Je voudrais tout d'abord vous remercier pour l'organisation de cette table ronde sur la situation du cinéma français et son avenir. C'est une très belle initiative à laquelle je suis d'autant plus sensible qu'elle me donne une nouvelle occasion de retrouver le chemin de l'Assemblée nationale, dont j'ai eu l'honneur d'être membre.
Les députés ont beaucoup agi en faveur du cinéma ces dernières années. Pensons à la loi du 30 septembre 2010 relative à l'équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques. Il était urgent de numériser les salles de cinéma et le Parlement s'est saisi de la question avec une grande réactivité : la loi a permis à la France de numériser ses salles en deux ans, alors que, dans d'autres pays européens, des salles ont dû fermer faute d'avoir pu être numérisées. Nous disposons aujourd'hui d'un parc exceptionnel de près de 6 000 écrans. Notre pays est cinéphile et les salles dans les petites communes, voire dans les villages, constituent parfois le dernier lieu de vie sociale.
La loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine a été une source d'innovations très intéressantes pour le cinéma et l'audiovisuel. Enfin, tout récemment, le Parlement a décidé, dans le cadre de la loi de finances pour 2016 et du projet de loi de finances pour 2017, d'importantes revalorisations du crédit d'impôt pour les dépenses de productions cinématographiques, fondamentales pour le secteur. Je reviendrai sur leur impact considérable.
Je rappellerai maintenant quelques chiffres. Le Centre national du cinéma et de l'image animée couvre le cinéma, l'audiovisuel, la vidéo, mais également – fait moins connu – le jeu vidéo. Au total, l'activité de ce secteur représente plus de 35 milliards d'euros de chiffre d'affaires, soit 0,8 % du PIB. Ce secteur génère 346 000 emplois directs ou indirects, soit 1,3 % de l'emploi en France. Cette industrie est aussi importante que l'industrie pharmaceutique ou l'industrie automobile, concessionnaires et revendeurs mis à part.
Cette filière économique est donc stratégique pour notre pays. Nous l'avons mesuré avec l'étude du cabinet de conseil BIPE il y a trois ans, lorsque je suis arrivée à la tête du CNC, et nous en avons eu confirmation à travers une étude récente menée par le cabinet de conseil PricewaterhouseCoopers. Cette croissance de l'industrie cinématographique et audiovisuelle est riche en emplois sur l'ensemble du territoire. Notre marché est le meilleur d'Europe. Grâce aux réseaux de salles, la fréquentation se situe depuis dix ans au-dessus de 200 millions de spectateurs par an, dont beaucoup de jeunes, alors même que les offres multi-écrans se multiplient.
Durant ces trois dernières années, le CNC a poursuivi deux objectifs : d'une part, structurer le secteur, d'autre part, gagner la bataille de la compétitivité internationale.
Pour structurer le secteur, nous avons d'abord cherché à augmenter ses capacités d'investissement et à assainir certaines pratiques conduisant à des distorsions de marché.
Nous avons renforcé les fonds propres des entreprises du secteur de la production et de la distribution à travers plusieurs dispositifs qui reposent sur des mécanismes assez techniques, qu'il s'agisse des exigences posées en matière de capital social ou des garanties de prêts apportées par l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC).
Nous avons pris des mesures pour maîtriser les coûts de production afin d'éviter leur inflation dans les devis de financement des films, notamment pour ce qui est des cachets des artistes. Elles ont accompagné une évolution du marché cinématographique, qui commençait à s'autolimiter après avoir connu certaines dérives.
Enfin, nous avons veillé à ce que la transparence la plus complète règne sur les comptes de production et d'exploitation. La loi précitée relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine a imposé des obligations strictes en ce domaine. La transparence, parce qu'elle est la garantie d'une meilleure remontée des recettes auprès des ayants droit et des investisseurs, est une clef pour la confiance, ce qui encourage les financements privés.
Le secteur cinématographique et audiovisuel est extrêmement concurrentiel à l'échelle européenne, mais aussi mondiale. Il faut avoir à l'esprit que l'industrie de l'image est stratégique dans le monde entier, notamment en Europe, aux États-Unis et au Canada. Chaque année, ce sont 7 000 films qui sont produits dans le monde, et les États se livrent à une véritable guerre fiscale pour attirer les tournages, d'autant que, au-delà des retombées économiques en termes de valeur ajoutée ou d'emplois, se joue le soft power, comme les Américains l'ont bien compris depuis si longtemps.
Notre second objectif a été de gagner la bataille de la compétitivité internationale. Deux mesures structurantes ont été prises dans cette perspective.
Il s'agit tout d'abord des crédits d'impôt. En 2014, nous avons été alertés par une étude qui soulignait l'ampleur des délocalisations de tournages. Plus de 40 % des dépenses étaient délocalisées pour les films dits « du milieu » – au budget compris entre 7 millions et 10 millions d'euros ; plus de 60 % pour les effets visuels ; plus de 75 % pour les films à gros budget – au budget supérieur à 10 millions d'euros. Le Parlement a été extrêmement réactif, en étendant à l'ensemble du secteur audiovisuel les mesures fortes que le Gouvernement proposait pour le cinéma. Elles ont eu un effet de levier considérable. Actuellement, pour la production cinématographique, le crédit d'impôt est égal à 30 % du montant total des dépenses dans la limite de 30 millions d'euros, pour les films français comme pour les films étrangers se tournant en France. Les effets vont même au-delà de nos espérances. Sur les dix premiers mois de l'année 2016, ont pu être relocalisées en France 380 millions de dépenses de tournage, alors que nous visions 200 millions pour l'année entière.
