Néanmoins, comme Patrick Hetzel et Jean-Marie Tétart l’ont indiqué en première lecture, et comme cela a été dit également au Sénat, notre groupe regrette que vous nous présentiez ici un texte plus dur que la directive européenne qui porte sur ce sujet et qui, de toute façon, doit être transposée avant le 6 décembre 2016. Le rapporteur, au Sénat, a indiqué qu’il valait mieux transposer cette directive, puisqu’elle existe, plutôt que de privilégier, comme souvent, une vision purement française, orgueilleuse et donneuse de leçons. C’est en effet une curieuse conception de la politique européenne que vous avez : vous voulez toujours être plus vertueux que les autres – peut-être est-ce ce qui agace un peu nos collègues européens. Le rapporteur, au Sénat, a opposé la directive, qui repose sur l’incitation, et votre proposition de loi, qui opte pour une approche coercitive et punitive. Vouloir être plus vertueux que les autres, c’est placer les entreprises françaises dans une situation intenable.
Ce nouveau texte est un nouveau signal contradictoire envoyé par le gouvernement socialiste. Alors que vous défendiez la nécessité d’une relation de confiance avec les chefs d’entreprise, vous visez ici, non pas des petits margoulins, mais des entreprises de plus de 5 000 salariés, qui ont donc une envergure internationale et qui se trouvent en concurrence directe avec des entreprises étrangères. La confiance, monsieur le ministre, se construit sur des actes, et pas seulement sur des paroles.
Qui plus est, il existe déjà un arsenal de transparence sur ces questions, structuré par la loi Grenelle II, qu’il convient d’utiliser sans tout chambouler. Par ailleurs, la France signe régulièrement des accords internationaux : principes directeurs de l’OCDE, conventions de l’Organisation internationale du travail, Déclaration universelle des droits de l’homme. Les entreprises françaises étant plutôt considérées comme extrêmement vertueuses, pourquoi les stigmatiser ? D’un point de vue économique, le risque d’atteinte à la compétitivité est réel.
Un tel texte créerait une inégalité de traitement manifeste entre les entreprises françaises et les autres entreprises européennes, compte tenu des obligations supplémentaires qu’il ferait peser sur les premières. Le texte pourrait également créer une perturbation des relations économiques et contractuelles tout au long de la chaîne de sous-traitance. Les entreprises françaises seraient ainsi directement impactées par répercussion du devoir de vigilance dans des clauses contractuelles plus contraignantes que celles auxquelles sont tenues les entreprises européennes avec lesquelles elles sont en concurrence. Ce seraient aussi de nouvelles contraintes et de nouvelles charges administratives en perspective.
Ce texte aurait aussi un impact sur les PME étrangères et sur le développement du tissu local d’entreprises des pays émergents. La proposition de loi pourrait en effet conduire les entreprises françaises à remettre en cause leurs contrats et à se retirer, en tout ou partie, de certains marchés étrangers, dans des pays qui leur apparaîtraient comme porteurs de risques. Juridiquement, ce texte ouvre des brèches dangereuses dans la stabilité juridique, dont les entreprises ont tant besoin : incertitudes concernant les normes de référence sur la base desquelles le plan de vigilance devrait être élaboré ; imprécision concernant le régime de l’amende civile et la portée incertaine du régime de responsabilité figurant dans le texte. De nombreuses questions devront donc être tranchées par le Conseil constitutionnel – et, du reste, certaines de vos interventions montrent que vous en avez parfaitement conscience.
Et c’est sans compter les risques d’instrumentalisation, dès lors que toute personne intéressée pourrait engager une action en responsabilité en cas de dommage pouvant être rattaché de manière directe ou indirecte à son activité à l’étranger.
Cet intérêt à agir extrêmement large ne peut qu’inquiéter les entreprises. Nous ne souhaitons pas que les pouvoirs publics abandonnent le contrôle du respect de la loi à des intérêts privés pour lesquels aucune transparence, représentativité et exigence d’honorabilité ne sont organisées.
En tout état de cause, il est peu probable qu’une telle législation, si elle était adoptée par la France, et uniquement par elle, améliore par elle-même la situation sociale et environnementale des pays en développement. L’enjeu principal, c’est le développement de ces pays. Il faut les aider à améliorer le sort de leurs travailleurs et à se doter d’un système juridique efficace pour sanctionner et indemniser de tels dommages sur leur territoire.
Pour toutes ces raisons, comme en première et deuxième lecture à l’Assemblée et au Sénat, le groupe Les Républicains ne votera pas cette proposition de loi imprécise juridiquement et qui fera planer l’ombre de la sanction chaque fois qu’un groupe voudra externaliser sa production dans des pays émergents.