Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, chers collègues, l’histoire peut faire son oeuvre sans que justice soit rendue à ses victimes. C’est la raison pour laquelle nous sommes aujourd’hui présents dans cet hémicycle afin d’effectuer ensemble un acte solennel pour la République et notre nation. La résolution qui vous est proposée comporte en effet une charge symbolique toute particulière en raison même de son objet.
Il s’agit, pour notre assemblée, de proclamer la réhabilitation des victimes de la répression de la Commune de Paris de 1871, sur le fondement, bien sûr, des faits établis par les historiens. Le temps est désormais venu, pour la République, de rendre honneur et dignité à ces milliers de femmes et d’hommes qui, parce qu’ils étaient des communards, furent victimes d’une répression impitoyable. Tel est l’objet de cette proposition de résolution, qui répond tout autant à un « devoir d’histoire », pour reprendre la belle et juste formule de l’historien Antoine Prost, qu’à un devoir de justice.
Les faits sont connus. Les historiens ont oeuvré : de nombreux travaux ont été publiés sur la Commune de Paris et sa terrible fin, qui se déroula en deux périodes.
Ce fut d’abord la Semaine sanglante, celle des jugements prononcés de manière expéditive et des exécutions sommaires. Elle débuta le 21 mai 1871 avec l’entrée des troupes versaillaises dans la capitale et s’acheva le 28 mai avec la chute de la dernière barricade de la rue de la Fontaine-au-Roi, défendue notamment par Jean-Baptiste Clément, l’auteur du Temps des Cerises. Son bilan demeure imprécis, tant elle fut féroce, mais il y eut, selon les estimations, entre 10 000 et 20 000 morts. L’incertitude même pesant sur ce nombre montre le caractère brutal et aveugle de la répression. Les témoins mentionnent les nombreuses exécutions frappant, par exemple, ceux dont les mains semblaient porter des traces de poudre suggérant l’emploi récent d’armes à feu.
Ce fut ensuite, après l’écrasement de la Commune par les armes, l’internement de 43 522 communards et la présentation de 34 952 hommes, 819 femmes et 538 enfants devant vingt-quatre conseils de guerre, qui siégèrent pendant plus de quatre ans et condamnèrent 9 780 communards à des peines souvent très lourdes. À la mort des victimes de la première période, s’ajouta donc l’infamie attachée à ces condamnations.
Tel est le bilan connu de cette répression, dont le but était de réaliser, selon les propres termes prononcés par Adolphe Thiers à l’Assemblée nationale, le 22 mai 1871, une « expiation complète » de la Commune de Paris. Louise Michel, qui fut condamnée à la déportation en Nouvelle-Calédonie, écrira, quelques années après son retour en France, le 9 novembre 1880 : « du côté de la Commune, les victimes furent sans nom et sans nombre ». Ce terrible constat demeure, cent quarante-cinq ans après : le nombre exact des victimes de la répression reste effectivement inconnu et nombre d’entre elles seront toujours anonymes.
Pour cette raison, mais aussi parce qu’une justice d’exception, aussi expéditive qu’« expiatoire », se déchaîna sans limites, le temps est enfin venu de rendre justice à toutes les victimes. J’ai bien dit toutes les victimes, car l’amnistie partielle, intervenue le 3 mars 1879, et l’amnistie générale, décidée le 11 juillet 1880, ont seulement permis de libérer de leurs chaînes les ex-communards encore en vie, coulant par là même une chape de plomb sur cette répression.
La question qui s’est posée était donc aussi celle du moyen juridique nous permettant de rendre justice à toutes ces victimes. Pourquoi, en effet, avoir privilégié la proposition de résolution prévue par l’article 34-1 de notre Constitution ?
Plusieurs instruments juridiques pouvaient, a priori, répondre à cet objectif. Trois d’entre eux ont été rapidement écartés parce qu’à l’évidence, ils ne pouvaient pas répondre à l’objectif fixé, à savoir la réhabilitation collective des victimes de la répression de la Commune de Paris : il s’agit de l’amnistie, de la grâce et de la réhabilitation judiciaire. Ne pouvant bénéficier ou profiter utilement qu’aux personnes vivantes, ces dispositions, de fait, ne constituaient pas une solution pertinente. À cela s’ajoutaient, pour chacune d’entre elles, d’autres raisons ou incompatibilités.
Ainsi, la grâce ne peut être accordée, selon la rédaction actuelle de l’article 17 de la Constitution, qu’à titre individuel, ce qui exclut une action collective. De plus, elle ne peut rétablir les personnes dans leur honneur puisqu’elle n’efface pas leur peine. Enfin, elle ne s’applique qu’à des jugements dûment prononcés, ce qui ne fut, en général, pas le cas durant la Semaine sanglante.
