Pour répondre à Mme Martine Lignières-Cassou, nous nous sommes battus pendant dix ans pour ramener les vaches de l'abattoir de Brive à celui de Saint-Céré, c'est-à-dire pour abandonner un circuit long au profit d'un abattoir local qui fait vivre directement ou indirectement cinquante personnes et traite 100 tonnes de viande.
Pour ce qui est de la transformation, toujours dans un esprit de coopération, nous sommes en train de créer une conserverie collective. Il s'agit de mutualiser les investissements pour éviter que les agriculteurs ne se remettent à en faire chacun de son côté. Il n'a pas été démontré, en effet, que transformer leur production à la ferme ou l'écouler en circuit de proximité – je préfère cette notion à celle de « circuit court » qui peut s'avérer dangereuse – leur permet de gagner plus d'argent.
S'agissant de la temporalité, des crises aussi effroyables qu'en ont connues les producteurs de porcs puis les producteurs de lait doivent trouver des solutions sur le temps court. Les mutations, elles, se font nécessairement sur le temps long ; c'est le temps de l'appropriation. Déjà qu'ils souffrent, les agriculteurs souffrent plus encore d'être montrés du doigt par leurs concitoyens, les gens de la ville, alors que c'est de la cohésion et de la complémentarité sur le territoire que viendront les solutions. Il ne s'agit pas de choisir entre circuit long ou circuit court ; on est à la fois dans le circuit long et dans le circuit court. Un agriculteur en circuit court est content que la laiterie prenne son lait restant en circuit long ou que l'abattoir du circuit long lui permette d'abattre une bête en circuit court. Plutôt que d'opposer les systèmes, il faut en trouver la synergie, la symbiose.
L'agriculture est un segment à part de l'économie, car ce que produit l'agriculteur, on le mange et cela rentre dans le corps. Et cela change tout. Veut-on une agriculture robotisée, techniquement développée ? Il y a dix-huit mois, des agriculteurs de Château-Thierry, membres de la FNSEA, m'ont dit avoir peur de se faire attaquer par les voisins quand ils sortaient avec leurs pompes à sulfater. Cette semaine, 300 personnes manifestaient pour le bien-être animal devant l'abattoir de Limoges. Ce sont là des mouvements de société qui vont déborder le politique. Veut-on une agriculture capitalistique et compétitive, de celle qui a conduit un fonds chinois à acheter, au début de l'année, 2 500 hectares dans l'Indre ? Si c'est cela, on va droit dans le mur. L'agriculture peut être capitalistique et économiquement performante, mais pas seulement.
Dans le Jura, grâce à la filière du Comté, le paysage est magnifique et entretenu, l'agro-écologie se pratique de fait. M. Valadier, le père fondateur de la fromagerie de l'Aubrac, dit que c'est en défendant l'aligot que le territoire a gagné en valeur ajoutée et que les agriculteurs sont quasiment tous passés en bio alors que ce n'était pas du tout l'objectif de départ. Et aujourd'hui, le paysage est entretenu. Et le marais de Guérande, il y a trente ans, tout le monde le disait fichu. Les gens du coin ne voulaient pas s'installer dans ce gros bloc de sel gris. Aujourd'hui, 300 agriculteurs y vivent autour d'un produit et d'un territoire, et tout le marais de Guérande est en bio. C'est par le produit, par le lien au territoire que l'on trace un chemin. Avec une agriculture uniquement capitalistique, attention aux paysages et à une agriculture sans personne ! C'est la vie que nous voulons défendre sur nos territoires, la biodiversité à laquelle appartiennent aussi les femmes et les hommes. L'innovation est certes technique, mais elle est aussi organisationnelle et sociale.
Enfin, je veux insister sur la transmission des exploitations. Actuellement, 50 % des agriculteurs chez nous ont plus de cinquante-cinq ans. Si demain, nous n'avons que des fermes de 350 hectares avec 150 vaches, exploitées en ranching, il est clair qu'il n'y aura pas de paysages, pas d'agro-écologie. Ce sont les hommes qui le font.
Je terminerai en relayant le message d'un de mes collègues qui veut vous dire que les impératifs de réchauffement climatique et de transition énergétique sont de formidables leviers pour que les gens se tournent vers l'agro-écologie. Mais, si les énergies renouvelables représentent un fort potentiel de développement et une réelle opportunité de création de valeur ajoutée et d'emploi pour nos territoires ruraux, on constate cependant une forte proportion de projets portés par des structures exogènes, adossées à des institutions financières. Un marché des projets lauréatisés se met en place, animé par quelques structures spécialisées sur la France, excluant les acteurs locaux. Les mécanismes de soutien doivent contrebalancer l'unique recherche de sécurisation du capital et la priorité doit être donnée au développement de projets portés par des acteurs locaux.
Si les projets de méthanisation agricole représentent une réelle complémentarité avec l'élevage, ils sont, en revanche, très difficiles à concrétiser en comparaison des projets de traitement des biodéchets autour des villes. Le dispositif actuel prévoit une prime d'incorporation pour les effluents d'élevage. Il est nécessaire d'avoir une visibilité à long terme, sur des contrats de vingt ans, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Aussi, les projets ne démarrent-ils pas. Je vous demande donc, mesdames, messieurs les députés, d'essayer de nous aider en la matière.