Intervention de Michel Guilbaud

Réunion du 24 novembre 2016 à 10h00
Mission d'information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations

Michel Guilbaud, directeur général du Mouvement des entreprises de France, MEDEF :

Je vous remercie pour cette invitation ; un dialogue soutenu entre le monde économique et les pouvoirs publics apparaît en effet de plus en plus nécessaire sur le sujet qui nous occupe et, du reste, le bref échange que les invités ont pu avoir entre eux avant que ne commence cette table ronde a montré que le maître mot de nos réflexions est l'incertitude – la note que j'ai sous les yeux ne s'intitule-t-elle pas « Brouillard et inquiétude » ?

Je me rendrai cet après-midi même à Bratislava pour le conseil des présidents de Business Europe, qui regroupe les partenaires patronaux de l'ensemble des pays de l'Union européenne. Nous y discuterons du Brexit et du futur de l'Europe, deux sujets miroirs. Le contexte du Brexit exige que nous consolidions le socle européen, celui du marché intérieur et celui de la zone euro.

Vous avez souligné, monsieur le président, la grande importance de nos relations économiques avec le Royaume-Uni, qu'il s'agisse de l'excédent commercial ou de l'implantation des entreprises ; les liens financiers entre nos deux pays sont également considérables, sans oublier les liens humains puisque de 300 000 à 400 000 Français résident outre-Manche. Or comme le premier ministre, Theresa May, n'est pas en mesure de prendre un quelconque engagement sur la situation des ressortissants d'un État membre de l'Union européenne installés au Royaume-Uni, nos entreprises s'interrogent sur ce dernier point.

Le MEDEF travaille depuis de nombreux mois sur le Brexit et nous avons d'ailleurs été très sollicités, avant même le référendum, par la très influente Confederation of British Industry (CBI), la confédération de l'industrie britannique, qui souhaitait que les entreprises européennes affirment leur volonté que le Royaume-Uni reste au sein de l'Union européenne. Nous nous sommes ainsi souvent déplacés à Londres pour rencontrer non seulement des représentants du monde de l'entreprise mais aussi des représentants politiques.

Le Brexit a été un très grand choc et l'on ne sait rien des termes essentiels de négociation de sortie de l'Union européenne ni des relations futures entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

Le Brexit a produit des effets immédiats sur les entreprises. La baisse du cours de la livre a affecté plusieurs secteurs. Des décisions d'investissement ont pu être suspendues ou renégociées. Une étude récente indique que 65 milliards d'euros ont ainsi été annulés ou reportés. En même temps, ces informations restent assez imprécises. En outre, nous avons une sensation d'anesthésie puisque nous n'avons pas vécu la catastrophe annoncée. Reste que nos collègues britanniques le disent eux-mêmes : « Winter is coming », l'hiver vient, parce que l'extrême complexité de la négociation, le temps qu'elle va prendre, l'ampleur des sujets à aborder – tous à double tranchant en termes d'intérêts économiques – entretiennent une incertitude très forte au détriment des échanges – l'incertitude étant en soi un élément négatif.

L'ensemble des fédérations professionnelles composant le MEDEF essaient d'identifier leurs intérêts stratégiques en matière d'implantations et d'échanges, de même qu'elles réfléchissent aux réglementations communautaires qui vont être en cause dans les négociations.

Le sentiment général est ambivalent : d'un côté – et c'est ce qui prédomine –, on ne souhaite pas compromettre et encore moins briser les liens très forts avec l'économie britannique ; de l'autre, on entend défendre vigoureusement les intérêts français et défendre un level playing field (règles du jeu équitables) pour éviter le dumping et pas seulement sur le plan fiscal.

Je reviens rapidement sur les effets immédiats. La baisse de la livre a été très fortement ressentie par le secteur du tourisme, notamment parce que la France est une terre d'accueil de touristes britanniques dont l'afflux s'est amoindri. D'autres secteurs ont également été touchés comme ceux de l'acier, des tuiles et briques, du textile, de l'automobile : dès qu'on vend sur les marchés britanniques, se produit un effet valeur.

