Intervention de Michel Sapin

Séance en hémicycle du 29 novembre 2016 à 15h00
Sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre — Présentation

Michel Sapin, ministre de l’économie et des finances :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, nous allons donc examiner aujourd’hui la proposition de loi présentée par Dominique Potier, visant à instaurer un devoir de vigilance pour les sociétés mères et les entreprises donneuses d’ordre à l’égard de leurs filiales.

Ce texte porte une ambition forte. Il impose aux grandes entreprises l’obligation, d’une part, de prendre les mesures adéquates pour respecter, dans l’exercice de leurs activités, les droits fondamentaux et préserver nos ressources naturelles et, d’autre part, de rendre publiques les mesures prises.

Cet objectif est pleinement partagé par le Gouvernement, tout comme, je n’en doute pas, par une très large majorité de députés. Aujourd’hui, il n’est plus envisageable que certaines entreprises puissent utiliser les différences de législation ou de niveau de vie pour augmenter leurs profits au détriment des salariés ou de l’environnement.

La proposition de loi présentée par Dominique Potier vise à résoudre ce problème en imposant aux grandes entreprises un devoir de vigilance applicable à l’ensemble de leurs activités, en France comme à l’étranger, ainsi qu’à celles de leurs fournisseurs et sous-traitants.

L’histoire de ce texte est bien connue mais elle mérite d’être rappelée. Le drame du Rana Plaza, que nous connaissons tous, en est à l’origine. Après cette catastrophe, plusieurs parlementaires de la majorité ont légitimement souhaité réagir.

Une première proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des entreprises multinationales a ainsi été déposée en 2013. Elle faisait écho à la mobilisation de la société civile et des organisations non gouvernementales. Elle soulevait toutefois de nombreuses questions, aux points de vue juridique et économique, auxquelles il n’était pas possible de donner une réponse satisfaisante.

Une seconde proposition de loi, présentée par Dominique Potier, a par conséquent été déposée en février 2015. C’est de celle-ci que nous débattons aujourd’hui. Malgré les modifications importantes qui ont été apportées sur le fond par rapport à la première initiative, j’ai constaté, le mois dernier, qu’elle suscitait toujours une opposition franche de la majorité sénatoriale devant laquelle je l’ai défendue. La droite sénatoriale évoque notamment le risque d’affaiblir économiquement et d’isoler notre pays avec une législation contraignante, pénalisante pour le développement de nos entreprises. Ces craintes ne me paraissent pas fondées.

L’instauration d’un devoir de vigilance pour les grandes entreprises répond à l’exigence impérieuse de responsabiliser les acteurs économiques afin qu’ils intègrent dans l’exercice de leurs activités des préoccupations supérieures, touchant à l’intérêt général. Le développement économique est un bien pour tous si ses fruits sont équitablement partagés mais il ne peut se faire au détriment de la protection de la personne, de l’environnement et de la santé publique.

En ce sens, la proposition de loi s’inscrit dans la lignée des textes que vous avez adoptés depuis 2012, avec l’entier soutien du Gouvernement, en faveur d’une plus grande moralisation de l’économie et d’une prise de conscience des entreprises en ce qui concerne leur responsabilité sociale et environnementale.

Je pense en particulier à la loi du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale ; à la loi du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale ; et à la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de l’économie, que certains appellent « loi Sapin 2 », qui prévoit une obligation de vigilance dans le domaine de la lutte contre la corruption.

Ces préoccupations ne sont d’ailleurs pas propres à la France puisque la directive européenne du 22 octobre 2014, dite « directive RSE », a renforcé les obligations des entreprises dans ce domaine.

Ces différents textes nationaux partagent une même ambition : celle d’introduire une plus grande régulation, une plus grande transparence dans la sphère économique et financière en portant la législation française aux meilleurs standards européens et internationaux.

Comme vous le savez, l’hostilité de la majorité sénatoriale et la différence d’analyse sur la finalité de ce texte n’ont pas permis à la commission mixte paritaire d’aboutir à un accord sur un texte.

Je sais que le temps qui a précédé cette nouvelle lecture a été particulièrement utile. Il a permis un travail fructueux, conduit par Dominique Potier en lien avec la société civile : je voudrais remercier votre rapporteur, auteur de ce texte, ainsi que celles et ceux avec qui il a travaillé, pour leur détermination, leur volonté d’aboutir, mais aussi leur souci – légitime – de prendre en compte un certain nombre de préoccupations pratiques ou juridiques qui sont indispensables à la réussite de cette entreprise.

Ce travail collégial, auquel le Gouvernement et mon cabinet ont participé activement, montre un large soutien et une véritable adhésion à l’ambition portée par ce texte.

Ces discussions ont permis de renforcer la sécurité juridique et de préciser le texte, ce qui a permis de lever certaines des ambiguïtés qu’il recelait et que j’avais évoquées en toute transparence au Sénat. Je tiens donc à vous remercier, les uns et les autres, d’avoir contribué à ce travail exigeant visant à améliorer la rédaction du texte.

Cela dit, il convient de demeurer vigilant sur les aspects constitutionnels. D’abord, la définition du champ d’application matériel des obligations de vigilance, qui relève de la compétence du législateur, doit être suffisamment précise.

Ensuite, la conformité au principe de proportionnalité des peines du montant des amendes civiles prévues aux articles 1er et 2 de la proposition de la loi doit être respectée.

Notre débat doit également s’intéresser aux conséquences de ces dispositions sur notre économie et sur la compétitivité – ce qui n’est pas un gros mot – de nos entreprises sur la scène internationale. Vous connaissez mon implication dans ce domaine en tant que ministre de l’économie et des finances : de ce point de vue, je voudrais apporter quelques précisions qui me paraissent nécessaires.

Cette proposition de loi n’est pas un texte punitif qui aurait vocation à stigmatiser nos entreprises, bien au contraire. Responsabiliser les grandes entreprises ne signifie pas brider l’activité économique et l’innovation : responsabiliser veut dire prévoir et réfléchir aux conséquences avant d’agir.

En outre, l’obligation d’établir un plan de vigilance, qui ne s’appliquera qu’aux plus grands groupes français, et non aux petites et moyennes entreprises, n’entravera en rien le développement et la croissance de ces sociétés : au contraire.

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