Intervention de Mathieu Gallet

Réunion du 22 novembre 2016 à 16h45
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Mathieu Gallet, président-directeur général de Radio France :

Merci, messieurs les présidents, mesdames et messieurs les députés, de me donner l'occasion, en présentant ce rapport d'exécution du COM en 2015, de vous parler de la situation de Radio France, de son actualité mais aussi de ses perspectives.

Nous avons effectivement été très satisfaits des premiers chiffres de Médiamétrie pour la rentrée 2016-2017, dont nous avons pris connaissance vendredi dernier. Pour la première fois de son histoire, le groupe atteint 25 % de parts d'audience. Chaque jour, 14 millions d'auditeurs écoutent au moins une antenne de Radio France. Nous n'avions jamais atteint un tel niveau, de surcroît dans un marché de la radio en baisse. Effectivement, en un an, l'audience du média radio a perdu environ trois points, ce qui m'inquiète : en septembre-octobre 2015, 82 % de la population française écoutait chaque jour au moins une fois la radio ; cette proportion est aujourd'hui de 79,7 %. Avec une audience qui s'améliore, Radio France surperforme donc, pour reprendre un terme employé dans le secteur financier.

Pour la première fois de son histoire, notre chaîne amirale, France Inter, a dépassé les 6 millions d'auditeurs quotidiens. France Inter est leader incontesté sur les trois moments-clés de la journée, particulièrement sur l'ensemble des quarts d'heure de la matinale, de six heures trente à neuf heures. C'est aussi une grande satisfaction pour nous de constater que la relance de France Info, depuis deux ans, a permis à la radio de référence en matière d'information continue de retrouver une audience élevée, en gagnant 400 000 auditeurs sur un an. France Culture, pour sa part, concilie exigence et audience, avec 1,2 million d'auditeurs chaque jour, ce qui est remarquable, mais les audiences de France Musique et Mouv' ont également progressé sur un an.

Au-delà de l'audience, l'avenir passe bien sûr par le numérique. De ce point de vue, les chiffres du mois d'octobre placent Radio France en position de leader en matière de réécoute, puisque plus de 30 millions de podcasts ont été téléchargés sur les antennes de Radio France, dont 15 millions pour France Culture. Suscitant un véritable engouement, ce nouveau mode d'écoute de la radio doit nous permettre de fidéliser et de conquérir de nouveaux publics. Ce travail n'aurait évidemment pas été possible sans le concours de l'ensemble des équipes qui, depuis deux ans, ont patiemment oeuvré à la fois pour faire évoluer notre média et pour lui conserver ses fondamentaux, ceux d'une radio à la fois exigeante et populaire, comme doit l'être le service public.

Nous n'en devons pas moins relever encore plusieurs défis, dont celui de la mutation des usages et donc des offres. Nous devons effectivement adapter nos offres aux nouveaux usages, notamment pour les plus jeunes des Français. Cela passe par un travail de dissémination de nos contenus sur les nouvelles plateformes de diffusion numérique : les réseaux sociaux, qui prennent une place de plus en plus importante, ou les plateformes de partage d'images – l'image est tout à fait stratégique pour capter ce nouveau public. Cette stratégie nous permettra de capter un nouveau public, mais elle nous rend aussi plus dépendants d'acteurs dont aucun n'est européen ; je parle bien sûr des GAFA (pour Google, Apple, Facebook, Amazon). Ce sont des partenaires, mais ils peuvent aussi être des concurrents, en captant de la valeur, avec les données de nos audiences ou de la publicité, en monétisant cette audience.

