Intervention de Naïma Charaï

Réunion du 31 janvier 2013 à 14h00
Mission d'information sur les immigrés âgés

Naïma Charaï, présidente du conseil d'administration de l'Agence pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, ACSé :

Je vous remercie de votre invitation. Je suis heureuse de participer à cette mission d'information dont le sujet me tient particulièrement à coeur, compte tenu de mon parcours associatif et militant.

Même si, du fait de la création, en 2007, du ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, les actions que nous menions en faveur des vieux migrants ont en partie disparu de notre champ d'action, nous poursuivons cependant certaines initiatives en leur faveur.

Avant le début de l'immigration familiale, en 1974, les immigrés étaient considérés comme une main-d'oeuvre jeune, isolée, sans ascendants ni conjoints, et destinée à retourner dans son pays d'origine. Ce n'est que dans le courant des années quatre-vingt-dix que certains historiens, chercheurs et associations, appuyés par le FASILD, se sont penchés sur la mémoire et la transmission intergénérationnelle, et qu'ils ont commencé à rendre compte des conditions de vie des vieux migrants dans les foyers de travailleurs. Le constat est sévère. Après des années de travail harassant, les vieux migrants meurent seuls, en silence, dans l'indifférence générale que la société dite « d'accueil » réserve aux personnes âgées, a fortiori quand elles sont immigrées.

En 1999, le dernier recensement général de la population par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) dénombrait 537 000 étrangers de plus de soixante ans, dont 100 716 vivant seuls, le plus souvent chez eux. Ces 57 478 femmes et 43 238 hommes viennent en majorité d'un État membre de l'Union européenne. Si l'on y ajoute les étrangers ayant acquis la nationalité française, on compte 1 037 000 immigrés de plus de soixante ans, dont 510 000 hommes et 527 000 femmes. Algériens, Marocains et Tunisiens représentent près de 30 % de la population immigrée de plus de soixante ans résidant en France et 86 % de la population étrangère âgée vivant dans un foyer de travailleurs immigrés. En somme, les vieux migrants ne sont pas uniquement des hommes, ils ne vivent pas tous dans un foyer et ne sont pas majoritairement maghrébins.

Leur espérance de vie est inférieure de dix ans à celle du reste de la population. Même si cette inégalité ne leur est pas spécifique, au sens où elle touche plus généralement les populations précaires, force est d'observer que les immigrés âgés représentent une part importante des catégories les moins favorisées.

À l'interrogation persistante qui sous-tend le débat sur la prise en charge des immigrés vieillissants – faut-il les diriger vers les structures de droit commun destinées à tous les résidents ou concevoir pour eux des instances spécifiques ? –, l'ACSé répond en affirmant la nécessité de les intégrer au sein des structures relevant du droit commun des personnes âgées, et d'adapter les services mis à leur disposition, notamment en matière d'aide à domicile.

Cependant, compte tenu de la faiblesse de cette prise en charge dans le cadre des institutions de droit commun, et lorsqu'il s'agit d'un travail en milieu ouvert – permanences sociales, lieux de rencontre, soutien aux réseaux dits « communautaires » –, l'ACSé n'exclut pas du champ de ses interventions l'élaboration d'une offre dédiée, en raison de la spécificité de l'accompagnement et de la prise en charge des immigrés âgés. Nous privilégions même cet axe d'intervention, compte tenu des difficultés que rencontrent les immigrés vieillissants pour accéder à leurs droits : droit à la santé, à un logement digne, à la retraite et aux allocations complémentaires des ressources.

On peut sérier les obstacles ou les retards spécifiques à l'accès aux droits. Les uns relèvent des restrictions législatives qui conditionnent la prise en charge à l'appartenance à la citoyenneté française. D'autres relèvent des pratiques administratives différenciées que mettent en oeuvre les institutions publiques et privées confrontées à des publics perçus à tort ou à raison comme étrangers. D'autres sont imputables à un manque de ressources des intéressés, qu'il provienne d'un problème linguistique, d'une méconnaissance de la réglementation ou de certaines représentations. Plus largement, l'ACSé évite la segmentation entre les publics concernés au profit de la définition d'axes stratégiques privilégiant les différentes thématiques : logement, formation, accès aux droits, à l'action sociale et à la culture.

