Intervention de Jean-François Carenco

Réunion du 23 novembre 2016 à 19h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Jean-François Carenco, préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris :

Le projet de loi comporte deux parties, la première étant consacrée au statut de Paris et la seconde au Grand Paris. Je ne me prononcerai pas sur le statut, qui renvoie au découpage des arrondissements et à la répartition des compétences ; à la préfecture de la région, dont les compétences diffèrent de celles de la préfecture de police, le maintien de deux collectivités semble une survivance du passé qu'il importe d'abandonner. On a procédé à la même rationalisation outre-mer, même si Paris ne ressemble pas aux territoires ultramarins. C'est au Parlement de trouver les bons équilibres dans les transferts de compétences, en l'occurrence entre la préfecture de police et la mairie de Paris, et, pour ma part, je considère que, Paris étant la capitale du pays, nous devons raison garder – vous reconnaîtrez là mon côté jacobin.

La seconde partie du projet de loi contient des dispositions qui peuvent apparaître disparates, mais qui forment en fait une véritable unité. En outre, le Gouvernement déposera plusieurs amendements concernant cette partie du texte. L'objectif est de faire de Paris une vraie métropole dans un monde en transformation. On passe d'un monde A à un monde B, qu'on ne connaît pas mais qu'on sait différent du premier ; on a quitté le monde A le jour du début de la crise pétrolière en 1973 et on atteindra le monde B lorsque le dernier réacteur pressurisé européen (EPR) sera fermé – le premier n'étant pas encore entré en fonction –, c'est-à-dire lorsque l'énergie ne sera plus le moteur de l'Histoire car les maisons et les voitures généreront leur propre énergie.

Le monde change complètement : on ne produit plus, on numérise ; on ne vend plus, on « plateformise » ; on vous change le coeur quand il ne marche plus bien ; on discute dans la même pièce, mais vous pourriez être à Chicago, moi en Chine, et nous serions aussi proches. Dans ce monde à la « topologie sans mesure », pour reprendre la formule de Michel Serres, il nous faut tout réinventer : nos modes de production, d'enseignement, de gouvernement et d'écoute. Comme certains d'entre vous, j'ai appris à programmer en langage BASIC, puis j'ai cru être avancé en comprenant les « exaflops » et les « pétaflops », mais on me dit maintenant qu'il existe des ordinateurs quantiques réalisant une infinité d'opérations à la seconde.

Tout change et, comme le disait Franz Schubert, « le vrai fou n'a que des certitudes et l'intelligent que des doutes ». Face à cela, on peut se replier sur soi – en disant qu'hier, avant-hier, avant-avant-hier et l'entre-soi sont préférables – et craindre le futur, ce qui alimente le développement de communautés, du communautarisme et éventuellement du djihadisme ; on peut ne pas prêter d'attention à ce phénomène, et la médiocrité triomphera. Au contraire, d'autres souhaitent reconstruire le monde : comme au Quattrocento, on peut agir ! L'outil technologique est tellement magique que l'on doit pouvoir faire des choses et se saisir du monde pour le construire, en suivant l'orientation démocratiquement choisie.

Ce monde nouveau s'invente dans des territoires denses, peuplés de citoyens éclairés, éduqués, tolérants et rassemblés : un tel espace se nomme métropole, et nous avons besoin d'une loi pour l'organiser. Dans cette aire, nous créons de la valeur, de la connaissance, de l'émotion culturelle et du lien social ; les institutions viendront plus tard ! En attendant, on travaille dans un esprit de rassemblement. À Paris, quels que soient les tendances politiques et les statuts des personnes – fonctionnaires, acteurs du secteur privé, élus ou membres d'une association –, on travaille ensemble. Comment en est-on arrivé à construire 80 000 logements par an ? Les parties prenantes ont arrêté de se déchirer ! Plus personne n'affirme « avoir créé des logements », cette phrase absurde ! Les logements se bâtissent ensemble.

Grâce à ce travail en commun, il se crée 200 kilomètres de métro, 80 000 logements par an, le plus beau campus européen en sciences sociales, nommé Condorcet, de nouvelles découvertes à Saclay, un incubateur de start-up de 30 000 mètres carrés grâce à M. Xavier Niel, et de nouveaux chantiers incarnés par le retour des grues en région parisienne. Et on n'entend pas parler de tout cela !

La fermeture des voies sur berges est peu de chose par rapport aux travaux d'Éole, qui doivent commencer le mois prochain après quinze ans d'attente. Regardez ce qu'il se passe à la porte Maillot ou en matière culturelle – par exemple, à l'île Seguin où je me réjouis que des promoteurs privés s'intéressent enfin à la culture !

J'ai estimé de ma responsabilité de proposer au Gouvernement, qui m'avait confié une tâche de coordination de ce texte, des amendements permettant d'accélérer cette construction collective de la métropole.

Sera-t-on capable, à Paris et en région parisienne, de développer une métropole rayonnante, mais pas trop absorbante ? Ce défi vaut pour Lyon comme pour Paris. Il faut prendre garde à ne pas asphyxier les environs, qui meurent de toute façon si la métropole n'existe pas – quoique plus lentement. L'avenir du monde se joue là, dans la création de richesses au sein des métropoles.

La compétition entre les métropoles est grande. Je me bats pour que notre métropole s'appelle le Grand Paris, car les Chinois et les Américains ne me parlent pas de Sarcelles, de Longjumeau, d'Évry ou de Saint-Denis. Nous ne sommes pas bons sur l'attractivité ; tout le monde lutte sur ce terrain, et je conseille de laisser passer un peu de temps car la sagesse reviendra. On doit se battre ensemble, comme on le fait avec M. Jean-Yves Le Bouillonnec au sein de la Société du Grand Paris (SGP), où toutes les tendances politiques sont représentées et où tout se passe bien car on construit ensemble.

