Intervention de Dominique Olivier

Réunion du 30 novembre 2016 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Dominique Olivier, directeur de la coopérative agricole et de territoire Fermes de Figeac :

Je vous remercie pour votre invitation. Si je suis d'accord avec tout ce qui vient d'être dit précédemment, je vais présenter les choses un peu différemment : pour ma part, je ne fais pas de l'agro-écologie une finalité, mais une conséquence.

Notre coopérative est née dans un secteur dit défavorisé, de semi-montagne, au nord du Lot, à la frontière avec le Cantal. Notre territoire, d'un rayon de vingt kilomètres, comprend surtout des fermes d'élevage – bovins à lait en élevage intensif et bovins à viande en élevage extensif. Il y a trente ans, ce modèle était appelé à disparaître, du moins la prétendue absence d'avenir pour ce type d'agriculture l'y avait-elle condamné. Pourtant, cette coopérative, qui employait vingt salariés quand nous l'avons reprise à plusieurs en 1985, emploie aujourd'hui 160 salariés à périmètre égal, cela parce que nous sommes passés d'une coopérative agricole à une coopérative agricole et de territoire.

En 2003, procédant à un bilan sociétal avec Coop de France, nous nous sommes aperçus que l'évolution des mentalités au sein de la société française était en train de lever un frein à notre développement, et que nous devions accompagner ce mouvement en faisant du territoire notre allié. Déjà, en 1997, nous avions été pionniers en décidant de vendre les produits de nos agriculteurs dans les magasins de notre enseigne Gamm Vert, où nous ne commercialisions jusqu'alors que des marchandises propres aux jardineries – plantes et aliments pour animaux. Nous avons commencé en installant dans notre magasin de Figeac un petit rayon où nous vendions des saucisses et des yaourts fermiers, avec pour objectif de réaliser un chiffre d'affaires de 150 000 euros en 2000. Aujourd'hui, les ventes en circuit court représentent pour nous un chiffre d'affaires de 5 millions d'euros, et nous avons créé vingt-six emplois.

En 2000, après la crise de la vache folle, nous nous sommes aperçus que pas un kilo de viande vendu sur les étals locaux ne provenait de notre territoire, alors que la région comptait de nombreux producteurs. Notre défi a donc été de créer une boucherie. Nous en avons maintenant trois dans nos magasins Gamm Vert. Qui plus est, faute de main-d'oeuvre disponible, nous avons dû former onze bouchers en leur faisant passer un CAP. Ainsi, en valorisant une démarche locale, nous avons montré qu'il était possible de créer de l'emploi.

Nous rendant compte que tout miser sur une logique de producteur n'était pas forcément suffisant, nous nous sommes associés à la collectivité pour lancer une initiative intitulée « Terres de Figeac, Mêlée gourmande » réunissant les agriculteurs, les distributeurs et les citoyens autour d'une réflexion sur la consommation locale – ce que l'on appellerait aujourd'hui un plan alimentaire territorial. Nous avons ainsi créé à la fois de la valeur et du lien social.

Pour des raisons commerciales, nous offrons une gamme complète dans nos magasins. En l'absence de producteurs sur le territoire, le café mis en rayon est issu du commerce équitable. Sinon, nous faisons appel aux agriculteurs locaux travaillant en circuit court. Progressivement, ceux-ci adoptent d'eux-mêmes l'agro-écologie, tout simplement parce que le dialogue qui s'engage spontanément avec les consommateurs les y incite. C'est donc par l'intermédiaire du produit que les agriculteurs en viennent à travailler différemment, parce qu'ils trouvent des motivations qui les y conduisent et des revenus qui le leur permettent.

En 2008, nous nous sommes livrés à un travail de prospective pour déterminer ce que pouvait être l'avenir d'une petite coopérative agricole dans notre secteur. Selon un premier scénario, pris par le courant, nous passions de 650 à 350 agriculteurs, la coopérative était reprise et il ne nous restait que notre niche de circuit court.

À l'époque, nous sortions d'une crise du blé ayant provoqué des émeutes de la faim dans plusieurs pays d'Afrique du Nord. Chez nous, le prix du blé était passé de 100 euros à 300 euros la tonne, précipitant la fin de plusieurs de nos producteurs de porc. Ce contexte nous a inspiré un deuxième scénario, du type « Avis de tempête », tenant compte du fait que nos gouvernants voulaient une alimentation la moins chère possible à Paris. Nous nous sommes rapidement engagés sur la voie de ce scénario, qui nous a progressivement conduits à l'autonomie en matière de production céréalière sur notre secteur : alors que nous allions autrefois acheter des céréales jusqu'à Châteauroux, nous produisons aujourd'hui l'intégralité de ce qui nous est nécessaire.