Quant à l’amnistie, elle est prise par la voie législative dans un contexte particulier. Certes, elle efface les condamnations prononcées, comme le dispose l’article 133-9 du code pénal, mais elle présenterait l’inconvénient majeur de se heurter aux lois d’amnistie votées en 1879 et 1880.
Alors, pourquoi pas la réhabilitation judiciaire, puisqu’elle a pour effet d’effacer les peines prononcées ? Non plus, car, outre le fait qu’elle est destinée à des personnes vivantes, elle est soit légale, auquel cas elle opère de plein droit, soit judiciaire, ce qui nécessite une décision de la chambre de l’instruction.
Et pour quelle raison ne pas faire le choix de la requête en révision, qui permet de solliciter le réexamen d’une affaire passée en force de chose jugée ? Parce qu’il s’agit, à l’instar de la grâce, d’une procédure individuelle.
Enfin, pourquoi ne pas déposer une proposition de loi dite « mémorielle » ? Parce que, chers collègues, la mission d’information de notre assemblée sur les questions mémorielles a clairement mis en évidence les dangers et les risques d’une loi dont l’objet serait historique. Son rapport du 18 novembre 2008, solidement argumenté, reprenait les fortes réserves émises par les historiens.
A contrario, ces derniers, dont Pierre Nora, Marc Ferro et Jean Favier, tout comme le constitutionnaliste Pierre Avril, avaient indiqué que la résolution pouvait constituer un instrument à la fois pertinent et utile, à l’Assemblée nationale, pour s’exprimer sur un événement historique. C’est donc ce choix qui s’imposait et que le groupe socialiste, écologiste et républicain a fait.
Il s’agit, ici et maintenant, de débattre puis d’adopter la proposition de résolution qui vise à ce que l’Assemblée nationale « estime qu’il est temps de prendre en compte les travaux historiques ayant établi les faits dans la répression de la Commune de Paris de 1871 », « juge nécessaire que soient mieux connues et diffusées les valeurs républicaines portées par les acteurs de la Commune de Paris de 1871 », « souhaite que la République rende honneur et dignité à ces femmes et ces hommes qui ont combattu pour la liberté au prix d’exécutions sommaires et de condamnations iniques », et « proclame la réhabilitation des victimes de la répression de la Commune de Paris de 1871 ».
Avant de conclure, monsieur le secrétaire d’État – vous qui aviez d’ailleurs signé cette proposition de loi lorsque vous étiez député –, chers collègues, il ne me semble pas inutile de revenir à l’histoire et de rappeler les causes de la Commune de Paris, afin que le sens de notre vote n’échappe à personne.
Sa cause immédiate, c’est la guerre et le désastre de Sedan, qui provoqua l’insurrection du 4 septembre 1870 : des Parisiens envahirent le palais Bourbon et, suivant la suggestion de députés républicains, tel Léon Gambetta, proclamèrent la République à l’hôtel de ville de Paris. Sa cause immédiate, c’est aussi le refus de la capitulation : Paris n’acceptait pas l’armistice, signé le 28 janvier 1871 par le gouvernement de la Défense nationale, que Georges Arnold, le fondateur de la garde nationale, qualifia de « paix honteuse et hideuse ».
Mais la cause, la grande cause de la Commune de Paris, c’était, au fond, la défense de la République. Paris, en effet, se méfiait de l’Assemblée élue le 8 février 1871. Elle avait bien désigné Adolphe Thiers chef du gouvernement exécutif de la République française mais hésitait, en réalité, sur la nature du régime à instaurer. Par conséquent, lorsque, le 10 mars 1871, l’Assemblée se replia à Versailles, la confiance fut rompue et le drame s’annonçait déjà. À Paris, on réclama l’élection d’une municipalité, puis d’une Commune, comme sous la grande Révolution. Le 26 mars 1871, après l’acte fondateur du 18 mars, la Commune de Paris était enfin élue. Elle ne vivra que soixante-treize jours ; soixante-treize jours qui contribuèrent fortement, comme l’écrit l’historien Jacques Rougerie, à « l’acquiescement progressif des Français à la République ».
Le moment est donc venu que nous rendions honneur et dignité à ces milliers de femmes et d’hommes qui eurent pour seul tort, outre le fait d’être le peuple industrieux de Paris, de croire en la possibilité de bâtir une République sociale dont le fondement était notre belle devise républicaine : liberté, égalité, fraternité.
Alors oui, chers collègues, montrons, avec Victor Hugo, que « ce qui fait la nuit en nous peut laisser en nous les étoiles » et proclamons, en adoptant cette proposition de résolution, la réhabilitation des victimes de la répression de la Commune de Paris de 1871, afin que celles-ci illuminent, comme elles y ont droit, le ciel de notre République. Car, je l’affirme à cette tribune avec Eugène Pottier : non, « la Commune n’est pas morte ! »