Intervention de Hélène le Teno

Réunion du 30 novembre 2016 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Hélène le Teno, directrice Entreprises du cabinet Auxilia, pilote du Comité scientifique de Fermes d'Avenir :

L'association Fermes d'Avenir existe depuis cinq ans et travaille essentiellement sur les micro-fermes maraîchères inspirées par la permaculture. Notre propos central est de chercher à développer des petites fermes maraîchères assez performantes pour être viables économiquement et procurer des bénéfices territoriaux importants.

Commençons par nous demander si l'agriculture classique est performante économiquement, socialement et écologiquement. Le système agricole français est sous perfusion, puisqu'il est subventionné à hauteur de 7 milliards d'euros à travers le premier pilier de la PAC. Sans subventions, les deux tiers des exploitations présenteraient un résultat négatif. L'endettement moyen des exploitations est de 160 000 euros. Les rendements sont stables ou en baisse selon les types de production. Pour ce qui est des fruits et légumes, l'agriculture française présente un déficit de la balance commerciale de 4 milliards d'euros, alors que la France est en capacité de produire suffisamment de fruits et légumes pour nourrir ses habitants.

D'un point de vue écologique, on sait que 60 % des terres arables sont fortement dégradées, voire mortes, que l'agriculture représente 20 % des productions de gaz à effet de serre de la France et que la pollution d'origine agricole a un coût d'environ 60 milliards d'euros, ce qui correspond à la valeur marchande de la production agricole – un chiffre qui doit nous inciter à nous demander si nous sommes en train de produire ou de détruire de la richesse. Enfin, l'agriculture n'emploie plus que 1 million de personnes, soit 50 % de moins qu'il y a vingt ans, avec toutes les conséquences que l'on sait sur l'emploi en zone rurale et périurbaine, et un impact important sur la santé des consommateurs – dont nous évaluons le coût à environ 20 milliards d'euros par an.

Compte tenu de ces pauvres performances de l'agriculture française, quelles sont nos options, en termes d'innovation et de résilience, pour demain ? D'un côté, il y a une vision technocentrée, intense en investissements ; de l'autre, une approche consistant à cultiver avec le vivant, en mettant à profit le capital naturel, notamment au moyen de cultures de plein sol, low tech et intenses en main-d'oeuvre. Dans le domaine du maraîchage, cette seconde approche se traduit par une culture respectant la diversité du vivant et pratiquée selon un design innovant, étudié pour produire bien et beaucoup sur de petites surfaces.

Fermes d'avenir a voulu mettre en pratique les principes de permaculture auxquels elle se réfère et, à, partir d'une prairie non cultivée, elle a créé une micro-ferme maraîchère qui, dix-huit mois plus tard, produit de manière intensive. Par ailleurs, notre association a structuré un réseau de 200 fermes de micro-maraîchage en France, essentiellement inspirées par la permaculture et qui, réunies autour d'une charte, ont construit un réseau social pour favoriser l'essaimage de leurs pratiques.

Ces pratiques comprennent la mise en culture d'espèces et de semences variées, et un important travail consistant à restaurer le capital naturel, en particulier les sols et la vie des sols. Nos objectifs consistent à prouver par l'expérience, à faire se rencontrer des agricultures et les faire connaître, à accompagner et former, et à vous parler à vous, décideurs. En dehors du terrain, convaincre les politiques est un exercice qui nous passionne également. Pour cela, nous avons travaillé durant six mois à la réalisation d'un plaidoyer dont le résumé vous a été communiqué sous la forme d'une brochure de quatre pages. Nous avons réalisé ce travail avec l'aide de trente experts et des académiques, d'un comité scientifique, sur la base d'une revue de littérature et de la compilation de données de terrain.

Nous nous sommes fondés sur un certain nombre de partis pris, notamment celui selon lequel les trois capitaux – financier, naturel, social et humain – ne sont pas substituables : si l'on détruit totalement le capital naturel, par exemple, il est très difficile, voire impossible de le restaurer. Il est donc indispensable de préserver ces trois capitaux.

