Intervention de Luc Derepas

Réunion du 31 janvier 2013 à 14h00
Mission d'information sur les immigrés âgés

Luc Derepas, secrétaire général à l'immigration et à l'intégration :

En réponse à la demande de la mission d'information, je présenterai les principales questions relatives aux personnes âgées immigrées présentes en France. Quelle est cette population ? Quels problèmes particuliers rencontre-t-elle ? Quelles sont les actions que nous avons déjà menées et celles que, le cas échéant, il reste à développer ?

Pour l'INSEE, un immigré est une personne née étrangère à l'étranger. Le terme inclut donc à la fois les étrangers restés étrangers et vivant en France et les étrangers naturalisés français et vivant en France.

Les personnes immigrées âgées de plus de soixante-cinq ans vivant en France sont au nombre de 890 000, dont 25 % ont plus de quatre-vingts ans et 350 000 sont issues de pays tiers à l'Union européenne.

Sur ces 350 000 personnes âgées de plus de soixante-cinq ans et nées dans un pays tiers à l'Union européenne, 140 000 sont devenues françaises et 210 000 ont conservé leur nationalité étrangère ; 205 000 sont des hommes et 145 000 des femmes.

Sur les 210 000 personnes ayant conservé une nationalité étrangère, on considère que 60 000 à 80 000 sont isolées, vivant seules dans un appartement de droit commun ou dans un foyer de travailleurs migrants. Les chiffres relatifs à ces foyers varient selon qu'ils proviennent de l'INSEE ou des gestionnaires des foyers, car cette catégorie de personnes est mal appréhendée par les outils statistiques : alors que l'INSEE dénombre environ 20 000 hommes, les gestionnaires de foyers en comptent 35 000. Nous n'avons pu, quant à nous, préciser davantage ces chiffres.

Une très grande majorité des 210 000 personnes restées de nationalité étrangère et vivant en France – 70 %, soit environ 150 000 – est originaire des pays du Maghreb.

C'est d'abord dans le domaine de la santé que ces personnes rencontrent des difficultés. Leur état de santé est en effet plus dégradé que celui de la moyenne des Français, ce qui est souvent lié aux conditions de travail qu'elles ont connues. Paradoxalement, les personnes âgées immigrées recourent moins que la moyenne des personnes âgées au système de santé, en raison d'une méconnaissance des dispositifs existants ainsi que d'une certaine inhibition.

Elles ont par ailleurs des revenus très faibles, généralement inférieurs à la moyenne des personnes âgées, ce qui est lié au faible niveau de leurs conditions d'emploi et de rémunération antérieures et à des difficultés d'ordre administratif dans l'accès aux droits dont elles pourraient bénéficier au titre des régimes de retraite. Cette difficulté d'accès aux droits est une thématique caractéristique de cette population, sur laquelle nous reviendrons.

En troisième lieu, il semble qu'elles aient une moins bonne maîtrise de la langue française que l'ensemble de la population immigrée, sans doute parce qu'elles n'ont pas bénéficié, à leur arrivée en France, des dispositifs d'acquisition de la langue qui ont été mis en place au cours des dernières années.

Elles se caractérisent enfin par un isolement qui n'est pas seulement personnel, mais également citoyen. Elles éprouvent de grandes difficultés à maîtriser les procédures administratives permettant d'obtenir des droits dans de nombreux domaines, tels que la santé, l'aide sociale ou l'aide au logement. S'ajoute à cela, pour ceux qui ont fait le choix de vivre en France sans leur famille, un assez fort isolement social.

Ces difficultés identifiées par divers rapports et études ont peu à peu été prises en compte par le SGII pour développer, à l'intention de ces personnes, en liaison avec divers partenaires, des politiques spécifiques dont les orientations principales sont les suivantes.

Le premier principe consiste, pour l'administration chargée d'assurer la bonne intégration des personnes immigrées qui, par choix ou par contrainte, vieillissent en France et y demeureront pour la plupart jusqu'à leur décès, à les accompagner sur ce parcours en évitant autant que possible la dégradation de leur situation.