Par ailleurs, nous avons commencé à étudier notre bilan carbone. Les calculs auxquels nous avons procédé avec le concours d'AgroParisTech ont permis de mettre en évidence que ce bilan était vertueux sur notre territoire, en raison du fait que 50 % de notre surface d'exploitation est couverte de forêts, et que les 50 % restants sont occupés à 80 % par des prairies. Bien évidemment, ce bilan positif apporte une plus-value à la société.

Après le scénario « Avis de tempête », qui était insoutenable – il restait 150 agriculteurs –, nous en avons élaboré un nouveau, intitulé « Changement de cap », en partant du principe que l'apport de l'agriculture ne se limite pas forcément aux produits alimentaires. Tout en restant concentrés sur la production de lait et de viande, nous nous sommes aperçus qu'avec l'eau et l'air de qualité, le vent et le soleil dont nous bénéficiions, nous pourrions produire autre chose. C'est ainsi que, lorsque nous en avons eu l'opportunité, en 2010, nous avons conçu le plus important projet photovoltaïque français en créant une coopérative de toits de ferme – de 200 en 2010, leur nombre est passé à 500 aujourd'hui –, qui permet de générer des revenus supplémentaires.

Les circuits courts concernant donc non seulement l'alimentation mais également l'énergie, nous nous sommes ensuite intéressés au projet de ferme éolienne qui existait dans notre secteur. Après tout, le vent est à nous ! Nous avons donc organisé une levée d'épargne citoyenne, grâce à laquelle nous avons acquis 40 % du capital de cette ferme, qui représente un investissement de 28 millions. Les agriculteurs et les habitants du territoire ont sorti leur argent de la banque pour lui donner du sens en investissant dans cette ferme. Ainsi, de fil en aiguille, notre territoire progresse en matière d'agro-écologie, mais à partir du produit et du revenu.

Enfin, en 2010, nous avons racheté la dernière scierie du coin, qui était à vendre, et nous sommes en train de remonter une filière bois locale. Nos bâtiments sont chauffés avec les déchets de la scierie, que nous développons grâce à la commercialisation de bois local. Nous partons donc d'un écosystème territorial, qui nous permet de développer l'emploi et l'innovation. Par exemple, lorsque nous avons lancé notre projet de production d'énergie, notamment photovoltaïque, les banques ont exigé que nous disposions d'un système de maintenance pour nos installations. Plutôt que de faire appel à de grosses sociétés toulousaines, nous nous sommes battus pour créer notre propre système, et nous avons embauché, pour cela, des ingénieurs centraliens et des ingénieurs énergéticiens dans notre coopérative agricole. Aujourd'hui, parce que nous appartenons à un territoire, nous sommes capables de gérer des biens communs.

Nous, agriculteurs, nous en avons un peu assez des normes qui nous sont imposées, notamment en matière de verdissement. J'ai vu des agriculteurs, au moment des premiers Contrats territoriaux d'exploitation (CTE), appliquer ces normes parce qu'on leur proposait une carotte. Mais, une fois que la prime de cinq ans est tombée, ils sont revenus à une agriculture classique. Ils n'ont pas été convaincus ; ils ne se sont rien appropriés. C'est la carotte et le bâton ! En Suisse, en revanche, où les projets agro-écologiques sont conçus et développés à l'échelle d'une commune ou d'un groupe de communes, le système est beaucoup plus pérenne. Imposer, comme on le fait ici, des normes à des personnes qui n'ont pas de revenus, ce n'est pas supportable, car, même si je suis d'accord sur le fond, la méthode provoque un rejet de cette approche.

Nous avons encore beaucoup de projets à développer, mais certains freins nous en empêchent. Le premier d'entre eux, c'est l'agrandissement lié à la diminution du nombre d'exploitations, qui s'explique par la pyramide des âges. Nous avons donc demandé à Stéphane Le Foll, qui nous a rendu visite la semaine dernière, de pouvoir expérimenter une coopérative foncière – nous mobilisons pour cela de l'argent au plan local –, car nous ne pouvons pas faire venir des gens de l'extérieur tant que nous n'aurons pas réglé le problème du foncier. Nous réfléchissons à la manière dont nous pouvons changer les règles dans ce domaine, car, les primes PAC étant ce qu'elles sont actuellement, le voisin a intérêt à s'agrandir sans produire, pour toucher plus de primes.

Enfin, nous avons approfondi notre réflexion sur le lien entre coopérative agricole et territoire. En tant que militants de l'économie sociale et de la coopération, nous avons saisi la possibilité offerte par la loi Hamon pour créer un pôle territorial de coopération économique (PTCE). Nous sommes entrés en relation avec une association de handicapés qui compte une centaine de salariés et qui est équipée d'une cuisine centrale. Aujourd'hui, cette association, qui prépare 700 repas par jour, nous achète notre viande. De plus, alors que nous avions échoué à relancer le maraîchage, grâce à cette association d'insertion de handicapés, nous créons une légumerie, et nous comptons installer ensuite des maraîchers. Pour permettre à des gens de s'installer, il faut d'abord créer le débouché, l'outil, comme nous l'avons fait avec les magasins.

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