Un deuxième parti pris consiste à considérer que, pour que des acteurs économiques puissent vivre de ces métiers, il faut une approche opérationnelle. Si une micro-ferme a un impact positif sur son territoire immédiat – la commune et ses habitants ou la région –, cet impact constitue un service rendu qui peut parfois être rémunéré. Il peut s'agir de la préservation de la qualité de l'eau, du maintien ou du retour à l'emploi d'habitants du territoire. Les micro-fermes ne font donc pas que produire des carottes, elles peuvent aussi avoir des fonctions très importantes au sein des territoires, et rendre à la collectivité des services méritant une juste rémunération.

Enfin, notre troisième parti pris consiste à penser que, sans attendre la PAC 2020, il est possible de commencer à contractualiser à l'échelle locale – celle des bassins de vie, des bassins versants ou des régions – sur les multiples bénéfices des micro-fermes.

L'une des questions revenant le plus souvent au sujet des micro-fermes est celle de leur viabilité économique. Une ferme maraîchère classique est assez fortement mécanisée, elle présente un taux d'endettement élevé en raison du coût du matériel et doit régulièrement acheter des engrais et des semences ; ses recettes proviennent essentiellement de la vente de légumes ainsi que de subventions – assez limitées par rapport à d'autres productions. Une ferme agro-écologique inspirée par la permaculture vit également de la vente de légumes ; elle ne perçoit quasiment pas de subventions puisqu'elle est située hors du champ des exploitations éligibles ; du fait de son mode de culture intensif, elle a d'importantes charges de personnels, mais fait très peu d'achats de matières premières et n'a quasiment pas de matériel à amortir, s'agissant d'un modèle low tech peu mécanisé.

Le fonctionnement de la ferme classique engendre pour la collectivité des coûts actuellement non monétarisés – la pollution à traiter, le coût en termes de santé publique, les atteintes à la biodiversité –, tandis que celui de la micro-ferme en permaculture rend à la collectivité des services qui ne sont pas rémunérés pour le moment. Pour améliorer encore le fonctionnement de ces micro-fermes dont il existe déjà 200 exemplaires en France, nous proposons de travailler activement à la rémunération d'une partie des services qu'elles rendent, qu'il s'agisse de services sociaux ou environnementaux. Nous proposons également de mutualiser, autant que possible, certaines des charges et des fonctions support à la vie de ces fermes, notamment au moyen de coopératives. Enfin, nous estimons qu'il convient de considérer la question de l'endettement des fermes classiques et de leur viabilité économique.

Nous avons également intégré à notre plaidoyer une projection des bénéfices nationaux de l'essor des micro-fermes. Nous nous sommes demandé combien il faudrait d'exploitations de ce type pour fournir à un tiers des Français une alimentation en légumes locale, bio, saine et de proximité. Selon nos calculs, il faudrait environ 25 000 micro-fermes nouvelles et 60 000 conversions de petites fermes en fermes maraîchères bio. Cette transition représente un gisement d'emplois considérable, une réduction du déficit de la balance commerciale de 1 milliard d'euros, la suppression de nombreuses dépenses sociales – notamment en matière de coûts de santé –, ainsi qu'une diminution des coûts de restauration écologique. Globalement, l'équation économique pour la France se traduirait par une économie de coût de l'ordre de 3 milliards d'euros par an, ce qui devrait intéresser les décideurs et les investisseurs.

Pour cela, quelles seraient les principales mesures à porter à l'échelle nationale ou locale ? Les démarches de projets alimentaires territoriaux, l'innovation en recherche et développement agro-écologique, notamment l'innovation organisationnelle, enfin la mise en place de justes paiements pour les services rendus – de type écosystémique, d'une part, sous la forme de contrats à impact social, d'autre part.

En conclusion, Fermes d'Avenir a besoin de vous, ici présents, ainsi que de tous les Français. Nous travaillons aussi sur les dynamiques de coopération territoriale avec les acteurs locaux – acteurs professionnels et citoyens –, et en mettant en oeuvre de nouveaux outils, notamment ceux de la finance participative numérique, pour soutenir les agriculteurs qui souhaitent s'installer et peinent à trouver des financements bancaires. Enfin, nous avons organisé un tour de France qui, en 2017, s'arrêtera dans trente étapes régionales, ainsi qu'une pétition qui sera lancée prochainement et aura pour objectif de soutenir des propositions pour 2017.

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