Intervention de Jean-Michel Baylet

Réunion du 1er décembre 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales :

Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, je vais vous présenter les grands axes du projet de loi relatif au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain, adopté par le Sénat le 9 novembre dernier – non sans avoir été passablement modifié.

Le texte se divise en deux titres : le premier est consacré à la réforme du statut de Paris, le second aborde les thématiques relatives à l'aménagement, aux transports et à l'environnement. Les chapitres I à III du titre II relèvent des attributions de ma collègue Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable, qui les défendra au banc du Gouvernement comme elle l'a fait devant le Sénat. Je répondrai bien évidemment aux principales questions que vous pourriez vous poser sur ces articles, cela dans la mesure de mes moyens, mais je laisserai à Mme Cosse le soin de vous répondre dans le détail sur ces mesures. Quant au chapitre IV, il aborde l'élargissement du statut des métropoles qui sera largement évoqué, je n'en doute pas, au cours de cette audition.

Sans reprendre le récit détaillé de l'histoire mouvementée de Paris, il est essentiel d'appréhender ce texte comme une étape majeure du rapprochement du statut de cette ville si particulière du droit commun.

De 1789 à 1975, et à l'exception de brèves périodes, Paris est placée directement sous la tutelle de l'État. La commune est amoindrie, surveillée de près par le pouvoir central qui se méfie de cette ville et de son peuple aux inclinations révolutionnaires.

Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, ce « statut particulier » sera progressivement amendé, notamment par la loi de 1964 qui supprime le département de la Seine et crée les départements de Paris et de la petite couronne. Paris acquiert de ce fait un statut unique en France en devenant une ville-département.

Puis la loi de 1975 supprime notamment la tutelle de l'administration préfectorale et instaure l'élection du maire de Paris au suffrage universel indirect dès les élections municipales de 1977.

Par ailleurs, la loi du 31 décembre 1982 relative à l'organisation administrative de Paris, Marseille, Lyon et des établissements publics de coopération intercommunale, appelée communément loi « PML » ou « PLM », organise les élections municipales dans le cadre des arrondissements. Parallèlement, en matière de pouvoirs de police, plusieurs textes – de 1986 et 2002 – transfèrent certaines compétences du préfet de police au maire de Paris.

Le présent projet de loi vise pour sa part à prolonger voire à faire aboutir cette évolution institutionnelle et historique. Je vais vous en exposer les objectifs principaux en vous indiquant quelle est la volonté du Gouvernement à la suite des modifications apportées par le Sénat.

Le texte poursuit tout d'abord un objectif de simplification et de lisibilité avec la fusion de la commune et du département de Paris. La superposition de ces deux entités administratives distinctes sur un même territoire – siégeant soit en formation de conseil municipal, soit en formation de conseil départemental – est en effet une survivance héritée de l'histoire. La chambre régionale des comptes d'Île-de-France, dans son rapport de 2015, soulignait l'absence de réalité, tout autant que de notoriété pour les Parisiens, du département de Paris. Elle proposait une fusion destinée à mettre un terme à cette « fiction institutionnelle » coûteuse sur le plan budgétaire et illisible sur le plan démocratique.

Le Gouvernement a donc décidé d'engager cette réforme, qui facilitera la vie des Parisiens, des entreprises et des associations et qui, à terme, générera des facilités de gestion, par la suppression des deux budgets et l'unification des procédures de marchés publics. Cette nouvelle collectivité à statut particulier, dénommée « Ville de Paris », exercera donc les compétences de la commune et du département à compter du 1er janvier 2019.

Le Sénat a accepté le principe de cette fusion et a même formulé certaines remarques d'ordre légistique plutôt intéressantes et que votre Commission pourra, si elle le souhaite, examiner en lien avec mes services. En revanche, la Haute assemblée a opéré d'autres modifications substantielles à la suite desquelles le Gouvernement souhaite rétablir le texte initial. Elles portent sur quatre aspects qui doivent accompagner le processus de fusion : les modalités de désignation des représentants de la Ville de Paris au sein des organismes extérieurs ; le règlement intérieur ; le rétablissement de la commission permanente, comme il en existe dans les conseils départementaux et régionaux ; enfin la suppression de la conférence des maires, instance inutile puisque le conseil de Paris assure la représentation des maires d'arrondissement et puisqu'il existe déjà un comité des arrondissements.