Ajoutons que les tournages ont un impact fort sur l'activité touristique. Grâce à nos dispositifs fiscaux, nous avons la chance d'attirer des productions chinoises et indiennes qui induisent de multiples dépenses – car chaque tournage est une véritable petite et moyenne entreprise (PME) – et des retombées indirectes. Ainsi, le film indien Tamasha a provoqué un afflux de touristes indiens en Corse, où il a été tourné, à tel point que The Economic Times a cité l'île comme la première destination étrangère des touristes indiens.
Dans la bataille pour la compétitivité internationale, notre deuxième axe d'action est l'innovation. La France dispose d'une filière d'excellence avec l'animation, qui représente plus de 5 000 emplois, principalement occupés par des jeunes gens passionnés de graphisme et extrêmement forts en informatique. Cette réussite, qui la place au deuxième rang mondial derrière le Canada, est liée au « Plan Image » lancé en 1983 par M. Jack Lang pour établir une passerelle entre la bande dessinée et le cinéma. Nous aimerions développer, grâce aux crédits d'impôt, une filière d'excellence pour les effets visuels. Beaucoup d'emplois pour les jeunes sont ici aussi en jeu.
N'oublions pas la jeune création sur le web qui voit émerger de nouvelles écritures et de nouveaux talents. L'enjeu, pour nous, est de les intégrer dans l'écosystème du CNC afin qu'ils bénéficient des dispositifs d'aides existants. Nous encourageons déjà la production d'oeuvres sur le web à travers le web COSIP (compte de soutien aux industries de programme), mais nous souhaitons aller bien au-delà.
Trois chantiers principaux s'ouvrent à nous. Le premier est la lutte contre le piratage, dont les nuisances représenteraient 30 % du marché audiovisuel.
Le deuxième est la concurrence fiscale. Grâce au Parlement, nous avons franchi un cap : la France fait désormais partie des pays les plus attractifs au monde. Nos voisins et amis belges restent toutefois très dynamiques, notamment pour les tournages francophones. Le Canada occupe une très bonne place pour l'animation et les États-Unis affirment leur place dans cette bataille. Nous devons faire preuve de vigilance pour conserver notre place.
Troisième chantier, enfin : les réponses à apporter au bouleversement du paysage audiovisuel provoqué par l'arrivée des géants du numérique.
Le CNC a toujours su s'adapter aux nouveaux modes de diffusion. Il est né après la guerre à un moment où la filière du cinéma français se trouvait fragilisée par les films américains, auréolés par la gloire des libérateurs. Une taxe additionnelle au prix des places a été instituée comme une épargne forcée destinée à alimenter un fonds dont le double objectif était d'aider les salles à se moderniser, et les producteurs et distributeurs à réinvestir dans de nouveaux films. Ainsi a été établi le principe de base sur lequel reposent les mécanismes d'aides du CNC : la distribution finance la création.
Lorsque, en 1984-1985, de nouvelles chaînes de télévision ont émergé, la question s'est posée de les faire contribuer au financement du CNC. Une taxation des recettes publicitaires des nouveaux diffuseurs est venue alimenter le CNC et l'ensemble de la création. Avec l'arrivée de la vidéo sur support physique, une taxe de 2 % a été prélevée sur le prix de vente. Puis une taxe sur les médias audiovisuels à la demande a ensuite été instituée. Avec l'émergence des contenus audiovisuels sur internet, une réflexion a été menée à partir de 2007 sur l'extension de la taxation aux fournisseurs d'accès à internet. Prenant en compte la proportion qu'occupe l'image dans les contenus diffusés, il a été décidé, en accord avec eux, d'abattre 66 % de leur chiffre d'affaires pour asseoir la taxation. Et aujourd'hui, ils sont extrêmement heureux de faire partie de cet écosystème qui permet d'alimenter les contenus diffusés sur leurs réseaux.
Aujourd'hui, la question se pose de taxer les nouveaux géants du numérique qui diffusent des contenus audiovisuels professionnels – je ne parle pas, bien sûr, des contenus amateurs. Il s'agit, d'une part, des plateformes audiovisuelles par abonnement, comme Netflix, et, d'autre part, des plateformes de vidéos en ligne, comme YouTube ou Dailymotion. Le Parlement a déjà décidé, il y a deux ans, que Netflix contribuerait au financement de la création. Or nous avons une bonne nouvelle : la position de la Commission européenne a considérablement évolué et elle vient d'accepter que l'Allemagne taxe Netflix. La « taxe Netflix » française pourra être acceptée dans les semaines qui viennent par Bruxelles. Pour YouTube, les choses se présentent également de manière très positive.
Je reste à votre disposition, Mesdames et Messieurs les députés, pour répondre à toutes vos questions, notamment sur les exportations, chantier qui nous tient aussi très à coeur.