Intervention de Philippe Varin

Réunion du 23 novembre 2016 à 11h00
Commission des affaires économiques

Philippe Varin, président du conseil d'administration d'Areva :

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je suis très heureux d'avoir la possibilité de m'exprimer à nouveau devant vous en cette période de restructuration de la filière nucléaire et du groupe Areva, que j'ai l'honneur de présider depuis janvier 2015.

La restructuration d'Areva, qui a débuté il y a un an et demi, entre désormais dans sa phase finale et doit aboutir à une décision de recapitalisation début 2017. Dans un premier temps, je vous exposerai les différents volets de la restructuration juridique et financière du groupe, et les étapes qui ont été récemment franchies. Dans un deuxième temps, j'évoquerai le plan de performance qui est mené au sein du groupe pour rendre possible cette restructuration. Dans un troisième temps, je vous donnerai quelques éléments sur les perspectives du New Areva, fruit de cette restructuration. Enfin, je me tiendrai à votre disposition pour répondre aux questions que vous souhaiterez me poser.

Pour ce qui est du premier volet, relatif à la restructuration de la filière, je commencerai par évoquer les objectifs de cette opération. En juin 2015, le Président de la République a pris la décision de réorganiser la filière nucléaire française. Nous nous sommes aussitôt mis en ordre de marche pour appliquer une feuille de route comportant trois aspects distincts.

Le premier est la constitution du nouvel Areva, couramment appelé NewCo, même si, d'un point de vue juridique, son nom exact est New Areva Holding. Cette entité est recentrée sur les activités du cycle du combustible, à savoir l'extraction minière, la chimie de l'uranium, le recyclage des combustibles usés et le démantèlement. Une assemblée générale extraordinaire d'Areva SA s'est tenue le 3 novembre, à la suite de laquelle le conseil d'administration d'Areva a acté, le 10 novembre, l'apport partiel d'actifs consenti par la société-mère, Areva SA, à la société-fille, New Areva Holding. Cette étape majeure a scellé la création de New Areva Holding.

Évidemment, il faut mettre quelque chose dans la corbeille de la mariée : nous avons donc prévu de lancer, début 2017 – si possible dès le mois de janvier – une augmentation de capital d'un montant total de trois milliards d'euros, souscrite par l'État et, nous l'espérons, par des investisseurs stratégiques. Nous sommes actuellement mobilisés pour parvenir dans les semaines à venir à une offre engageante de la part de partenaires stratégiques minoritaires, notamment les Chinois, avec la China National Nuclear Corporation (CNNC) et les Japonais, avec la société Mitsubishi Heavy Industries (MHI) et d'autres entreprises qui lui sont alliées.

Les discussions sont toujours en cours, et notre objectif est de trouver des partenaires qui ne soient pas uniquement nos alliés sur le plan financier, mais avec lesquels nous pourrions nouer un partenariat stratégique durable. C'est le cas de CNNC, avec qui nous avons entamé de longue date des discussions en vue de construire une usine de recyclage en Chine, qui serait l'équivalent de celle de La Hague en France. C'est également le cas de MHI : le Premier ministre japonais, M. Shinzō Abe, ayant décidé que la part de l'énergie nucléaire dans l'électricité consommée au Japon devait atteindre 22 %, il faut que le pays se dote d'infrastructures de recyclage similaires à celles de la France ; par le passé, nous avons d'ailleurs livré au Japon une usine de recyclage identique à celle de La Hague, à savoir celle de Rokkasho-Mura. Dans le cadre de cette relance de l'industrie nucléaire au Japon, MHI est l'un de nos partenaires potentiels.

Le fait que de grands groupes étrangers souhaitent devenir les partenaires du nouvel Areva est positif, car cela montre qu'ils croient en l'avenir de la société. Je précise que l'État français restera très largement majoritaire au sein de la nouvelle société : il continuera, en tout état de cause, à détenir plus des deux tiers du capital.

J'en viens au deuxième volet, relatif aux cessions d'actifs. Pour obtenir l'accord de Bruxelles, une société aidée doit céder un certain nombre d'actifs. Pour le moment, nous avons déjà cédé une unité de fabrication de systèmes de mesure nucléaire située à Canberra. Prochainement – fin 2016 ou début 2017 –, nous allons céder Areva TA, la société qui porte la propulsion nucléaire et les réacteurs de recherche, à un consortium dont l'Agence des participations de l'État (APE) détiendra la majorité, aux côtés d'autres actionnaires que sont DCNS, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et EDF.

Enfin, nous allons céder à EDF les activités d'Areva NP – hors le contrat finlandais OL3 – filialisées dans une société appelée provisoirement New NP. Cette cession rapportera 2,5 milliards d'euros.

Je précise que nous avons également négocié une option de cession à Gamesa de notre participation de 50 % dans la société d'éolien offshore Adwen. La clôture (closing) de cette option est prévue pour début 2017.

En plus de la cession d'Areva NP, les autres cessions devraient nous rapporter 500 à 600 millions d'euros, ce qui représente un montant total de cessions avoisinant les trois milliards d'euros.