La mutation des usages et l'évolution de l'offre impliquent aussi une évolution des méthodes et des métiers, qu'illustre notre travail autour de Franceinfo. Il s'agit aussi de retenir les leçons de la grève à laquelle le président Bloche faisait référence. Radio France est une entreprise qui fait évoluer ses structures et ses modes de fonctionnement non en partant des superstructures mais autour de projets. Nous l'avions expérimenté dès la rentrée 2015 avec la nouvelle offre numérique de France Bleu, également un vrai succès, et il y eut, tout au long de la saison passée, ce projet Franceinfo qui alliait France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA. Ces projets ont permis, en un temps record – moins d'un an –, de décloisonner les méthodes de travail, de travailler en mode agile, ils ont permis aux uns et aux autres de se dépasser, quelles que soient les spécificités de chaque métier, de chaque entreprise, ils ont permis de mobiliser nos équipes. Le projet Franceinfo témoigne aussi d'un début de mutation des métiers qui ouvre des perspectives d'évolution professionnelle à nos collaborateurs – il est bien normal que l'entreprise se préoccupe de l'évolution des métiers et des carrières de ses collaborateurs.

Un autre enjeu de ces changements, aujourd'hui rendus nécessaires par les évolutions technologiques, est celui du financement, dont le président Carrez a parlé. J'avoue ne pas faire exactement la même lecture que lui de l'évolution du budget de Radio France puisqu'en 2017 notre budget de fonctionnement sera étale pour la cinquième année consécutive. Certes, notre budget a augmenté et, au-delà de notre budget, la dotation en capital dont Radio France bénéficie lui permettra de terminer ces travaux de la Maison de la radio qui obèrent largement sa capacité de financement. La crainte que des emplois ne soient supprimés pour payer les murs était d'ailleurs l'une des causes du conflit social de 2015. Via la dotation en capital, via une possibilité de contracter un emprunt, puisque nous n'avons pas de dette, et via la contribution à l'audiovisuel public, le soutien de l'État dans le cadre du COM est venu renforcer le financement des investissements pour nous permettre de terminer ce chantier, mais 2017 sera la cinquième année où notre budget de fonctionnement n'évolue que de manière très marginale – il ne progressera l'an prochain que de 500 000 euros. Autre enjeu de financement, la contribution à l'audiovisuel public reste assise sur la détention d'un téléviseur, ce qui est encore plus incongru à l'heure de la mutation des usages, à l'heure du numérique.

L'entreprise était fortement mobilisée par la négociation du COM. J'en profite pour remercier la secrétaire générale, Maïa Wirgin, qui a conduit ce long travail. Le COM a été arrêté par le conseil d'administration au mois de décembre 2015 et signé au mois d'avril 2016 ; la première année du COM était donc déjà passée.

L'exécution de cette première année 2015 a été meilleure que prévu par le COM, qui envisageait un déficit de 19 millions d'euros. Finalement, c'est à un déficit de 13,9 millions d'euros que nous sommes parvenus. Quant à l'année 2016, il était prévu un déficit de 16,5 millions d'euros, mais, aujourd'hui, nous estimons qu'il sera plutôt de 13 ou 13,5 millions d'euros.

L'année 2017 sera importante. Le COM prévoit une nouvelle résorption du déficit, qui devrait être limité à 6,5 millions d'euros, soit un effort de 10 millions d'euros. Nos coûts fixes sont pourtant importants, notamment avec une masse salariale qui représente 58 % du budget de Radio France. Des efforts ont donc été nécessaires, qui ont porté sur cette masse salariale et sur nos autres dépenses courantes, en particulier les frais de diffusion, deuxième grand poste de dépense de Radio France. Ainsi, à la fin de cette année, les grandes ondes seront définitivement éteintes pour France Inter. Avec l'arrêt des ondes moyennes l'an dernier et celui des grandes ondes cette année, deux modes de diffusion du passé plutôt que de l'avenir, nous économiserons 13 millions d'euros en année pleine.

La contrainte budgétaire est quand même très forte pour l'entreprise, qui n'en nourrit pas moins l'ambition de se développer et de continuer à remplir ses missions de service public. Nous avons évoqué les antennes, mais, avec deux grandes salles et quatre formations musicales, n'oublions pas notre deuxième métier de producteur de spectacles ; je parle sous le contrôle de Michel Orier, qui nous a rejoints il y a moins d'un an pour prendre la tête de la direction de la musique et de la création culturelle. Nous souhaitons donc bien sûr que nos publics, à la Maison de la radio, croissent. Il est vrai que nous partons de loin – par exemple, Radio France n'avait pas de base de données de ses clients réguliers ni de ses abonnés ; il a donc fallu en constituer une. La saison passée, nous avons reçu plus de 135 000 visiteurs à la Maison de la radio, dont 100 000 spectateurs rien que pour les concerts de musique classique, et cette activité a fortement progressé au cours des deux dernières saisons.