Le deuxième principe consiste à recourir le moins possible à des dispositifs spécifiques, afin d'éviter la stigmatisation ou la mise en avant de ces personnes. Il s'est donc agi, sans créer de droits supplémentaires, d'utiliser autant que possible les politiques de droit commun pour permettre aux personnes âgées immigrées de jouir de l'ensemble des droits dont bénéficient les personnes âgées vivant en France.

Il ne suffit pas pour cela de déclarer que le droit commun est applicable : il faut développer les instruments permettant aux divers acteurs concernés de prendre en compte la situation particulière de ces personnes. La DAIC, que dirige Michel Aubouin, a mené au cours des deux dernières années un travail interministériel associant notamment aux administrations centrales et aux services déconcentrés les collectivités territoriales, les agences régionales de santé, les organismes de sécurité sociale, les gestionnaires de foyers et le monde associatif, afin de mobiliser davantage l'action de ces partenaires au bénéfice des personnes âgées immigrées. Un groupe de travail a été créé et s'est réuni une dizaine de fois entre 2010 et 2012 pour identifier les problèmes, définir les actions et s'assurer que les partenaires concernés les mettent en oeuvre.

La Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), par exemple, a engagé à l'échelle régionale des expérimentations visant à développer l'information et l'accompagnement de certains publics précaires en focalisant l'attention sur les personnes âgées immigrées. Il s'agissait d'aller davantage à la rencontre de ces personnes pour faciliter leur accès aux droits et dispositifs existants.

Le groupe de travail a également permis d'intégrer dans le plan de préservation de l'autonomie des personnes âgées mis en place par la CNAV la prise en compte des difficultés particulières rencontrées par les personnes âgées immigrées.

La CNAV a par ailleurs passé avec d'autres acteurs du secteur, notamment l'Union des professionnels de l'hébergement social et Adoma, des conventions-cadres renforçant l'intervention des services d'aide à domicile au sein des structures pour mieux accompagner ces personnes.

La thématique relative aux personnes âgées immigrées a en outre été inscrite dans les programmes régionaux d'intégration des personnes immigrées (PRIPI), qui, pour la plupart, contiennent désormais des actions spécifiques visant à assurer l'accès aux droits sociaux, aux soins et à la santé, au maintien à domicile et à un logement plus conforme aux normes communément acceptées.

Sur le plan budgétaire, une partie des moyens dont nous disposons a été intégrée par l'intermédiaire du programme 104, géré par la DAIC, et des fonds européens dont nous assurons la gestion en faveur d'actions propres aux personnes âgées immigrées. Depuis 2010, 7 à 10 millions d'euros en moyenne sont ainsi consacrés chaque année à ce public. Nous pourrons vous présenter plus en détail, si vous le souhaitez, les actions ainsi financées.

Les dispositifs existants et la situation des personnes immigrées âgées peuvent être améliorés. Notre département de statistique travaille ainsi, en collaboration avec l'INSEE, à une meilleure appréhension statistique de la situation de ces personnes. Par ailleurs, les conclusions de votre mission d'information seront très importantes pour orienter la poursuite du travail interministériel que nous avons engagé. Nous continuerons en outre à intégrer dans les PRIPI la thématique des personnes âgées immigrées et à y consacrer, en fonction de l'évolution des crédits, le montant nécessaire.

Certains sujets suscitent cependant des interrogations. Tout d'abord, la situation du logement est très préoccupante et le plan d'action engagé pour améliorer les modalités de logement, notamment en foyer de travailleurs migrants, a pris du retard. Des évolutions budgétaires seraient nécessaires pour mener à bien ce plan – ce point sera évoqué prochainement lors de l'audition de M. Pierre-Yves Rebérioux.

Le deuxième point sur lequel des progrès sont possibles est l'accès aux droits. En effet, les personnes âgées immigrées rencontrent des difficultés pour accéder aux dispositifs de droit commun et une action beaucoup plus résolue devra être engagée avec les partenaires susceptibles de faciliter cet accès, afin de créer des dispositifs proactifs permettant d'aller à la rencontre de ces personnes et de leur indiquer comment bénéficier des dispositifs existants. Les trois acteurs principaux sont les conseils généraux, les caisses d'assurance maladie et les caisses d'assurance vieillesse.

