Intervention de Frédérique Bredin

Réunion du 30 novembre 2016 à 9h30
Commission des affaires économiques

Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma et de l'image animée, CNC :

La vie quotidienne au CNC est passionnante, car on y parle à la fois d'économie et de culture, ces deux secteurs s'alimentant l'un l'autre. Aujourd'hui, je vais plutôt insister sur l'aspect économique.

Le CNC a passé avec chaque région une convention fondée sur un principe très simple : lorsque la région investit 2 euros sur une action liée à la production audiovisuelle et au cinéma, le CNC investit automatiquement 1 euro. Ce système extrêmement vertueux encourage les régions à investir davantage. Or, en nous rapprochant des nouveaux exécutifs régionaux pour discuter des nouvelles conventions, nous avons constaté qu'ils étaient tous parfaitement conscients de l'importance du cinéma et de l'audiovisuel pour l'activité et l'emploi.

Votre région, Monsieur Yves Blein, est très performante en la matière. Les Hauts-de-France ont également décidé d'augmenter considérablement leurs investissements dans la production audiovisuelle et le cinéma. Aujourd'hui, les dépenses sont au moins équivalentes, voire en forte augmentation dans plusieurs régions, qui travaillent en parfaite osmose avec le CNC, en ce qui concerne non seulement la production audiovisuelle et le cinéma, mais également les salles. En effet, dans le cadre des prochaines conventions, le CNC apportera son soutien aux salles d'Art et essai, en les aidant à financer des emplois de médiateur pour attirer le public.

Vous avez aussi évoqué la question de l'intégration des nouvelles plateformes, et donc de la taxe YouTube – surnom que je n'aime guère, car ce n'est pas spécifiquement cette plateforme qui est visée. Ce que nous souhaitons, c'est intégrer les nouvelles plateformes dans l'écosystème français. Nous avons déjà eu ce débat à propos de Netflix, que le Parlement a décidé d'intégrer dans notre écosystème. Grâce à la réforme européenne de la TVA, on peut aujourd'hui connaître le chiffre d'affaires réalisé par ces plateformes sur le territoire français. Il faut, en l'occurrence, distinguer le pays de destination du pays d'origine.

Tous les acteurs nationaux contribuent à la création, qu'il s'agisse des salles de cinéma, des éditeurs de vidéos physiques ou des chaînes de télévision qui vivent de la publicité, comme TF1 ou M6. Les taxes alimentent la création, laquelle permet d'alimenter les canaux de diffusion. Ce que le Parlement a décidé pour Netflix pourrait l'être demain pour des plateformes qui vivent de recettes publicitaires, comme YouTube ou Dailymotion. Votre Assemblée en a débattu dernièrement et va se pencher de nouveau sur ce dossier, puisqu'un amendement du même type sera examiné cet après-midi en commission des finances, et les 5 et 6 décembre en séance publique, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2016. Il ne s'agit pas d'une nouvelle taxe, mais de l'extension d'une taxe existante, puisque tous les acteurs de la vidéo à la demande sont aujourd'hui taxés à hauteur de 2 %. C'est une question de justice fiscale : les acteurs historiques que sont TF1 ou M6 contribuent au financement de la création, contrairement aux plateformes, qui vivent aussi de recettes publicitaires et diffusent très largement des images et des films – je ne parle pas des vidéos amateurs. Il y a donc une concurrence déloyale entre les différents acteurs, selon qu'ils sont traditionnels ou nouveaux dans le secteur.

Par ailleurs, la mesure proposée par les parlementaires vise à mettre en place une taxe extrêmement faible. Après une large déduction de 66 % du chiffre d'affaires, afin de prendre en compte l'ensemble des données qui ne sont pas des images, comme la musique ou les vidéos amateurs, cette taxe correspondrait à un taux de 2 % applicable à une assiette représentant un tiers du chiffre d'affaires. Sans doute, cette taxe peut paraître symbolique, mais elle a du sens, car elle prouve la capacité d'adaptation du système au bouleversement du paysage audiovisuel. Le CNC s'est adapté à chaque nouveau mode de diffusion : la télévision, la vidéo, la vidéo à la demande (VAD). Il est évident que, demain, beaucoup d'images seront visionnées sur ces plateformes, qui sont une nouvelle espèce de diffuseurs, et il est plus facile de s'adapter au début d'une évolution. Voilà pourquoi cette taxe est importante, en termes d'équité fiscale, de symbole, d'efficience, voire de justification de tout l'écosystème français.