La trajectoire que nous visons sur le plan financier est exigeante et, pour stabiliser la masse salariale et compenser des phénomènes automatiques qui entraînent une progression d'environ 4 millions d'euros par an, soit 1 %, le COM prévoit le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux en 2016 et en 2017, celui d'un départ sur trois en 2018. Pour absorber cette augmentation mécanique, le non-remplacement des départs naturels ne suffit pas, d'autant qu'il n'est pas possible de cibler des postes : nous faisons bien en fonction des départs naturels, dont le nombre varie entre 150 et 180 par an. Et dans certaines directions, nous sommes obligés de remplacer tous les départs ; dans d'autres, d'en remplacer moins que prévu. La règle n'est donc pas mathématique. Au cours de cette première année de réduction du nombre de postes, nous nous sommes efforcés de contenir la progression de la masse salariale en jouant à la fois sur les départs non remplacés, sur l'effet de noria et sur l'aspect frictionnel – autrement dit, sur le délai entre un départ et la date de l'éventuel remplacement.

Cet effort est porté aujourd'hui par l'ensemble de l'entreprise, et les salariés en ont bien pris conscience. C'est aussi l'un des enseignements du conflit social de 2015 : les salariés ont intégré le fait que la situation de Radio France n'était plus la même qu'au cours des décennies précédentes et que, si nous nourrissons toujours autant d'ambition pour l'entreprise, son développement doit tenir compte de contraintes certainement plus nombreuses. Je crois que cela répond aussi à la question de Patrick Bloche : ces contraintes sont comprises et le dialogue social a repris d'une façon constructive, si bien que l'accord qui devrait se substituer d'ici au début de l'année prochaine à l'ancienne convention collective de l'audiovisuel public est aujourd'hui dans ses dernières semaines de négociation. Michel Orier consacre beaucoup de temps à la négociation avec les musiciens, auxquels nous demandons de réels efforts de productivité, avec un redimensionnement des formations musicales, des deux orchestres et du choeur, inspiré d'ailleurs par la mission Gehmacher, qui a travaillé dans le cadre de la médiation intervenue lors du conflit de 2015. Il y a une prise de conscience, même si les négociations ne sont pas simples, non plus qu'avec les intermittents. Vous savez tout l'intérêt des contrats à durée déterminée (CDD) d'usage pour une entreprise dont l'activité repose sur des grilles de programmes : ils lui offrent une souplesse pour faire vivre ses antennes et permettent d'interrompre une collaboration en fin de grille, lorsqu'un programme a fait son temps, lorsqu'un producteur, un animateur doit passer la main, car nous avons aussi une exigence de renouvellement. C'est d'ailleurs la clé des succès d'audience de Radio France, de France Inter, de France Culture : tout en étant fidèles à leurs identités respectives, les antennes ont renouvelé, féminisé, diversifié les voix pour capter une nouvelle audience – j'ai été très attentif aux propositions des directrices et des directeurs.

Si la souplesse de ces contrats de grille est absolument nécessaire, nous devons évidemment, dans le même temps, travailler à la résorption de la précarité, donc de l'usage des CDD – il est vrai qu'aujourd'hui il est assez répandu à Radio France. Nos efforts en termes de masse salariale concernent aussi les CDD. Le réseau France Bleu a largement réduit, au cours de l'année dernière, son budget de CDD, ce qui nous oblige à planifier différemment congés payés et congés de RTT. Ce sont aussi des changements de méthode, mais les équipes, aujourd'hui, ont intégré la nécessité de ces efforts, et nos succès d'audience, nos succès publics montrent qu'un service public peut à la fois être exigeant, remplir pleinement ses missions, intégrer la contrainte économique et rassembler.

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