Intervention de l'amiral Bernard Rogel

Réunion du 18 juillet 2012 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

l'amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la marine :

Monsieur Le Bris, la « juste suffisance » veut dire que nous ne pouvons pas réaliser toutes les missions du contrat opérationnel de la marine en même temps. Lors de l'opération Harmattan, qui a mobilisé toutes les composantes de celle-ci, soit 27 bâtiments de combat déployés pendant six mois, nous avons dû faire des arbitrages et abandonner provisoirement certaines missions, notamment contre le narcotrafic ou l'immigration illégale – dans le cadre de l'opération européenne Frontex –, ou des missions de sûreté au profit de la FOST.

Si cette situation n'est pas satisfaisante, j'estime qu'elle constitue un moindre mal et qu'elle reste gérable. Mais des baisses de crédits sur le MCO ou des RTC nous créent de grandes difficultés pour remplir, au mieux, la majorité des missions auxquelles on nous demande de répondre. De plus, par rapport à la norme fixée par le Livre blanc, on me retire chaque année 10 % de mon activité en raison des contraintes budgétaires.

La faible disponibilité des SNA à Toulon n'est pas liée à la qualité de l'industriel. À Brest, les sous-marins sont entretenus dans le cadre de la dissuasion, alors qu'à Toulon, les bâtiments le sont dans le cadre de l'entretien général de la flotte. Or on a tendance à préserver prioritairement les budgets destinés à la dissuasion. De plus, ces sous-marins d'attaque commencent à être vieillissants et nécessitent un entretien plus soutenu.

Le taux de disponibilité est de l'ordre de 55 %, ce qui n'est pas suffisant. Mais, la semaine dernière encore, nous avions trois SNA à la mer !

Aujourd'hui, je considère que j'ai les moyens me permettant de remplir les missions prévues par le Livre blanc, mais là encore, se pose le problème du renouvellement de la flotte. Les frégates ASM (de lutte anti sous-marine) ayant 28 ans de moyenne d'âge, alors qu'il leur est difficile de dépasser 30 ans ! Pour l'action de l'État en mer, il me reste par exemple 28 hélicoptères Alouette III, qui ont encore récemment assuré le sauvetage de l'équipage d'un chalutier en difficulté, mais ils ont 50 ans… À cet égard, la situation budgétaire contrainte qui s'annonce me préoccupe.

La Commission du Livre blanc devra établir la priorité budgétaire que l'on donne à ce renouvellement, compte tenu des enjeux maritimes de notre pays.

Monsieur Folliot, le programme Extraplac, qui est géré par le secrétariat général à la mer, a pour but d'accroître, dans le cadre de la convention de Montego Bay, notre ZEE – ce qui est important. 74 pays ont déjà demandé pareille extension, afin d'accéder davantage aux richesses du plateau continental. Or nous allons devenir une nation pétrolière en mer grâce à la Guyane d'ici un à deux ans. Si nous ne surveillons pas notre ZEE et ne montrons pas notre pavillon, nous serons pillés !

Cela a d'ailleurs déjà été le cas dans le passé en matière de pêche : nous déployons un patrouilleur aux îles Kerguelen ainsi qu'un système satellitaire pour protéger la légine, poisson très cher et apprécié des Américains et des Asiatiques, que l'on trouve uniquement autour des Terres australes. Nous surveillons aussi le thon rouge et d'autres espèces halieutiques dans nos zones. Or je ne vois pas ces missions se réduire, bien au contraire !

Les différends autour de la mer de Chine entre ce pays, les Philippines et le Vietnam sont révélateurs : dès qu'on trouve un îlot rocheux comportant un certain potentiel en termes de ressources pétrolières, gazières ou minérales, il est susceptible de donner lieu à des tensions. Celles-ci seront d'autant plus grandes que les ressources sur terre se seront raréfiées.

Nous observons d'ailleurs une contestation de notre souveraineté sur certains de nos îlots outre-mer tels que Clipperton, les îles Éparses ou Matthew et Hunter.

Nous avons les moyens aujourd'hui pour assumer ces missions de protection, mais se pose à nouveau la question du renouvellement de la flotte. Le Livre blanc précédent n'a pas assez pris en compte ce problème de mission de souveraineté, notamment dans les DOM-COM. J'espère que ce point pourra être corrigé.

Les patrouilleurs P 400 ou des bâtiments de transport légers – les Batral –, qui ont servi notamment pour l'opération humanitaire en Haïti, sont en effet à bout de souffle. Des RTC ont été prévues, mais nous avons expliqué qu'il n'était pas convenable de laisser ce pan s'écrouler, les remplaçants n'étant programmés que pour 2017-2020, ce qui supposait de tenir sept ou huit ans. Un programme interministériel de bâtiments multi-missions a donc été lancé l'année dernière : il concerne de gros bâtiments de soutien de type civil qui seront armés par la marine nationale. J'espère que les contraintes budgétaires actuelles permettront de le conserver.

Nous avons également décidé, dans le cadre de ce programme, d'acquérir deux patrouilleurs pour la Guyane d'ici 2016 – compte tenu des problèmes rencontrés sur place pour la pêche et le pétrole – en attendant le programme BATSIMAR – Bâtiment de surveillance et d'intervention maritime –, qui est un important programme générique de patrouilleurs ayant vocation à remplacer les P 400 et les Batral.

Ces missions de souveraineté sont importantes outre-mer, mais aussi en métropole, pour la sauvegarde et la sécurité, comme le montre l'installation de parcs éoliens près de nos côtes.

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