Il faut affiner la connaissance de la réalité comme des besoins des populations immigrées vieillissantes et isolées, notamment dans leur composante féminine. Si l'on dispose de certaines informations à ce sujet, on pèche aussi par ignorance, faute de pouvoir recenser les immigrés, en particuliers isolés et vivant en habitat diffus. Des études ou diagnostics précédemment cofinancés par le FASILD, notamment à l'échelon régional ou local, restent toutefois de précieux outils. Leurs méthodes innovantes ont souligné la féminisation du vieillissement des immigrés et défini des stratégies territoriales adaptées. Il convient de développer ces études – recherches, actions, diagnostics – qui contribuent à une prise de conscience de l'ensemble des partenaires impliqués, même si, comme le remarque le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2002, elles demeurent plus orientées vers la réflexion que vers une action inscrite dans une véritable politique.

Mieux connaître les migrants âgés permettrait de prendre en compte certains traumatismes liés à l'exil : culpabilité d'avoir quitté le pays et la famille, honte de ne pas pouvoir revenir dans le pays d'origine quand on n'a pas accompli la mission sociale pour laquelle on l'avait quitté, impression de non-utilité.

Le déficit d'accès aux droits dont souffrent les immigrés âgés s'explique par trois causes. Certaines difficultés relèvent directement des textes de loi qui régissent le statut et les conditions de circulation des étrangers en France, et créent des effets pénalisants pour les migrants âgés. D'autres tiennent aux modalités d'application de la loi, au guichet, particulièrement en ce qui concerne les allocations de ressources, prestations contributives et non contributives. L'arbitraire prévaut dans l'interprétation des critères ouvrant droit au bénéfice d'une allocation, notamment quand ceux-ci ne font pas l'objet d'une définition réglementaire. Les dernières difficultés tiennent à la complexité du système des différentes prestations. Le manque d'information concerne non seulement des immigrés vieillissants, dont certains sont illettrés, mais également des agents des administrations chargés de gérer ces prestations.

Régularité du séjour et effectivité de la présence sur le territoire sont les deux premières conditions de l'accès aux droits sociaux des étrangers en France. La règle s'applique aussi aux pensions de retraite, aux compléments à la part contributive, c'est-à-dire aux majorations et allocations supplémentaires qui forment le minimum vieillesse et l'allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA). Tous sont soumis à des conditions d'âge, de ressources et de résidence en France. Cependant, dans la plupart des cas, les critères d'appréciation de la résidence restent factuels, sans décret d'application, donc difficiles à apprécier par les services gestionnaires.

La question des ressources est centrale pour la population immigrée, notamment isolée, dont une partie de la famille continue de résider au pays. Beaucoup de retraités s'installent dans un va-et-vient entre le pays d'accueil et le pays d'origine : s'ils ont une femme et des enfants au pays, ils doivent revenir en France pour conserver leur part de prestations complémentaires.

L'ACSé assume un rôle de vigie qui correspond à sa mission de lutte contre les discriminations. Elle développe aussi un dispositif de sensibilisation et de formation pour aider les acteurs de l'intégration à prendre en compte la situation économique, sociale, juridique et culturelle des immigrés vieillissants. Il concerne notamment les professionnels des services médico-sociaux et gérontologiques, les agents des caisses régionales et départementales de retraite et de l'assurance maladie, les personnels des services d'aide à domicile. Dans ce domaine, les services des conseils généraux sont nos interlocuteurs privilégiés. Nous avons créé un observatoire de l'accès au droit des immigrés vieillissants, ainsi que des programmes destinés à former des acteurs médico-sociaux à la spécificité du travail avec ce public. Nous avons aussi réalisé des guides pratiques à l'accueil des immigrés vieillissants pour les personnels et gestionnaires d'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), de foyers de travailleurs migrants (FTM) et de résidences sociales.

Des modalités d'intervention plus spécifiques sont mises en place pour favoriser l'accès aux soins et à la sécurité sociale. Bien que l'accès des immigrés vieillissants à la sécurité sociale soit aussi difficile qu'aux autres droits sociaux, la mise en place de la couverture maladie universelle (CMU), en facilitant l'affiliation, a changé la donne. Il faut poursuivre cette dynamique, tout en veillant à la bonne application des dispositifs destinés à ce public fragilisé.

