De nombreuses questions, fort pertinentes, ont été posées. Je ne suis pas en mesure de répondre à toutes en tant que président du conseil d'administration d'Areva. Elles relèvent de quatre thématiques : les anomalies du Creusot ; les performances du groupe Areva – compétences-clefs, excellence industrielle – ; les augmentations de capital, depuis la nature des partenaires jusqu'à la gouvernance en passant par la validation de Bruxelles ; enfin, la compétitivité du nucléaire.
Les anomalies du Creusot recouvrent deux sujets différents : d'une part, l'audit qualité visant à comprendre les pratiques non conformes et à les traiter ; d'autre part, la ségrégation carbone, de nature plus technique, qui a un lien avec l'évolution de la réglementation.
L'audit qualité a été lancé à la fin de l'année 2015 par Areva NP à la suite de la détection d'écarts méthodologiques dans la réalisation d'essais de traction. Il a permis de mettre en évidence l'existence d'anomalies documentaires et de pratiques non conformes, dont j'ai dit qu'elles étaient inacceptables, au sein de de dossiers dits « barrés ». Quatre-vingt-huit irrégularités ont été relevées sur des réacteurs en exploitation en France. Après analyses, Areva NP a confirmé l'aptitude mécanique au service des pièces concernées, hormis deux équipements sur lesquels des études sont en cours. Il s'agit, à Fessenheim 2, du forgeage d'une virole basse d'un générateur de vapeur, et, à Gravelines 5, d'un essai de traction et de résistance à la traction sur un générateur de vapeur destiné à des remplacements. En outre, dix-neuf irrégularités ont été identifiées sur des équipements qui n'ont pas encore été installés dans le parc et auxquels des correctifs pourront être apportés en amont.
Aux dossiers dits « barrés », se sont ajoutés les dossiers non-barrés concernant d'autres anomalies, point évoqué par Pierre-Franck Chevet, président de l'ASN, dans une interview publiée hier. Cela nous a conduits à examiner 10 000 dossiers, dont 6 000 ayant trait au nucléaire, sur une période de quarante ans.
S'agissant du volet judiciaire, puisque l'ASN a saisi le procureur de la République, nous avons indiqué que nous coopérions totalement avec la justice dans le même esprit de transparence que celui qui prévaut pour l'audit en cours.
Quant au deuxième type d'anomalies, la ségrégation carbone, il n'est lié ni aux anomalies documentaires, ni à des pratiques qualité non conformes. C'est l'évolution de la réglementation et de la connaissance métallurgique qui nécessite de procéder à de nouveaux contrôles. Quand prévalait l'ancienne réglementation, les contrôles étaient réalisés à des endroits précis de la pièce auxquels la concentration de carbone était susceptible de créer des problèmes. La nouvelle réglementation en vigueur depuis la publication du décret relatif aux équipements sous pression nucléaires (ESPN) impose désormais que les contrôles soient effectués en tous points, y compris au centre des pièces. L'examen des pièces déjà fabriquées, que ce soit sur la cuve du réacteur de Flamanville 3 ou sur les fonds de générateur de vapeur, a mis en évidence que quarante-six fonds de générateur de vapeur pourraient être concernés, dont une vingtaine provenant de Creusot Forge. La teneur en carbone est plutôt de 0,3 % au centre de la pièce quand, en périphérie, elle s'établit à 0,2 %, ce qui paraît acceptable, comme l'a souligné M. Pierre-Franck Chevet. Pour les générateurs de vapeur fabriqués par un fournisseur japonais, les concentrations de carbone sont, quant à elles, légèrement supérieures.
Cela a conduit à la situation suivante : sept réacteurs sont provisoirement fermés pour procéder à des mesures ; cinq autres le seront dans les semaines à venir. Les difficultés évoquées sont donc avant tout liées aux questions de ségrégation carbone.
Voilà ce que nous pouvons vous dire s'agissant des anomalies : vous le voyez, nous mettons toutes les données actuelles sur la table.
J'en viens au plan de performance et aux craintes légitimes que vous avez exprimées à propos des compétences-clefs à une période de réduction des effectifs. Il s'agit d'un sujet important, qui a été examiné par le conseil d'administration d'Areva. De manière très pratique, nous avons établi une liste de douze ou treize métiers-clefs, nommé des référents pour chacun d'entre eux, lesquels ont ensuite effectué une évaluation des compétences puis mis en oeuvre des recommandations pour, à la fois, combler les trous, lorsqu'il y en a, et faire en sorte que, dans le cadre du plan de départs volontaires, les anciens puissent transmettre leurs compétences à ceux qui arrivent. Je dirai peut-être un mot tout à l'heure du rôle de la plateforme France Nucléaire, que nous avons créée avec EDF et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Lors de sa prochaine réunion, nous allons examiner cette question pour l'ensemble de la filière nucléaire.
Le troisième sujet renvoie aux augmentations de capital, j'emploie le pluriel puisqu'il y en a deux, même si l'essentiel des questions a porté sur l'augmentation de capital de NewCo.