Le troisième point qui soulève des interrogations concerne les droits sociaux non contributifs susceptibles d'être ouverts aux personnes immigrées âgées, mais exigeant que celles-ci justifient d'une durée minimale de résidence en France – durée variable selon les dispositifs, mais en moyenne de six mois. Les personnes qui ont choisi de vieillir en France sans renoncer pour autant à faire des allers et retours entre la France et leur pays d'origine peuvent ne pas respecter la règle de durée minimale de résidence qui ouvre le droit à certaines allocations non contributives et se trouver obligées de rester en France pour bénéficier de ces droits alors qu'elles souhaiteraient passer plus de temps dans leur pays d'origine. Le législateur a voulu créer un régime spécifique permettant de résoudre une partie de ces difficultés en instaurant une allocation différentielle destinée aux personnes justifiant d'un certain nombre d'années de résidence en France et remplissant certaines autres conditions, même si elles résident majoritairement à l'étranger.

L'élaboration des décrets d'application de cette loi a cependant rencontré des difficultés juridiques liées pour l'essentiel au droit communautaire. Un règlement européen récemment modifié exige en effet de prendre en compte, pour le versement de certaines prestations non contributives, le temps passé dans un autre État membre de l'Union européenne au même titre que le temps passé en France. Attribuer l'allocation au titre d'une certaine durée passée en France supposerait donc d'ouvrir aussi ce droit pour une durée cumulée identique passée dans l'ensemble de l'Union européenne, ce qui élargirait considérablement le nombre des bénéficiaires et aurait un impact budgétaire très important. Nos collègues de la direction de la sécurité sociale pourront vous fournir des précisions supplémentaires sur ce point : bien qu'il s'agisse de prestations non contributives, ce sont les règlements sur la sécurité sociale qui ont créé ce mécanisme d'équivalence au sein de l'Union européenne. Cet obstacle a retardé la mise en place d'un dispositif conçu initialement pour éviter de contraindre des personnes vivant majoritairement à l'étranger à demeurer en France uniquement pour pouvoir bénéficier de certains droits sociaux.

J'évoquerai enfin un type particulier de titre de séjour : la carte de séjour portant la mention « retraité », créée afin de rendre plus fluides les allers et retours entre la France et le pays d'origine et de permettre à ses titulaires de demeurer majoritairement dans leur pays d'origine sans pour autant les accabler de procédures à leur retour en France. Cette carte est en quelque sorte le pendant de la carte de résident : alors que cette dernière a une durée de dix ans et que son titulaire en perd le bénéfice s'il réside plus de trois ans hors de France, la carte de séjour « retraité » permet de vivre à l'étranger sans limitation de durée et de faire des allers et retours sans autre condition. Il s'agit donc d'une sorte de visa permanent pour la France.

Cette carte a cependant pour effet de rompre le lien avec l'assurance maladie pour les personnes de nationalité française ou pour les titulaires d'une carte de résident. Ces derniers bénéficient de plein droit de toutes les prestations de l'assurance maladie en fonction de leur statut, alors que les titulaires de la carte de séjour « retraité » ne peuvent bénéficier d'une prise en charge que pour les soins d'urgence, et non pour les soins de droit commun. De fait, ces personnes ayant choisi de résider majoritairement à l'étranger, elles devraient être prises en charge par les systèmes de santé des pays concernés. Ce dispositif a pu se révéler très dissuasif : le nombre de cartes de séjour « retraité » distribuées depuis l'origine du dispositif est estimé à 14 000 et on observe en tendance une diminution assez nette, année après année, avec 1 100 titres délivrés en 2011 et 700 en 2012. Cette tendance est également attribuée au fait que la majorité des personnes âgées immigrées fait aujourd'hui le choix de vivre en France et n'envisage plus de rentrer, comme la génération précédente, dans son pays d'origine.

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