Intervention de Richard Patry

Réunion du 30 novembre 2016 à 9h30
Commission des affaires économiques

Richard Patry, président de la fédération nationale des cinémas français, FNCF :

). Exploitant indépendant de plusieurs salles de cinéma situées pour la plupart en Normandie, je préside la FNCF. La fédération, qui fut créée la même année que le CNC, regroupe la totalité des salles de cinéma françaises : celles des grands opérateurs – Gaumont, Pathé, UGC, MK2, CGR –, celles des indépendants et aussi celles de l'exploitation municipale. La présence des collectivités territoriales est en effet très marquée dans ce secteur : on dénombre en France 5 700 salles regroupées dans 2 000 cinémas et la moitié de ces établissements sont liés aux collectivités territoriales, qui les exploitent soit en régie directe, soit par délégation de service public.

Le modèle français d'exploitation des salles de cinéma est unique au monde. Il est caractérisé par un faible taux de concentration, les trois opérateurs principaux ne réalisant que 45 % des entrées ; la proportion est de 75 % au Royaume-Uni. Nous diffusons les films que nous proposent les distributeurs. La salle de cinéma est un écrin, un lieu neutre que nous voulons le mieux équipé possible pour nous mettre au service des créateurs en présentant leurs films au public dans les meilleures conditions. Le maillage très serré du territoire est une autre exception française : chacun, dans notre pays, est à vingt minutes au plus d'une salle de cinéma ou d'un lieu de projection des circuits itinérants – ils sont encore une centaine et permettent la diffusion de films dans les communes les plus reculées.

La fréquentation des salles est très bonne. On a compté 206 millions de spectateurs dans les cinémas de France en 2015 et l'on s'attend qu'ils soient 210 millions en 2016. Les deux tiers de nos concitoyens vont voir un film au moins une fois par an. La salle de cinéma est un lieu culturel au coeur des territoires ; ouverte tous les jours de la semaine, elle est restée un lieu de socialisation… et celui du premier baiser… (Sourires.)

200 des 700 films projetés dans les salles de cinéma en France sont des films français. C'est deux fois plus qu'il y a vingt ans, et la part de marché de ces films s'établit entre 35 et 40 % selon les années. Dans les pays voisins, la part de marché des films nationaux n'est que de 25 %. La pertinence du modèle français d'exploitation est donc avérée. Il est fondé sur l'aide des collectivités territoriales, qui consentent des investissements très importants pour maintenir ce parc de qualité, et sur l'aide de l'État – la France est le seul pays qui se soit doté d'une loi relative à l'équipement numérique des salles de cinéma. De la numérisation, qui s'est faite grâce à la contribution des distributeurs et à celle des régions, il est résulté que le parc de salles a été maintenu, au terme d'un basculement de l'analogique vers le numérique accompli en deux ans et particulièrement réussi puisqu'aucune petite salle n'a été abandonnée à son sort. Il en est allé tout autrement dans les pays voisins ; ainsi, quelque 30 % des salles de cinéma ont disparu en Allemagne, personne n'ayant voulu assumer le coût de l'équipement numérique des petites exploitations.

Le secteur applique une politique tarifaire très dynamique, qui se traduit par un prix d'entrée relativement faible – environ 6 euros la place en moyenne nationale – et une palette de tarifs très large. Vous savez l'existence des abonnements illimités ; ils n'existent qu'en France. Grâce au législateur, la TVA sur les droits d'entrée dans les salles de cinéma a été abaissée au taux réduit de 5,5 %, ce qui a permis de lancer l'opération « 4 euros la place de cinéma pour les moins de 14 ans ». Ce tarif a été maintenu par de nombreux exploitants, et même là où ce n'est pas le cas, un tarif spécifique est toujours proposé pour les jeunes, si bien que les moins de 14 ans représentent 20 % de la fréquentation totale des salles de cinéma.

Toutes les exploitations exercent leur activité sous le régime de la taxe spéciale additionnelle (TSA). Le produit de cette taxe de 10,72 %, prélevée sur le prix de chaque billet acheté et perçue par le CNC, permet de poursuivre la modernisation des établissements et contribue très fortement au financement des oeuvres cinématographiques françaises, le dispositif étant ainsi conçu qu'un spectateur assistant à la projection d'un film américain dans une salle française contribue aussi à financer la production cinématographique française.

La régulation de l'implantation des salles est faite par la Commission nationale (CNAC) et les commissions départementales d'aménagement cinématographique (CDAC). Il vous revient de décider si le dispositif en vigueur doit évoluer. J'appelle toutefois votre attention sur le fait qu'il fonctionne bien en l'état puisque, hormis des cas très particuliers, il n'y a pas de « sur-implantations » de salles sur notre territoire.

L'une des caractéristiques enviées à l'étranger du modèle d'exploitation cinématographique français est que les exploitants prennent des engagements de programmation, encadrés par le CNC, mais volontaristes. Ces engagements ont pour effet d'assurer aussi la diffusion des films les plus « fragiles » du cinéma national, permettant ainsi que des oeuvres diverses soient vues partout en France. Je rappelle également l'importante aide octroyée aux salles de cinéma classées Art et essai. Une réforme du dispositif est en cours ; il faut garder à l'esprit que la moitié du parc des salles françaises bénéficie de ce label. Je remercie Mme Carole Scotta d'avoir mentionné les débats que nous organisons avec le public dans ce cadre, soulignant ainsi le dynamisme d'un secteur dont l'avenir ne peut s'envisager sans un combat, capital, contre le piratage.

La France a été un pays leader en ce domaine en instituant une réponse graduée visant à avertir les contrevenants qu'ils violent la loi. Malheureusement, après que l'infraction a été constatée et que le rappel à la loi a eu lieu, il ne se passe rien, si bien que les internautes, même s'ils ont été avertis, continuent de télécharger illégalement des oeuvres cinématographiques. Il est crucial de faire cesser ce fléau.

Nous nous inquiétons aussi de savoir ce qu'il adviendra quand prendra fin le versement de la contribution dite Virtual Print Fee (VPF) actuellement due par les distributeurs. Cette contribution a permis de faire basculer l'ensemble du parc de salles de cinéma vers le numérique. Cela a eu pour effet de réguler la diffusion, les films les plus « puissants » n'ayant pas accès à toutes les salles. Le financement du primo-équipement va s'achever, si bien que ce dispositif va bientôt s'éteindre ; par quel moyen continuera-t-on d'accompagner la modernisation de la projection numérique ? L'obsolescence des équipements obligera à équiper les salles de nouveaux projecteurs, ce qui suppose des investissements très lourds. L'enjeu, capital pour les exploitants est double : il faut permettre l'adaptation des salles à l'évolution technologique et réguler la diffusion.

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