Pour ce qui est d'Areva NP, nous avons signé le 15 novembre dernier des accords engageants pour le rachat par EDF. Cette étape est décisive pour la refondation de la filière et le recentrage d'Areva sur les activités du cycle. Ces accords offrent aussi à Areva NP une perspective de long terme avec un actionnariat stratégique propice à son développement. Ils donnent à EDF le contrôle exclusif de l'entité New NP, actuellement filiale à 100 % d'Areva NP, qui exerce les activités industrielles de conception, de fourniture de réacteurs nucléaires et d'équipements, d'assemblage de combustible, et assure les services à la base installée du groupe Areva. Les instances représentatives du personnel ont été consultées et la finalisation de la transaction est prévue pour le second semestre de 2017 : il va donc s'écouler un certain délai entre l'accord engageant du 15 novembre dernier et la conclusion de cette opération.

L'opération se fera sous réserve de trois conclusions suspensives. La première est l'obtention des autorisations de la part des autorités de la concurrence, à Bruxelles. La deuxième est l'autorisation de l'Autorité de sûreté nucléaire, délivrée sur la base des essais relatifs au réacteur de Flamanville 3. Nous avons réalisé plus de 90 % des essais de métallurgie et de ténacité sur des pièces analogues et sommes confiants dans le fait que la cuve pourra être déclarée conforme aux exigences de l'ASN – étant précisé qu'il appartient, bien évidemment, à cette autorité de se prononcer le moment venu. La troisième condition suspensive réside dans la finalisation et la conclusion satisfaisante des audits qualité qui sont en cours dans les usines du Creusot. Comme vous le savez, nous avons engagé, en lien avec l'ASN, une opération sans précédent d'audit et de contrôle, que nous mènerons à terme en toute transparence.

Ces opérations comprennent deux volets, dont le premier concerne les anomalies liées à des pratiques, que nous considérons comme inacceptables, en matière de contrôle qualité, et qui nous conduisent maintenant à reprendre les dossiers de fabrication d'environ 10 000 pièces, dont 6 000 pour les dossiers nucléaires, sur les quarante dernières années. Ce volet a un impact sur le timing d'exécution de la transaction avec EDF, puisqu'il faut que nous ayons examiné un très grand nombre de dossiers avant de pouvoir fermer cette opération.

Le deuxième volet, bien distinct du premier – j'insiste sur ce point car la presse fait parfois l'amalgame entre les deux –, est celui des ségrégations de carbone. Nous avons en effet découvert que la teneur en carbone est plus élevée au coeur de certaines pièces qu'en leur périphérie : c'est notamment le cas pour le couvercle de la cuve de Flamanville, la pièce la plus emblématique, mais aussi pour les fonds de générateurs de vapeur. Si l'existence d'un tel phénomène est connue de longue date, l'ampleur des écarts actuellement constatés est source d'étonnement, c'est pourquoi l'ASN nous a demandé de procéder à des contrôles. Je précise que si les pièces incriminées ne sont pas conformes aux normes actuelles, elles étaient conformes aux normes en vigueur lors de leur livraison.

Le troisième volet de mon intervention concerne Areva SA, qui va porter le contrat finlandais – l'OL3 – ainsi qu'un certain nombre de garanties portant sur les questions de qualité. La holding va être recapitalisée à 100 % par l'État pour un montant de deux milliards d'euros en début d'année prochaine. Avec les trois milliards d'euros d'augmentation de capital de NewCo, on aboutit au total de cinq milliards d'euros récemment évoqué par l'État. L'ensemble de ces opérations est évidemment soumis à la validation des autorités de la concurrence européenne, dont nous espérons obtenir un avis favorable d'ici à la fin de l'année.

J'en viens au deuxième temps de mon intervention, consacré à la performance du groupe. Je tiens à souligner l'ampleur du travail effectué depuis plusieurs mois par des équipes très mobilisées. Face à la situation très grave dans laquelle j'ai trouvé le groupe à mon arrivée en 2015, j'avais demandé à M. Philippe Knoche, directeur général d'Areva, et à ses équipes, d'élaborer un plan de performance vigoureux afin d'ajuster nos ressources à la réalité du marché et de conduire à la maîtrise des grands projets du groupe.

L'économie visée s'élève à plus d'un milliard d'euros en base annuelle à l'horizon de 2018, au périmètre du groupe Areva tel qu'il était début 2015. Aujourd'hui, nous sommes dans les temps pour atteindre cet objectif : au 30 juin 2016, 500 millions d'euros d'économies avaient été réalisés. Au-delà des économies de coûts, il est également très important qu'un vrai système d'excellence opérationnelle soit en cours de déploiement au niveau de chaque entité du groupe.

Le plan de performance comporte un volet social, prévoyant la suppression de 5 000 à 6 000 postes d'ici à fin 2017. Nous pouvons considérer que cet objectif sera atteint puisque nous avons actuellement 5 300 départs, dont 2 800 sur le territoire français. Le plan de départs volontaires, qui représente une grande partie des départs, a été lancé en avril 2016 et a déjà atteint ses objectifs dans six sociétés du groupe. Si nous visons la réduction des coûts, nous tenons aussi à ce que la sûreté – notre priorité numéro un –, le maintien des compétences – un grand défi avec les départs volontaires – et un dialogue social exemplaire restent au premier plan. Je tiens à saluer les efforts du management et des salariés d'Areva, qui ont dû se résoudre à des renoncements difficiles.