Au vieillissement précoce commun à toutes les populations précaires, s'ajoutent la souffrance du déracinement et une maladie fréquente chez les personnes âgées : la démence sénile. L'état de connaissance de la prise en charge des troubles et maladies psychiques des immigrés vieillissants étant très insuffisante, on doit se fixer pour principe d'améliorer la prise en charge de la souffrance psychique, notamment en l'absence de famille. Au vieillissement prématuré s'ajoute l'apparition plus précoce de la dépendance, phénomène appelé à s'amplifier. Dès à présent, il convient de favoriser la prise en charge en EHPAD d'immigrés vieillissants ne pouvant plus rester isolés. Nous devons également poursuivre notre partenariat avec les agences régionales de santé (ARS) en matière de prévention et de prise en charge de la dépendance.

Nous soutenons également le droit à un logement digne et le maintien à domicile, qui relève de la compétence du ministère de l'intérieur sur la politique d'intégration, en lien avec la politique de la ville. Comme le souligne l'IGAS, dans le résumé des conclusions de sa mission, « pour des raisons économiques […], mais aussi culturelles, les immigrés vieillissants sont peu présents dans les institutions pour personnes âgées. Ils restent ancrés dans leurs lieux de vie traditionnels : le foyer, l'hôtel, le meublé […] On sait pourtant l'importance d'un logement décent pour permettre l'accès des fonctions de soutien à domicile […] Si on veut mettre en oeuvre les dispositifs de maintien à domicile, l'adaptation du logement des immigrés isolés est une nécessité. À ce titre, tout ce qui concourt à l'amélioration de leur habitat doit être tenté ou poursuivi : il faut donc donner une nouvelle impulsion à la réalisation du plan quinquennal, poursuivre l'éradication de l'habitat indigne, prendre appui sur le programme expérimental “pensions de famille” ».

Le maintien à domicile peut être favorisé par l'adaptation du bâti des FTM et par le développement, particulièrement dans les FTM et les résidences sociales, des interventions de tous les services de droit commun. Il faut aussi s'assurer que les allers-retours entre la France et le pays d'origine se déroulent dans de bonnes conditions, et apporter des solutions durables de logement aux immigrés âgés et isolés, qui vivent en hôtel meublé, voire dans l'habitat diffus insalubre. À titre expérimental, on pourrait implanter sur un même site une résidence sociale qui logerait des immigrés vieillissants et un établissement d'hébergement de petite dimension pour personnes âgées dépendantes, qui recevrait en priorité les hôtes de la résidence ayant perdu leur autonomie.

Jusqu'à présent, en matière d'amélioration et d'adaptation des conditions de logement des immigrés vieillissants, la mobilisation institutionnelle a essentiellement porté sur les FTM, mais l'ACSé doit contribuer à développer un programme d'intervention pour un égal accès à la diversité des formules de location ou de propriété.

Pour justifier les difficultés de prise en charge des migrants par les structures et services gérontologiques, on invoque souvent les spécificités culturelles et cultuelles, partant du principe que les immigrés vieillissants sont très attachés à leurs racines grâce auxquelles ils ressentent encore une appartenance au pays d'origine. Au-delà de ce postulat, il faut souligner le caractère toujours singulier des parcours individuels. Les lieux de vie – FTM, hôtel ou meublé –, qui constituent pour les acteurs de la gérontologie des habitats inhabituels et difficiles à appréhender, s'expliquent par la nature du projet migratoire qui, par définition, devait être transitoire et non pas inscrit dans la durée.

Dans cette perspective, on peut agir sur deux aspects.

Le premier concerne la réhabilitation et l'adaptation du bâti. Il permettrait de faciliter la vie des personnes âgées dans des structures aussi spécifiques que les FTM. Des aménagements techniques – ascenseurs ou rampes d'accès – peuvent améliorer l'accessibilité aux lieux. On peut aussi adapter les espaces et équipements collectifs, équiper les sanitaires privatifs, aménager spécifiquement les chambres en les dotant non seulement d'alarmes, mais d'un mobilier confortable, pourvu de dossiers, d'accoudoirs, etc.

Le second aspect concerne la gestion adaptée et l'accompagnement des résidents. Outre la gestion classique d'un habitat collectif, le logeur doit assumer tant une fonction de veille pour repérer les situations nécessitant des interventions spécifiques qu'une fonction d'accompagnement. Cette dernière suppose de recourir aux aides et dispositifs existants tels que le maintien à domicile, l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), les services de soins infirmiers à domicile, mais également la mise à disposition ou l'organisation d'activités ou d'animations sociales et culturelles. Celles-ci aident les personnes vieillissantes à ne pas se couper de leur environnement externe. Les actions menées à l'extérieur des structures sont à privilégier.

