Les communards sont morts pour leurs idées. Pour leur rendre pleinement justice, il est donc indispensable de les réhabiliter non seulement en tant que victimes de la répression mais également en tant que promoteurs d’une forme de société libre, égalitaire et fraternelle. Par-delà la mise en lumière de la fin tragique et sanglante de l’expérience de la Commune, c’est tout le combat de ces hommes et de ces femmes qu’il convient de valoriser. Il y va de notre capacité à assumer le rôle de cette période de l’histoire dans la conquête des droits politiques et sociaux, aux fondements de notre République. Pendant deux mois, la Commune de Paris a en effet porté les valeurs universelles de liberté, de solidarité, d’égalité et de fraternité.
L’appel du 22 mars du Comité central de la garde nationale énonce que « les membres de l’assemblée municipale, sans cesse contrôlés, surveillés, discutés par l’opinion, sont révocables, comptables et responsables », et que leur mandat est impératif. Il s’agit d’une démocratie directe, reposant sur une citoyenneté active et renouant avec l’esprit de la constitution de 1793, qui fait du droit à l’insurrection « le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».
Les communards gèlent les loyers, placent les fabriques sous le contrôle des travailleurs, limitent le travail de nuit et mettent en place une garantie de subsistance pour les pauvres et les malades. Ils ouvrent la garde nationale, selon des principes strictement démocratiques, à tous les hommes aptes au service militaire et déclarent illégales les armées permanentes, séparées du peuple. L’Église, pour sa part, est séparée de l’État et la religion déclarée affaire privée. Les logements et les bâtiments publics sont réquisitionnés pour les sans-logis, l’éducation publique ouverte à tous, de même que les théâtres et les lieux de culture et d’apprentissage. Les travailleurs étrangers étaient considérés comme des frères et des soeurs, comme des alliés dans la lutte pour la réalisation d’une République universelle.
Des réunions avaient lieu nuit et jour, où des milliers d’hommes et de femmes discutaient de la façon dont devaient être organisés les différents aspects de la vie sociale, dans l’intérêt du bien commun. Les travailleurs avançaient en s’efforçant de trouver des solutions aux problèmes concrets que posait l’organisation de la société, dont, pour la première fois de l’histoire, ils étaient les maîtres. Quelle belle leçon de démocratie ! Je ne peux m’empêcher de citer la seule consigne que les membres du Comité central avaient donnée à leurs électeurs : « Ne perdez pas de vue que les hommes qui vous serviront le mieux sont ceux que vous choisirez parmi vous, vivant votre propre vie, souffrant des mêmes maux. Défiez-vous autant des ambitieux que des parvenus […] Défiez-vous également des parleurs, incapables de passer à l’action ».
Un si beau programme avait pourtant éclos dans un contexte de guerre et de souffrances liées au siège de la capitale par les Prussiens. Il arrive souvent que la guerre mène à la révolution ; ce n’est pas purement accidentel. La guerre arrache subitement les peuples à la routine de leur existence quotidienne et les jette violemment dans l’arène des grandes actions historiques. La population examine alors, beaucoup plus attentivement qu’en période de paix, le comportement des chefs d’État. C’est particulièrement vrai en cas de défaite. Or la campagne de Napoléon III contre la Prusse s’était soldée par un échec rapide et déshonorant, qui entraîna la fin de l’Empire et l’instauration de la IIIe République, le 4 septembre 1870. Cela n’empêcha pas le siège de Paris : le peuple était acculé par la famine et la pauvreté. La capitulation, secrètement préparée, est décrétée le 27 janvier 1871.
En dehors de l’armée régulière, une milice forte de 200 000 hommes se déclare pourtant prête à combattre. Le Comité central de la garde nationale élu dirige 215 bataillons, équipés de 2 000 canons et de 450 000 fusils. Ces travailleurs armés à l’intérieur de Paris constituent alors une menace bien plus grande pour la classe dominante de l’époque que l’armée étrangère prussienne. Thiers ne pouvait tolérer la situation de double pouvoir qui existait à Paris. Il ne put non plus tolérer l’élection de la Commune et l’arrivée de son programme d’émancipation sociale et économique.
L’armée de Versailles entra donc dans la ville le 21 mai 1871. Les communards combattirent avec un courage immense mais furent graduellement repoussés vers l’est de la cité et finalement vaincus le 28 mai. Les derniers communards qui résistaient furent fusillés dans le 20e arrondissement, devant le mur des Fédérés. Au cours de la Semaine sanglante, les forces de Thiers massacrèrent entre 10 000 et 30 000 hommes, femmes et enfants, et firent probablement 20 000 victimes de plus dans les semaines suivantes. Les escadrons de la mort travaillaient sans relâche pendant le mois de juin, tuant toute personne suspectée d’avoir soutenu, d’une façon ou d’une autre, la Commune.
Nous avons la conviction que la connaissance de ces événements qui ont marqué l’histoire de notre pays est indispensable à la constitution d’une mémoire nationale partagée. Le Parlement doit jouer son rôle en reconnaissant ces événements constitutifs de l’identité républicaine.
Le 11 juillet 1880, la loi portant amnistie générale des communards est adoptée. Ceux-ci sortent de prison, reviennent de déportation ou d’exil. Cependant, cette loi n’est en aucun cas une révision de la condamnation ; elle constitue un pardon légal, qui vise le silence et l’amnésie.
Il est donc aujourd’hui nécessaire d’aller au-delà et d’affirmer la pleine réhabilitation de la Commune, de ses valeurs et de ses acteurs. Cela peut se manifester par toute une série de mesures concrètes, comme l’inscription de la Commune dans les programmes scolaires afin de lui donner une place à la mesure de son importance, l’instauration d’une journée de commémoration nationale ou encore la reconnaissance des communards grâce à l’inscription de leurs noms sur un nombre significatif de plaques de rues ou de monuments.
Pour conclure, je voudrai souligner l’importance de ce débat, dans une période où l’action sociale et syndicale tend à être criminalisée. Nous ne pouvons passer sous silence les attaques constantes contre l’expression citoyenne du mouvement Nuit debout ni la répression féroce de la mobilisation populaire contre la loi travail. Nous ne pouvons oublier que la grande manifestation du 23 juin 2016 a été menacée d’interdiction, fait inédit sous la Ve République, et n’a pu être maintenue, in extremis, qu’au prix d’un dispositif policier hors norme, démesuré. Nous sommes obligés de rappeler la réquisition honteuse du parquet contre les syndicalistes de Goodyear, qui furent renvoyés au tribunal et menacés de prison ferme, alors qu’ils avaient pour seul tort d’avoir défendu l’emploi des salariés face à des patrons voyous. La logique est identique pour les syndicalistes d’Air France et tous ceux qui tentent de relever la tête face aux injustices de ce système. Aujourd’hui encore, alors que le Gouvernement évoque constamment le dialogue social, il s’applique pourtant à maintenir sous le couvercle et par la force l’expression populaire et sociale de notre pays.
Cent quarante-cinq ans après la Commune, de nouvelles voix réactionnaires sont en embuscade et des menaces se précisent contre les libertés individuelles, le droit des travailleurs et, plus largement, la démocratie. Il est donc plus que jamais nécessaire d’affirmer les valeurs de liberté, d’égalité, de dignité, de solidarité et d’antiracisme, comme étant aux fondements de notre République. Dans un tel contexte, nous nous félicitons de cette initiative de réhabilitation des victimes de la répression de la commune. Bien que nous pensions qu’elle aurait pu aller plus loin, nous soutiendrons naturellement cette proposition de résolution.