Par ailleurs, le projet de loi initial prévoyait de donner aux maires d'arrondissement davantage de marges de manoeuvre en matière contractuelle ou, par exemple, en ce qui concerne les autorisations d'étalage et de terrasse. Sur ce point, le Sénat a opéré un changement de logique qui m'apparaît néfaste. Il repose en effet sur une dépossession massive des pouvoirs de la commune au profit des arrondissements, au mépris même du droit constitutionnel dans la mesure où les arrondissements n'ont pas de personnalité morale. Je souhaite être précis sur ce point et indiquer à votre Commission que le Gouvernement est fermement décidé – si, bien sûr, l'Assemblée en est d'accord – à revenir au texte initial en supprimant les dispositions modifiées par le Sénat qui accroissent les pouvoirs des maires d'arrondissement en ce qui concerne les autorisations d'utilisation du sol, les possibilités d'acquisition et d'aliénation d'immeubles dans le cadre du droit de préemption urbain, l'approbation du plan local d'urbanisme (PLU) par les conseils d'arrondissement à la majorité qualifiée, le versement des subventions aux associations, l'attribution des logements sociaux, l'entretien de la voirie, la possibilité de conclure une convention avec les communes limitrophes des arrondissements, la gestion de la petite enfance, la gestion de la restauration scolaire par les caisses des écoles et les modifications de calcul de la dotation de gestion locale et de la dotation d'animation locale.

Le projet initial comportait en outre la création d'un nouveau secteur électoral réunissant les quatre premiers arrondissements. Cette disposition a été supprimée par le Sénat et le Gouvernement tient vraiment à la rétablir dans les mêmes termes. Il s'agit en effet d'assurer une meilleure représentativité des conseillers de Paris ; cette mesure est cohérente avec les évolutions démographiques de la capitale et permettra à la ville de Paris de se conformer aux règles constitutionnelles en vigueur.

Cette répartition, déjà modifiée en 1982 et en 2013, fait aujourd'hui apparaître des écarts très importants. Aujourd'hui, le premier arrondissement compte un conseiller de Paris pour 17 000 habitants, le rapport étant d'un conseiller pour 11 000 habitants dans le deuxième arrondissement, alors qu'il est d'un pour 13 000 habitants en moyenne. Je m'en expliquerai plus longuement lors du débat en séance publique : le texte propose seulement de corriger ces déséquilibres par la création d'un nouveau secteur qui comptera toujours huit conseillers de Paris, mais pour 101 764 habitants, soit un siège pour 12 720 habitants. Ce faisant, nous nous rapprochons de la moyenne, étant entendu que, pour ce qui concerne les équilibres politiques, cette modification n'entraînera aucun bouleversement, le Gouvernement – et en particulier le ministre de l'Intérieur – y a été particulièrement attentif. Et si tant est que l'on puisse distinguer une incidence, celle-ci serait plutôt favorable à l'opposition qu'à la majorité du conseil de Paris.

Enfin, les pouvoirs de police sont exercés à Paris par le préfet de police depuis l'époque napoléonienne et l'arrêté des Consuls du 12 messidor an VIII, toujours en vigueur. L'État souhaite conserver au préfet de police ces prérogatives spécifiques tout en poursuivant le mouvement de décentralisation engagé depuis les années 2000.

D'une part, cela permettra d'améliorer l'efficacité de la police de proximité – qui gagne toujours à être municipale. Le projet de loi prévoit donc de transférer au maire de Paris la police du stationnement, la police des baignades, la réglementation des manifestations sur la voie publique à caractère festif, sportif ou culturel et la police de la salubrité des habitations et hébergements. D'autre part, ce réaménagement substantiel permettra à l'État de rester centré sur ses missions essentielles relatives à la sécurité publique.

Le Sénat a globalement validé cette décentralisation accrue en prévoyant toutefois deux modifications sur lesquelles le Gouvernement souhaite également revenir.

La première est l'attribution de la compétence de police générale au maire de Paris, à laquelle le Gouvernement s'oppose avec force : la capitale est en effet confrontée à des enjeux de sécurité très spécifiques – protection de bâtiments officiels, organisation de très grands événements tels la coupe d'Europe de football, il y a peu, et peut-être bientôt les Jeux Olympiques – qui justifient une organisation particulière, et plus encore dans un contexte de menace terroriste permanente.

Le même souci d'efficacité a conduit le ministre de l'Intérieur à prévoir le transfert de la police des aéroports de Roissy et du Bourget au préfet de police. Le Sénat a voulu y ajouter la plateforme d'Orly, ce que ne souhaite pas le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve ; je m'en tiendrai donc à cette appréciation dès lors que cela relève exclusivement de son ressort. Je suis prêt néanmoins, en lien avec ses services, à répondre à vos interrogations sur le sujet.

J'ajoute, si besoin était, que le Gouvernement est opposé au transfert, adopté par le Sénat, d'une partie de la police de la circulation et du stationnement au profit de la région Île-de-France. Elle ne permettrait en effet en aucune manière d'assurer une meilleure cohérence de la circulation dans la région capitale, même si nous avons bien compris la problématique qui sous-tendait cet amendement.