Bien entendu, le plan de performance, c'est aussi la maîtrise des grands projets, notamment la Finlande, Flamanville et Taishan, en Chine. Il s'accompagne d'une « bascule organisationnelle » – une expression apparemment compliquée pour décrire un processus en réalité assez simple. Avec la création de New Areva et de New NP, il faut deux patrons supplémentaires : M. Philippe Knoche a pris la présidence de NewCo tout en restant directeur général d'Areva SA, tandis que M. Bernard Fontana est devenu directeur général d'Areva NP. Cette organisation simplifiée va permettre un fonctionnement plus agile et surtout plus focalisé sur la performance des opérations en termes de sûreté, sécurité, qualité et coût.

Pour ce qui est de la trajectoire financière, nos résultats au 30 juin 2016 montrent que nous avons déjà fait quelques pas, puisque le cash-flow net, qui est encore en déficit en raison des efforts de restructuration, est cependant meilleur que ce qui avait été anticipé. En effet, alors que nous avions donné au marché une guidance de - 1,5 milliard d'euros à - 2 milliards d'euros, nous allons terminer entre - 0,6 milliard d'euros et - 0,9 milliard d'euros – ce qui, je l'admets, est encore beaucoup.

J'en terminerai par les perspectives qui s'offrent à la nouvelle société New Areva. Celle-ci – qui, je l'ai dit, couvre l'ensemble du cycle du combustible – bénéficie, malgré les difficultés actuelles, d'un contexte prometteur et d'atouts indéniables.

Le contexte prometteur est l'énorme défi mondial que représente la réduction des émissions de CO2. Vous le savez, les émissions de gaz à effet de serre dans le monde doivent diminuer de 50 % d'ici à 2050 ; mais, dès 2030, la production mondiale d'électricité aura augmenté de 50 %. C'est un défi, mais aussi une opportunité considérable pour le nucléaire. La part du nucléaire dans l'énergie mondiale, qui s'élève actuellement à 11 %, devrait être d'environ 13 % en 2030 selon l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Cela signifie que la capacité installée, actuellement proche de 400 gigawatts – à rapporter aux 63 gigawatts français –, va augmenter de plus de 50 %, si l'on tient compte de la hausse prévisible de 50 % du marché électrique. Ce marché est porteur pour nous : plus il y aura de réacteurs, plus on aura besoin de matières du cycle. Le marché chinois va représenter à lui seul la moitié de la croissance du parc au cours des vingt prochaines années, sans compter le redémarrage du Japon. Bref, l'avenir du nucléaire se joue principalement en Asie. C'est ce qui explique nos partenariats stratégiques.

Cette situation assure une forme de résilience à notre modèle d'affaires. Nous nous appuierons tant sur l'amont que sur l'aval du cycle : en amont, nous bénéficierons de l'augmentation du nombre de réacteurs en exploitation ; quant à l'aval, il y a dans le monde 80 réacteurs en cours de démantèlement et l'on en prévoit 120 supplémentaires d'ici à 2030. C'est un nouveau marché sur lequel New Areva devra être présent, fort de son expérience française.

Dans ce contexte, nous avons aussi des atouts indéniables.

Premièrement, notre carnet de commandes, qui représentait 33 milliards d'euros fin juin, soit huit années de chiffre d'affaires, répartis entre nos trois grandes activités – mines, chimie-enrichissement et recyclage.

Deuxièmement, notre base industrielle très solide, que certains d'entre vous connaissent de près, avec les usines – neuves – de Comurhex II pour la chimie et la conversion et de Georges Besse II pour l'enrichissement. Il s'agit d'atteindre le meilleur taux d'utilisation possible de ces équipements. Nous avons aussi un excellent portefeuille minier, au Niger, au Kazakhstan et au Canada.

Troisièmement, le leadership technologique que nous conservons dans l'ensemble des métiers du cycle : pour chacune de ces activités, Areva occupe l'un des trois premiers rangs mondiaux. Cette expertise est amenée à croître avec les partenariats engagés, notamment en Chine et au Japon dans le cycle fermé.

Je conclurai en rappelant que la restructuration de la filière est en marche, comme en attestent les jalons récemment franchis. Nous mettons tout en oeuvre pour que le nouvel Areva puisse affirmer son leadership au niveau mondial. Nous avons pris plusieurs décisions fortes. La mobilisation des équipes est extrême, dans le cadre que j'ai évoqué : sûreté, dialogue social, suivi très rapproché des clients. Les premiers résultats sont encourageants, même si, dans l'actualité, on est aujourd'hui plus sensible au poids du passé, ce que nous comprenons tout à fait.

Les semaines à venir seront décisives pour l'exécution du plan, avec deux augmentations de capital à réaliser, l'entrée d'investisseurs tiers et la validation de Bruxelles, avant d'en venir l'année prochaine au closing de la cession d'Areva.

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