Ensuite, l'absence de visibilité affecte toutes les décisions dans l'ensemble des secteurs. Pour ce qui est des implantations françaises au Royaume-Uni, les secteurs de l'énergie, des transports publics, de l'équipement automobile, des services financiers, des travaux publics, à l'industrie des déchets… craignent l'effet récessif de l'économie britannique. Le chancelier de l'échiquier a annoncé hier encore que la croissance pour 2017 devrait se révéler un peu meilleure qu'au lendemain du référendum, mais on en reste à une prévision de 1,4 % contre 2,2 % avant le Brexit. On pourrait se dire, en comparaison avec d'autres pays, qu'une croissance de 1,4 %, ce n'est pas si négatif, mais il s'agit clairement d'un ralentissement qui aura un effet direct sur l'économie britannique et un effet induit sur l'Europe.

À moyen terme, au plan commercial, les incertitudes sont majeures sur le régime d'échanges avec l'Union européenne. Certains interlocuteurs sont surpris quand on évoque les droits de douane ; or si le Royaume-Uni quitte l'Union européenne, la question se posera bien de savoir quels droits de douane seront appliqués à nos secteurs exportateurs comme le textile, la chimie, la plasturgie, l'acier. Je n'oublie pas non plus l'incertitude des secteurs qui, comme l'automobile ou l'aéronautique, ont intégré une part de production au Royaume-Uni dans leur chaîne de valeur. Et, au-delà des seuls droits de douane, il faudra compter avec des procédures douanières lourdes.

L'ensemble des secteurs met en outre en avant un fort risque compétitif du fait que nous n'avons pas de bonnes conditions de réciprocité dans le cadre de la négociation à venir, amenée à être très longue et touchant à tous les domaines de l'Union européenne, qu'il s'agisse, quel que soit le secteur considéré, de réglementations en matière environnementale ou de reconnaissance mutuelle, notamment. Dans chaque secteur il peut y avoir des micro-gains de compétitivité d'ordre réglementaire mais qui, accumulés, impliqueront l'absence, avec le Royaume-Uni, d'un level playing field acceptable.

Les entreprises françaises qui opèrent au Royaume-Uni craignent la remise en cause de la libre circulation des personnes. Plus largement, au MEDEF et au sein de Business Europe, nous voulons préserver les quatre libertés sur lesquelles repose le marché intérieur – car l'Union européenne n'est pas une simple union douanière. Nous avons besoin, dans les différents pays d'implantation, d'une bonne circulation des compétences au sein de nos entreprises. Il y a d'ailleurs une incertitude particulière en Irlande et en Écosse à cet égard.

Le secteur financier, quant à lui, pose des problèmes très spécifiques, je ne m'y attarde pas d'autant que vous avez déjà organisé une audition sur le sujet.

Contrairement à une idée reçue, le Royaume-Uni est souvent un allié pour nos entreprises vis-à-vis du reste du monde, qu'il s'agisse de la défense de l'industrie, de l'énergie, des quotas carbone, des instruments de défense commerciale… Les Britanniques, qui ont la réputation d'être très libre-échangistes, sont en fait très défenseurs des intérêts européens. Aussi craignons-nous la perte de ce partenaire majeur dans les négociations, l'économie européenne pesant lourd dans un certain nombre de dossiers.

Nous entendons répondre à cette situation notamment en renforçant l'attractivité de la France – de ce point de vue, nous attendons une cohérence totale des mesures qui vont être prises, je pense à l'annonce concernant le régime des impatriés, mais aussi à des décisions législatives qui, elles, nous paraissent contraires à cet objectif d'attractivité, notamment dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017 en cours de discussion. Je pense également aux dispositions sur le devoir de vigilance ou l'information pays par pays qui figurent dans le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dispositions qui, si elles ne sont pas discutées au niveau européen, vont pénaliser les entreprises françaises.

Ensuite, de notre point de vue, la négociation qui va s'engager avec le Royaume-Uni doit reposer sur des règles très claires de réciprocité. Il faut éviter d'aboutir à un accord d'association plus généreux qu'auparavant en matière d'opt-in et d'opt-out, ce qui serait tout de même paradoxal. L'équivalence des normes pour l'accès à un marché doit en effet être la règle. Si le Royaume-Uni ne veut pas s'astreindre aux réglementations communautaires, nous aurons beau avoir négocié, à un moment donné, des équivalences, si la réglementation britannique évolue, il faudra assurer le suivi des règles d'équivalence. Aussi pensons-nous que cette négociation présuppose un code de bonnes pratiques afin d'éviter, par exemple, que les Britanniques ne se trouvent dans une situation de conflit d'intérêts, les réglementations adoptées au cours d'une négociation qui aurait lieu avant le Brexit étant destinées à ne plus s'appliquer au Royaume-Uni après le Brexit. La définition des méthodes de négociation sera donc cruciale.

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