de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. L'arrêté de protection des eaux territoriales de l'atoll de Clipperton – le dernier espace qui n'était pas protégé – paraîtra demain au Journal officiel. Le Mexique y était opposé et l'affaire durait depuis quinze ans. Après la COP21 et la COP22, j'ai décidé de protéger cet atoll en prenant cet arrêté. Dans cette partie du monde, on attendait que la France bouge sur ce sujet.

Madame Viviane Le Dissez, vous avez soulevé les difficultés qui peuvent survenir dans l'application du chèque énergie aux locations meublées et aux foyers-logements. Le chèque énergie est applicable aux locations meublées où des compteurs individuels peuvent être installés. Dans les foyers-logements, des actions de sensibilisation sont menées pour que les personnes connaissent leur consommation. Ils en ont le droit. Il n'y a aucune raison de ne pas permettre l'accès à la citoyenneté de tous, y compris des gens qui sont dans une grande dépendance. Vous vous êtes beaucoup impliquée dans les COP, sans parler du Conservatoire du littoral, des sujets très importants.

Monsieur Jean-Pierre Le Roch, nous devons effectivement améliorer les dispositifs concernant le biogaz porté, sujet intéressant qui a fait l'objet d'un travail spécifique dans le cadre d'un comité national récemment mis en place. J'ai découvert des tas de choses au cours de débats qui ont été passionnants. Les spécialistes du biogaz sont d'ailleurs eux-mêmes des passionnés. Ce biogaz porté constitue l'un des moyens d'atteindre les objectifs ambitieux fixés par la programmation pluriannuelle de l'énergie. Je veux absolument trouver des solutions pour aider ces agriculteurs. Ceux d'entre vous qui veulent participer à ces travaux sont les bienvenus.

Monsieur Yves Daniel, vous posez une question majeure : comment accélérer les travaux permettant la transition énergétique, en tenant compte, au cours du processus de décision, de l'acceptabilité sociale des équipements ? Il me semble que nous avons trouvé un équilibre. Je veux réduire les délais et empêcher les recours abusifs tout en respectant le dialogue. Il faut que les projets soient éventuellement réorientés dès le départ ou soumis à un référendum quand il existe un choix, afin d'éviter des contentieux qui ne sont que des comptes à régler et qui se retournent contre l'environnement et le développement économique. Pour trouver un équilibre, nous pouvons nous appuyer sur la charte de la participation du public et sur la réforme de la démocratie environnementale qui, en cas de consultations publiques, oblige à proposer un choix entre plusieurs projets. Le fait d'avoir à comparer des projets – plutôt que d'avoir seulement à répondre par oui ou par non – change la perspective.

La charte de participation du public doit aussi être utilisée pour régler le problème des ondes électromagnétiques. En tout cas, ce problème ne doit pas être passé sous silence. Une proposition de loi relative aux ondes électromagnétiques a d'ailleurs été adoptée, ce qui est une bonne chose. Il ne faut ni exagérer, ni fantasmer, ni ignorer ou mépriser le sujet. La réalité des faits doit éclairer la prise de décision.

En ce qui concerne Areva, je peux vous dire que l'État reste très attentif à ce dossier et qu'il prend ses responsabilités en restructurant la filière nucléaire pour assurer sa pérennité. L'État a recapitalisé Areva à hauteur de 5 milliards d'euros ; il a favorisé les discussions avec les investisseurs tiers, en vue de la mise en oeuvre de nouveaux partenariats industriels. À un moment, il y avait un blocage concernant l'entrée de la Chine dans le capital d'Areva. Pour ma part, j'y suis particulièrement favorable parce que je trouve que ce genre de partenariat est intelligent. La Chine et l'Inde ont des projets d'installation de filières nucléaires, associées à des filières de transition énergétique et d'énergies renouvelables. S'ils doivent évidemment être noués dans des conditions qui respectent les secrets industriels et les brevets, ces partenariats sont constructifs et nous ne devons pas nous en priver. Vous aurez l'occasion d'en parler demain.

Quoi qu'il en soit, je vous remercie pour la variété de vos questions et pour vos messages de gratitude qui me font très plaisir. Je vous remercie aussi pour votre travail. Quand on est porté par des parlementaires très présents au cours des débats et qui s'engagent, il est plus facile d'obtenir des résultats.

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