Quelques mots encore sur les cercles de jeux qui relèvent aussi de la compétence du ministre de l'Intérieur. Le Gouvernement souhaite rétablir l'abrogation de leur statut juridique et mettre en place à titre expérimental, à Paris, une offre légale dans un cadre sécurisé, sur laquelle est revenu le Sénat. Le texte qu'il a adopté laisserait perdurer une structure contraire à la transparence des flux financiers. Vous savez là aussi, quelle que soit votre sensibilité, tout ce qui se cache derrière cette affaire. Si votre Commission en est d'accord, cet article pourrait être rétabli. Je sais, pour m'en être entretenu avec les rapporteurs, qu'il pourrait y avoir d'autres propositions de rédaction de l'article 28. Nous suivons de près cette question sensible.

En ce qui concerne le titre II sur les métropoles, j'entends m'attarder sur deux sujets essentiels. Au-delà des quinze métropoles existantes, le Gouvernement souhaite l'extension de ce statut aux agglomérations qui figuraient dans la version initiale du projet de loi à l'article 41, à savoir la communauté urbaine de Dijon et la communauté d'agglomération d'Orléans, qui réunissent la double condition de constituer une zone d'emplois de plus de 400 000 habitants et d'être chef-lieu de région. Nous entendons également étendre le statut de métropole à la communauté urbaine de Saint-Étienne et à la communauté d'agglomération de Toulon qui sont des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de plus de 400 000 habitants. Le Gouvernement est en outre favorable aux amendements visant à accepter les communautés d'agglomération de Tours, Metz et Clermont-Ferrand dans le concert des métropoles. Ces dernières réunissent en effet la double condition, d'une part, de disposer d'une zone d'emploi de plus de 400 000 habitants et, d'autre part, de constituer un EPCI de plus de 250 000 habitants ou d'avoir été une capitale régionale avant la loi de janvier 2015.

Je sais qu'un tel élargissement – qui portera le nombre de métropoles à vingt-deux – ne fait pas consensus. Je soulignerai cependant que la loi de janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM », n'entendait pas réserver ce statut aux trois seuls territoires urbains les plus peuplés, mais qu'elle l'a largement étendu, dès le départ, à des EPCI ayant des fonctions métropolitaines au sein de leur bassin de vie. Or les caractéristiques démographiques et économiques des sept territoires que je viens de mentionner les rendent accessibles à ce statut dans des conditions similaires à celles prévues par la loi MAPTAM. Cette extension permettra un maillage métropolitain sur l'ensemble du territoire et donc un rééquilibrage par rapport à la situation actuelle.

J'aborde pour finir un sujet ô combien sensible : l'élection au suffrage universel direct des conseillers métropolitains.

Je connais l'attachement de certains d'entre vous à cette réforme qui figure d'ailleurs dans la loi MAPTAM, laquelle prévoyait qu'une décision sur le mode de scrutin devait être prise avant le 1er janvier prochain, laquelle devait être éclairée par un rapport gouvernemental qui n'a pas été à ce jour réalisé. J'ai donc demandé qu'il le soit – le ministère de l'Intérieur s'y est engagé : vous l'aurez tout début janvier, et nous pouvons même espérer que vous le receviez comme cadeau de Noël fin décembre…

Il n'empêche que nous ne sommes pas, me semble-t-il, à même de trancher dans les délais impartis par la loi, et je tiens également compte, ce disant, des positions des présidents de métropoles qui, même s'ils m'ont affirmé être très majoritairement favorables à l'élection de tout ou partie des conseils métropolitains au suffrage universel, ne me semblent pas pressés – pour parler poliment – qu'une décision soit prise concernant une élection qui n'aura lieu qu'en 2020. Ils considèrent qu'il convient de prendre le temps d'examiner ce sujet de près. La question de la représentativité de l'ensemble des communes se pose avec force pour les présidents de métropole.

Lors de la discussion au Sénat j'ai fait mien un amendement présenté par Mme Benbassa, qui proposait un report de deux ans, ce qui me semblait plus réaliste compte tenu des échéances électorales de 2017. Je vous propose donc de reporter l'entrée en vigueur de l'article 54 de la loi MAPTAM au 1er janvier 2019.

Voilà, rapidement brossés, les principaux points que je souhaitais mentionner avant que nous n'engagions le débat. Le Gouvernement attache une grande importance à ce projet de loi qui simplifie l'action administrative locale, renforce la décentralisation et la déconcentration et qui s'inscrit dans l'ensemble des réformes institutionnelles du quinquennat.

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