Le texte propose de lever les petits blocages qui entravent le travail commun. Les longues procédures françaises freinent le regain de constructions, si bien que certaines zones d'aménagement différé deviennent la proie d'une spéculation foncière et immobilière – petit sujet qui pourrait tout de même coûter 40 millions d'euros à l'établissement public de Saclay.

Une disposition vise à simplifier la création de filiales des établissements publics administratifs (EPA), de Grand Paris Aménagement (GPA) et des établissements publics fonciers (EPF), ce qui est positif car l'État doit s'adapter au monde moderne et simplifier les procédures. Nos partenaires sont désormais des promoteurs, des entreprises et des syndicats, car il convient de délester la puissance publique pour qu'elle puisse agir. Quand je discute avec un promoteur, je ne peux pas lui dire qu'une année est nécessaire pour monter une opération, sous peine de le voir partir à Londres ou ailleurs.

Le débat opposant les collectivités locales à l'État central est devenu ringard dans une perspective d'aménagement et de construction du monde – j'exempte de ce constat la question financière, qui constitue un sujet à part. Nos concurrents sont Shanghai, Singapour et Londres, et nous devons favoriser les coopérations entre les établissements publics d'aménagement pour les affronter. Les articles 35 et 36 du projet de loi prévoient ainsi la création des sociétés publiques locales d'aménagement d'intérêt national (SPLA-IN) : il est normal que le maire veuille aménager sa ville, mais il n'y arrivera pas tout seul. M. Patrick Jarry, maire de Nanterre, n'a pas les moyens de s'occuper de la zone d'aménagement concerté (ZAC) des Groues avec sa petite société d'économie mixte (SEM), mais il a toute légitimité pour peser sur son aménagement. Les SPLA-IN lui permettront d'agir en réunissant l'État et les aménageurs, c'est-à-dire les SEM publiques des communes. Il s'agit bien d'un outil de rassemblement.

L'article 37 permet d'intégrer des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dans la gouvernance de GPA. Ne pas avoir peur de s'ouvrir, tel est le leitmotiv de ce texte !

L'article 38 concerne le quartier de la Défense, qui a suscité quelques débats dans les Hauts-de-Seine et en région parisienne. Cet EPA de l'État a été dirigé par de bons directeurs, nommés à ce poste parce qu'on ne voulait pas les placer ailleurs, mais il n'a pas pu agir car on lui a interdit d'emprunter. Il y a 350 millions d'euros de travaux à faire, mais on ne peut pas les réaliser, alors que la richesse des communes voisines fait même envie au maire du 16e arrondissement de Paris – n'est-ce pas monsieur Goasguen ? Là aussi, il convient de réunir les élus, les acteurs économiques et l'État. Il faut savoir arrêter une opération d'intérêt national (OIN) et il faut savoir en initier. Seul l'État intervient dans certaines OIN comme dans les établissements publics d'aménagement de Marne-la-Vallée, Epamarne et Epafrance ; dans d'autres, il agit avec les collectivités, comme dans l'établissement public d'aménagement du Mantois Seine-Aval (EPAMSA) avec la nouvelle communauté urbaine du Mantois Val-de-Seine ; enfin, il peut déléguer totalement certaines OIN. Nous inventons un nouvel outil, tâche complexe, et le déployons dans le premier quartier européen d'affaires ; nous n'avons pas intérêt à nous tromper et nous devons nous rassembler. Dans cette construction, M. Patrick Devedjian n'est pas un partenaire facile, mais telle est la règle du jeu, et on travaille avec lui. L'article 38 habilite le Gouvernement à prendre une ordonnance, et nous préparons le décret d'application pour que le dispositif soit prêt le plus rapidement possible.

L'article 39 a trait aux transports ; s'agissant de l'extension des lignes de métro, le Gouvernement défendait l'idée d'une autorisation unique pour les questions d'environnement et d'aménagement, mais on ne peut appliquer ce système à trente gares à la fois qui ne seront pas prêtes au même moment.

L'article 40 vise à permettre à la SGP d'exploiter des réseaux de chaleur. Elle pourra assurer la production d'énergies renouvelables ou de récupération à partir des sources d'énergie calorique situées dans l'emprise des infrastructures du réseau de transport public du Grand Paris ou des infrastructures de transport public réalisées sous sa maîtrise d'ouvrage. Ce sont ces petites mesures qui simplifient la vie et qui permettent aux élus et aux acteurs de la région parisienne de réaliser ce qu'ils veulent accomplir ensemble. J'essaie d'inciter au dépôt d'amendements qui vont dans ce sens, et j'espère que le Gouvernement les reprendra.

Il est très important que l'ensemble des acteurs de la création de cette capitale se rassemblent. Ce discours commence à se traduire dans la réalité : les promoteurs sont très heureux de cette nouvelle situation, de même que les opérateurs de transports. Tout cela fonctionne, et il s'agit d'améliorer notre système par de petites dispositions – je ne propose pas la révolution. Ces mesures ne visent pas simplement à faire un peu plus vite ou un peu mieux, mais cherchent à garantir une réussite inscrite dans la durée. Il y aurait lieu de présenter chaque année un petit texte balai levant tous les blocages rencontrés par la métropole. Une métropole de ce type, si on la définit comme je viens de le faire, ne doit pas être envisagée sous l'angle de la taille. Vous allez définir des métropoles institutionnelles, mais si ces villes veulent devenir des métropoles, elles doivent vouloir créer le monde en rassemblant toutes leurs forces.

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