Intervention de George Pau-Langevin

Séance en hémicycle du 29 novembre 2016 à 15h00
Victimes de la répression de la commune de paris — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorge Pau-Langevin :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, les sociétés humaines préfèrent toujours célébrer les événements qui sont à leur gloire. Notre pays a mis du temps à reconnaître, à propos de la Commune comme d’autres sujets, cette part de son histoire, faite de souffrances et de désolations.

Cette révolte du peuple de Paris, écrasée et réprimée sans pitié, fut exécutée, selon le mot terrible d’Adolphe Thiers dans le discours qu’il prononça ici même et que rappelait M. Bloche, le 22 mai 1871, en vue d’une « expiation complète » des fautes commises par les communards.

Qui composait le peuple de Paris révolté ? Des ouvriers du bâtiment, des journaliers, des travailleurs du métal, des ouvriers d’atelier ou de petite fabrique, des cordonniers-savetiers, des marchands de vin et des ouvriers du livre. Les soulèvements eurent lieu à Montmartre, à Belleville, à Ménilmontant.

Souvenons-nous de cette période. En juillet 1870, Napoléon III entreprend contre la Prusse une guerre mal préparée, qui conduit rapidement la France à la défaite. Le 4 septembre 1870, à la suite d’une journée d’émeutes parisiennes, l’Empire est renversé. Le gouvernement de la Défense nationales’installe à l’hôtel de ville de Paris, officiellement pour poursuivre la guerre contre les États allemands, mais plus sûrement pour signer la capitulation et faire accepter la défaite aux Français. Le petit peuple de Paris refuse de se soumettre à Bismarck, lui qui a perdu tant des siens pour défendre la patrie menacée : il refuse l’armistice et considère comme une insulte la reconnaissance d’une défaite que rien n’imposait, selon lui. Les principaux journaux de gauche sont alors interdits, notamment Le Cri du Peuple de Jules Vallès. Les royalistes de l’Assemblée, le 10 mars, quittent Paris pour Versailles ; ils mettent fin au moratoire sur les effets du commerce, acculant à la faillite des milliers d’artisans et de commerçants, et suppriment la solde d’1,50 franc par jour payée aux gardes nationaux. C’est ainsi que le peuple de Paris, composé de près d’un demi-million d’ouvriers, se révolte.

Au cours de la Semaine sanglante, nous avons vu que les troupes versaillaises ont massacré entre 10 000 et 20 000 Parisiens. À l’issue de la défaite de la Commune, plus de 43 000 personnes furent parquées, notamment au camp de Satory, dans des forts, des pontons portuaires et des maisons d’arrêt. Plus de 3 000 condamnations à la déportation en enceinte fortifiée furent de surcroît prononcées.

Si, le 11 juillet 1880, la République a prononcé une loi d’amnistie générale pour les victimes de la Commune, elle voulait surtout couler une chape de plomb sur des événements dont les acteurs étaient encore vivants. La Commune a été ainsi parfois effacée, oubliée.

Toutefois, pour les habitants de l’Est parisien, dont je fais partie, la Commune n’est pas morte : chaque année, nous nous rendons au mur des Fédérés pour évoquer le souvenir des communards, leur fin tragique sur les dernières barricades, mais aussi l’oeuvre réalisée par la Commune en peu de temps, dont la modernité nous surprend toujours.

Je suis particulièrement touchée, dans cette déportation, par la rencontre improbable entre deux catégories de victimes de l’histoire : les communards et les Kanaks, qui étaient depuis peu aux prises avec la colonisation. Si la plupart des communards, obnubilés par le désir de retrouver leurs repaires, n’ont pas été suffisamment proches des peuples qui les entouraient, Louise Michel, la vierge rouge, s’est au contraire passionnée pour eux : elle a ouvert une école pour les enfants, elle a collationné les légendes, elle a compris le drame qui se jouait sur la Grande Terre, notamment lors de la révolte de 1878. Le souvenir des communards n’est donc pas seulement présent au mur des Fédérés et au cimetière qui leur est consacré sur l’île des Pins, il est aussi présent dans les écrits de Louise Michel sur la culture kanak.

La proposition de résolution présentée par notre collègue Patrick Bloche n’est pas une loi mémorielle mais la voie pour ne pas oublier les communards suppliciés, martyrisés. Cette résolution nous semble constituer une démarche honorable pour ceux que nous nous refusons, par l’oubli ou le désintérêt, de laisser mourir une seconde fois. « La lucidité est la blessure la plus proche du soleil », écrivait le poète et résistant René Char. Nous devons continuer à faire en sorte que la mémoire de la Commune devienne un bien commun, un patrimoine de vigilance, une manière, pour nous tous, de nous rapprocher du soleil.

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