Hormis les investissements lourds et les opérations de réhabilitation du bâti, l'ACSé peut soutenir toute action permettant aux immigrés vieillissants de vivre dans un logement décent, sans limiter ses interventions aux seuls FTM. Elle accompagne la poursuite du plan de traitement des FTM pour favoriser leur évolution en résidences sociales, en veillant tout particulièrement aux adaptations réservées à ce public. Elle agit en direction des bailleurs privés et publics ainsi qu'auprès des collectivités territoriales pour qu'ils inscrivent la question du vieillissement des migrants parmi leurs priorités et y apportent leur contribution. Elle soutient divers organismes tels que Pour loger, l'Association des femmes africaines du Val-d'Oise, l'Espace Solidarité Habitat de la Fondation Abbé Pierre, les agences immobilières à vocation sociale et la Fédération des compagnons bâtisseurs.

Le maintien à domicile, offre un bon exemple des paramètres à prendre en compte pour élaborer une réponse adaptée aux contraintes financières, aux besoins et aux attentes des vieux migrants (aide ménagère, soins, portage des repas). Nos actions en la matière, sur un champ partagé avec le ministère de l'intérieur, se sont heurtées jusqu'ici à trois obstacles principaux. Le premier tient à la rémunération de la prestation. En deuxième lieu, les services traditionnels de maintien à domicile (comme la prestation d'aide ménagère) supposent que la personne occupe un véritable logement et non un lieu d'hébergement collectif comme le foyer. Le troisième obstacle tient au déficit de formation des personnels des services d'aide à domicile. Comme l'IGAS, l'ACSé recommande de favoriser le maintien à domicile des personnes âgées et d'adapter à leurs besoins les modalités d'intervention des services d'aide à domicile.

L'amélioration de l'accès à la retraite, aux prestations et plus généralement au droit est une compétence partagée entre la politique de la ville et le ministère de l'intérieur, chargé de la politique d'intégration. Outre les difficultés liées au statut d'étranger, l'ouverture des droits à la retraite se heurte à de nombreux obstacles dont les premiers sont relatifs à l'état civil des personnes et à la reconstitution des carrières. Les variations de retranscription des noms et les changements de patronymes compliquent singulièrement la constitution des dossiers. En outre, la reconstitution de carrière nécessite des documents concernant des périodes de travail souvent très morcelées sur l'ensemble du territoire, que l'employeur n'a pas toujours déclarées.

En 2002, l'IGAS disait du minimum vieillesse qu'il constitue « un des dispositifs de solidarité dont les mécanismes sont les plus hermétiques pour l'usager (confusion entre les différentes prestations du minimum vieillesse et avec le minimum contributif, application du plafond de ressources...). Les procédures d'information des caisses ne sont pas à la hauteur de cette complexité [...] Surtout, les modes d'information devraient être adaptés au public concerné ».

Soucieuse de permettre l'accès aux soins et à la sécurité sociale, ainsi que le maintien dans un logement digne, l'ACSé soutient les services d'aide à domicile et distribue une information de proximité, notamment dans les centres locaux d'information et de coordination (CLIC). Elle favorise aussi le développement des lieux d'accueil et d'information, tout comme les modalités d'accompagnement spécifiques des immigrés vieillissants par des associations généralistes ou communautaires. Enfin, à l'échelon départemental, elle mobilise les services des conseils généraux qui ont compétence sur ces interventions.

Les questions complexes liées au droit des étrangers, comme l'ouverture de droits ou les contentieux qui y sont liés, demeurent un thème sensible dans lequel se sont spécialisées plusieurs associations têtes de réseau : le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), la Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés (FASTI), l'Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF), la Ligue des droits de l'homme (LDH), le Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE) et le Comité médical pour les exilés (COMEDE). Ces associations organisent des séances d'information collective ou des permanences juridiques et sociales d'accueil, d'information et d'accompagnement des immigrés vieillissants dans leurs démarches. Elles élaborent aussi à leur intention des guides et outils d'information.

