Sans doute est-ce une caractéristique de la période : on reste incapable de se projeter.
Laissons les États-Unis de côté puisqu'ils ne sont pas le sujet ici, et revenons-en au Brexit. Quelle que soit la manière dont on l'envisage, nous allons vivre trois périodes.
Nous en sommes à la première où rien n'a démarré. Nous avons en effet l'impression que rien ne s'est passé depuis le vote du mois de juin ; pourtant, nous savons que quelque chose va arriver puisque l'on ne voit pas comment le Royaume-Uni ne pourrait pas faire son Brexit, surtout depuis les mots de Theresa May, prononcés en octobre dernier : « Brexit means Brexit » (« Brexit signifie Brexit »).
Entre-temps, le groupe Nissan a été rassuré par le gouvernement britannique sur le fait qu'il pourrait bénéficier de l'union douanière qui ne serait donc pas remise en cause. C'était la meilleure blague entendue depuis longtemps puisque personne n'est capable de dire ce qu'il adviendra de l'union douanière après le Brexit, les discussions n'ayant pas même commencé.
Tout ce que l'on sait, après la déclaration de Theresa May que je viens de rappeler, c'est que la City a perdu la bataille de l'atténuation du Brexit. Pour l'anecdote : le matin même du référendum, nous avons passé notre journée en call (conférence téléphonique) avec des interlocuteurs outre-Manche et d'autres outre-Atlantique, les premiers nous expliquant que le passeport pour le monde de la finance n'était pas remis en cause et que rien ne serait changé. Leur obsession était d'expliquer, comme on l'a fait avec Nissan, que l'union douanière ne serait pas modifiée. Or rien n'est moins certain et l'industrie leader du Royaume-Uni ne sait pas où elle va « atterrir », j'y insiste, dans les mois qui viennent.
On a par ailleurs vu le Royaume-Uni tenter d'engager des négociations commerciales avec le reste du monde afin d'arriver à la table des négociations, au moment où sera appliqué l'article 50 du traité sur l'Union européenne, en ayant déjà conclu des accords avec les grands partenaires de l'Union européenne. Or il semblerait que le Japon lui ait dit non, que les États-Unis, avant l'élection de Donald Trump, lui aient dit non et que même les pays du Commonwealth n'aient pas voulu remettre en cause leurs relations avec l'Union européenne et aient donc également dit non.
Quels sont les scénarios possibles ? Le plus probable, avant le discours de Theresa May en octobre, était que le Royaume-Uni intègre l'Espace économique européen (EEE) et qu'en effet rien ne change vraiment sinon au désavantage des Britanniques puisqu'ils n'auraient plus été en mesure de négocier les textes tout en ayant plus ou moins accès au Marché unique européen. Il semble que cette hypothèse ne soit plus envisageable.
Restent dès lors deux scénarios : celui selon lequel les accords seraient négociés de façon large ; celui selon lequel ils seraient négociés secteur par secteur pour que le Royaume-Uni ait accès au marché unique. Or ce dernier a été institué pour servir l'intérêt de l'ensemble des économies et des entreprises de l'Union européenne – premier acteur commercial du monde où 62 % des échanges sont intracommunautaires. Chaque pays tirant avantage du Marché unique dans ses rapports avec les pays tiers, si le Royaume-Uni n'y a plus accès, ce sera forcément pour lui une source de faiblesse. Que la quatrième ou cinquième puissance économique du monde se transforme en Off-Shore, comme il semblerait qu'elle ait l'intention de le faire, serait d'autant plus compliqué qu'elle risque d'être défiée par une autre grande puissance, les États-Unis, qui essaient d'adopter le même modèle.
La deuxième période sera celle des négociations.
La troisième, celle qui suivra les négociations.
Pendant les négociations, il sera primordial pour les pays de l'Union européenne de parler d'une seule voix et de ne pas chercher à négocier individuellement avec le Royaume-Uni. Ce sera en effet le plus grand point faible de l'Union européenne car tout le monde y perdrait : le Royaume-Uni, c'est certain, mais aussi l'ensemble des autres pays parce qu'ils auront cherché à négocier, je le répète, individuellement. On perçoit d'ailleurs déjà la concurrence à la baisse de l'imposition à laquelle les pays sont en train de se livrer.