L'indépendance énergétique française est un sujet critique. Les dispositions prises dans le cadre de la restructuration de la filière visent à la conforter. Toutefois, l'indépendance n'exclut pas la présence de partenaires tiers.
Dans ce contexte, la part de l'État dans le capital de NewCo sera au minimum de 66 %. Au moment où je vous parle, les discussions sont en cours, je ne peux donc préjuger de l'issue des négociations et vous préciser un pourcentage exact ; je peux seulement vous dire que l'État souhaite conserver une liberté de manoeuvre complète et donc le plein contrôle d'Areva. J'infirme donc le taux de 33 % pour la part des partenaires tiers. J'ai eu l'occasion de dire que j'étais plutôt optimiste quant à leur intégration au capital mais toutes les possibilités ont été envisagées et il n'est pas du tout évident que nous puissions mener à terme ces négociations. Nous n'avons pas cherché des partenariats tous azimuts et avons préféré nous concentrer sur les partenariats stratégiques, d'où les mentions spécifiques que j'ai faites à la Chine et au Japon, pays qui représentent tous deux de gros enjeux.
Tant que les discussions n'ont pas abouti, il est prématuré d'évoquer les dispositions concernant la gouvernance. Si nous nouons un partenariat avec des sociétés qui sont nos concurrentes dans certaines zones, la gouvernance ne pourra impliquer l'accès à des informations commercialement sensibles. Ceci serait contraire à la réglementation européenne. Des dispositions devront donc être prises à cet égard. De la même façon, il est hors de question que des informations sensibles mettant en jeu la souveraineté de notre pays soient diffusées à des partenaires tiers.
Des limites sont donc clairement posées. Elles font partie de la proposition sur laquelle les partenaires doivent se déterminer, ce qui ne simplifie pas forcément les négociations, bien entendu.
Ce que nous demandons aux parties avec lesquelles les discussions sont engagées, c'est qu'elles nous fournissent, dans un horizon assez rapproché, des offres fermes, de manière que nous puissions nous déterminer.
Je précise que nous prenons déjà en compte les aspects liés à la propriété intellectuelle évoquée par Mme Delphine Batho. Lorsque nous transférons des technologies, notamment en Chine, les questions ayant trait à la propriété intellectuelle sont traitées commercialement. Dans le futur, il ne pourra y avoir de confusion entre le rôle de l'investisseur financier et le rôle du partenaire industriel, qui est déterminé en respectant les règles habituelles en matière de propriété intellectuelle. Soit nous faisons en sorte que les transferts soient rémunérés, soit nous prenons des précautions pour qu'il n'y en ait pas.
S'agissant toujours de l'augmentation de capital de la holding, l'un d'entre vous a évoqué les actionnaires minoritaires actuels d'Areva. Cette question, il faut d'abord la poser à l'État. Il veillera, sans aucun doute, au respect des droits de ces actionnaires, en application de la réglementation boursière que vous connaissez.
Pour le transfert d'Areva NP à EDF, il existe trois clauses suspensives. M. Jean-Bernard Levy, président d'EDF, a précisé qu'en cas de problèmes insurmontables, la transaction n'aurait pas lieu. Tout le travail mené en amont a visé à donner des garanties à EDF et à ses actionnaires pour leur éviter des surprises désagréables. Pour la clause suspensive concernant Flamanville, nous sommes optimistes sur l'issue du processus. Les questions de qualité de la forge du Creusot sont plus récentes mais le travail effectué devrait nous permettre de progresser pour réaliser le closing dans la deuxième partie de l'année 2017.
Quant aux instances européennes, c'est l'État français qui est en discussion avec elles. C'est à lui qu'il faut poser la question. Comme dans tout dossier d'aide à la restructuration, Bruxelles prend en compte le montant des aides d'État et demande des mesures propres à l'entreprise, à la fois en matière de performances et de desinvestissements, en posant certaines restrictions. Il s'agit d'une démarche habituelle. Nous espérons avoir un retour de la Commission d'ici à la fin de l'année, comme je vous l'ai indiqué.
Je termine par la question plus générale de la compétitivité du nucléaire soulevée par Mme Delphine Batho. Je suis globalement optimiste pour les perspectives du nucléaire dans le monde : il y a un besoin de recourir au nucléaire pour se conformer aux objectifs de réduction d'émissions de dioxyde de carbone. Le centre de gravité du développement se situera en Asie. Si les Chinois, qui sont très préoccupés par le coût de l'énergie, se sont lancés dans un important programme nucléaire, c'est qu'ils considèrent que celui-ci présente un intérêt en matière de compétitivité et de sécurité d'approvisionnement.
Des EPR sont en cours de construction, que ce soit à Taishan en Chine, à Flamanville en France, à Olkiluoto en Finlande ou à Hinkley Point au Royaume-Uni. Notre situation pourra être améliorée dans le futur et les équipes d'EDF comme d'Areva travaillent au coût du nucléaire. Lorsque le carbone aura un prix, le nucléaire pourra se développer ; tant qu'il est à six euros la tonne, les engagements de la COP21 et de la COP22 ne pourront être respectés.