Notre action vise aussi à rompre l'isolement des immigrés vieillissants, à consolider le lien intergénérationnel et à favoriser leur participation à la vie sociale comme leur reconnaissance par la société dite d'accueil. Sans nier l'importance du traitement social du vieillissement des immigrés, rappelons qu'un traitement citoyen doit toujours prévaloir. Vieillir, ce devenir constitutif de la condition humaine, n'est pas seulement le problème sanitaire et social auquel on a tendance à le réduire. C'est aussi et surtout un destin social et culturel.

Pour la plupart des travailleurs immigrés âgés, la vie a été assumée comme une parenthèse pour ne pas perdre le lien ni la raison de la migration, pour continuer à entretenir la légitimité de l'exil, majoritairement rapportée au travail. Quand vient la retraite, l'immigration perd son sens. Sa légitimité première disparaît, comme sa motivation initiale : le retour au pays. En bout de course, il faut poser la question pénible, mais inévitable, de la présence en France, corrélée à celle de l'échec ou non du projet de vie.

Accompagner le vieillissement d'une telle population n'a pas de sens si l'on ne prend pas en considération les conditions à réunir pour que bien vieillir en France ne soit pas un vain mot. Si les lieux de sociabilité permettent de rompre l'isolement, un logement à la périphérie et des liens familiaux distendus renforcent la relégation dans la solitude. Pour remédier à ces situations de détresse, l'ACSé se réserve le droit de soutenir les initiatives visant à ouvrir des lieux de sociabilité tels que les cafés sociaux, comme celui créé à Toulon par l'Association des Tunisiens de France (ATF) ou Ayyem Zamen (Au nom de la mémoire), implanté à Paris, dans le XXe arrondissement.

Valoriser les apports historiques des anciens et favoriser le lien intergénérationnel permet aussi aux jeunes descendants de migrants en situation difficile de mobiliser des ressources propres à leur histoire et à celle de leurs ancêtres et de leur famille. La reconnaissance des immigrés vieillissants passe par les travaux sur la mémoire, structurant le lien social et le rapport à soi, où prend source la question de l'identité – individuelle et collective – et du lien à la culture du pays d'origine et du pays d'accueil.

Le rôle dévolu à l'action sociale et culturelle au sein de l'ACSé est essentiel, tant la culture est productrice de lien, notamment entre les générations. La valorisation des cultures d'origine permet aux plus âgés de jouer le rôle essentiel de transmission de mémoire, et d'assumer avec les plus jeunes un passé et une identité trop souvent niés.

Encore faut-il, pour que ces références puissent être appropriées, revendiquées, adoptées par les jeunes, qu'elles ne soient pas vécues comme honteuses ou frappées d'indignité, et qu'on ne réduise pas les valeurs et savoirs ainsi transmis à des stéréotypes négatifs, tentation récurrente qui affecte l'histoire des immigrés. Certains d'entre eux sont même conduits à intérioriser ces stéréotypes ou à les revendiquer en les accentuant. L'ACSé cherche à favoriser la transmission de l'histoire familiale et culturelle, dans une perspective de recomposition et de refondation, et non de reproduction normative figée, que l'expérience du déplacement et du temps n'aurait pas transformée.

Les interventions qui visent à instituer ou à restituer une mémoire collective, comprenant par exemple la participation des anciens combattants aux luttes héroïques, doivent être poursuivies, en même temps que le travail sur les blessures de l'héritage colonial, auquel nous renvoient les migrants âgés, témoins du siècle passé. Il faut aussi restaurer la transmission de la mémoire familiale, lorsque celle-ci, fragilisée par l'exil, s'est enfermée dans un silence déstructurant pour les descendants.

La mémoire des habitants fait l'objet d'interventions qui encouragent le dialogue entre générations ou entre populations d'origines diverses. Les actions qui développent l'expression, le recueil et la valorisation des mémoires dynamisent l'émergence de la parole dans une perspective citoyenne et patrimoniale. Pour rendre visibles l'histoire et la mémoire des habitants, l'ACSé finance des ateliers d'écriture, de création, de transmission et le développement de sites internet destinés à recenser les témoignages et les récits. Ces actions permettent, entre autres, de travailler sur la prise de conscience de la société d'accueil et l'histoire des territoires et de leurs habitants.

La transmission de l'histoire et de la mémoire des vieux migrants, qu'ils soient d'anciens combattants ou d'anciens travailleurs, est essentielle : il serait désolant d'oublier leurs parcours.

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