Intervention de François Léger

Réunion du 30 novembre 2016 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

François Léger, agronome :

L'agriculture de précision a ceci d'inattendu que ces données deviennent l'élément clé des politiques. Or elles risquent très rapidement de ne plus appartenir ni à l'économie française ni à l'économie européenne. Le choix est d'ordre politique. Si l'on veut défendre l'agriculture de précision, le tout est de ne pas subir – mais c'est probablement trop tard.

Du reste, il n'est pas prouvé que l'agriculture de précision soit considérablement plus efficace. Beaucoup de discours s'appuient actuellement sur de prétendues données scientifiques. À cet égard, la dernière campagne américaine a donné lieu à des errements invraisemblables. Pour ma part, je plaide auprès de vous, députés, de quelque sensibilité politique que vous soyez, pour que la transparence sur les faits devienne un objectif de politique publique, car la désinformation, y compris à l'intention des agriculteurs, peut être tragique. Pour ce qui est de l'agriculture de précision, donc, sachons bien entre les mains de qui on se met.

Avec d'autres, je considère que, depuis quarante ans, nous faisons une politique agricole qui s'intéresse uniquement à l'agriculture. Il est temps de remettre les agriculteurs au coeur du jeu. Quels que soient les choix techniques que nous ferons demain – plus de haute précision technologique, plus d'intelligence écologique ou les deux, car il n'est pas prouvé que l'une et l'autre soient incompatibles –, il sera fondamental de reconsidérer les agriculteurs et les entreprises. D'aucuns revendiquent une approche libérale de l'agriculture, qui fait de l'agriculteur un entrepreneur. Or, paradoxalement, la possibilité d'entreprendre est totalement contrainte, elle ne relève plus que de la stratégie de gestion des primes. Est-il entrepreneur, celui dont la totalité du revenu provient de primes qui n'ont pas d'autre sens qu'historique – on touche les primes parce qu'on les avait et qu'on a racheté celles des voisins ? Si l'on veut développer à nouveau l'entreprenariat agricole, que ce soit sous des formes individuelles ou collectives, il convient de remettre les agriculteurs au coeur des politiques, et non plus l'agriculture.

Je suis désolé d'avoir à contredire celui d'entre vous qui plaçait la France au rang de deuxième puissance agricole mondiale. C'est désormais le Brésil qui occupe cette place, la Chine se plaçant en troisième position. Nous sommes la première puissance agricole européenne, mais cela peut changer d'une année sur l'autre. Même si l'on aime le récit héroïque national, il faut faire attention.

Quant au secteur agro-alimentaire créateur d'emplois, on ne peut plus en parler en ces termes. En tant qu'enseignant dans l'enseignement supérieur agronomique, j'ai le devoir d'être attentif à tous les signaux faibles. Ce que je vois, c'est que le secteur agricole est proportionnellement le secteur le plus destructeur d'emplois actuellement parce que les exploitations disparaissent à la vitesse grand V. La démographie est désormais l'enjeu clé de toute politique agricole si nous ne voulons pas tomber dans des agricultures éventuellement très efficaces supportées par l'investissement capitalistique et technologique, celles qui permettent de produire des tomates dans des serres hydroponiques, biologiques au sens où il n'y a pas d'intrants chimiques mais qui ne le sont pas en réalité puisque le cahier des charges de l'industrie biologique interdit l'hydroponie.

J'ai visité récemment aux Pays-Bas des serres implantées sur environ 80 hectares, énergétiquement vertueuses et ne nécessitant l'emploi d'aucun pesticide, ce en quoi on pourrait voir la résolution d'un certain nombre de problèmes. Pourtant, le responsable de ces serres regrettait d'avoir dû les installer dans ce pays pour rester proche des entreprises qui détenaient la technologie. Dans une logique de gains marginaux extrêmement faibles, c'est-à-dire où chaque centime compte, il aurait eu tout intérêt à aller en Espagne ou au Brésil. Peut-on espérer que cette agriculture, de plus en plus industrialisée, soumise à des logiques capitalistiques dans lesquelles le rendement du capital compte plus que l'exploitation familiale patrimoniale telle que la conçoivent encore de très nombreux agriculteurs, deviendra absolument délocalisable ? Prenons l'exemple de Doux en Bretagne.

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