Notre passerelle entre économie et culture doit également permettre d'intégrer dans notre système les nouveaux créateurs et les nouvelles écritures. Pour l'instant, lorsqu'ils veulent tourner un court-métrage, les YouTubeurs ou d'autres créateurs du web ne s'adressent pas spontanément au guichet du CNC, alors que nous avons créé des aides au court-métrage : ils sont dans leur univers et il faut leur donner la chance d'être soutenus par le nôtre.

Enfin, ce type de mesure favorise la transparence : celle des recettes qu'engrangent ces plateformes, qu'elles soient constituées par des abonnements ou par de la publicité, comme celle de la rémunération des ayants droit, car nous pourrons veiller à ce qu'ils touchent leur part des recettes.

Le crédit d'impôt est tout sauf un effet d'optimisation : c'est d'abord la mesure fiscale qui, en termes de compétitivité, a été la plus efficace et la plus rapide de toutes celles qui ont été créées ces dernières années, puisqu'elle représente 380 millions d'euros en dix mois, là où l'on n'attendait que 200 millions d'euros en un an. Mais ce n'est pas non plus un effet d'aubaine, puisque les études du cabinet d'audit Ernst & Young montrent que 1 euro de crédit d'impôt, c'est-à-dire de manque à gagner fiscal, a généré à peu près 10 euros d'activité, et un retour de 3 euros, en termes de recettes fiscales et sociales. C'est donc un investissement extrêmement positif pour l'État.

Avec tous les partenaires de la filière, nous avons mis en place un système destiné à mieux présenter aux spectateurs et téléspectateurs les offres légales disponibles, qui sont clairement identifiées en ligne. Ainsi, si vous cherchez un film sur Google, au lieu d'être dirigé assez spontanément vers un quelconque site pirate, vous serez renvoyé vers le site AlloCiné, avec lequel nous avons signé un accord il y a quelques mois, et sur lequel vous découvrirez toutes les manières de visionner l'oeuvre qui vous intéresse, en salle, en achat ou en location. Cet accord pragmatique fonctionne très bien, même si, je le reconnais, il ne répond pas à toutes les questions que vous avez posées sur le piratage, l'offre légale et la chronologie des médias.

Enfin, nous avons souhaité, ces dernières années, recentrer nos aides sur les documentaires de création, car nous avions observé une dérive sur les chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT), qui utilisaient le genre pour alimenter leurs grilles avec des oeuvres à faible coût, qui n'avaient de documentaire que le nom, qui s'apparentaient davantage à de la « trash investigation » qu'à de la création.

Le documentaire représente aujourd'hui 80 millions d'euros d'investissement pour le CNC : c'est le genre audiovisuel le plus aidé, devant la fiction, l'animation et le spectacle vivant. Nous lui apportons donc un soutien bien réel. Cependant, étant donné la faiblesse des diffuseurs, un certain nombre de documentaires ont du mal à trouver des financements. Nous avons donc recentré l'aide sur les documentaires de création, mais, pour répondre à votre préoccupation, nous venons de prendre des mesures pour aider les documentaires les plus fragiles. Ainsi, aux termes des accords que nous avons passés avec les régions, nous les encourageons à aider les télévisions locales afin que celles-ci aident à leur tour les documentaires de création. Le syndicat des agences de presse audiovisuelles (SATEV), qui représente une partie des producteurs de documentaires – notamment ceux qui font de l'investigation –, a porté notre réforme devant le Conseil d'État, qui vient d'annuler la mesure que nous avions prise pour concentrer nos aides sur les documentaires de création. L'ouvrage est à nouveau sur la table et nous devons rediscuter de l'ensemble de la réforme du documentaire pour maintenir cette exigence qui est l'objectif de la politique publique du CNC.

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