Intervention de Gilles Savary

Réunion du 7 décembre 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Savary :

La communication d'aujourd'hui s'inscrit dans un cadre similaireà celui de notre réunion d'hier autour du socle des droits sociaux. À la mi-octobre, la Commission européenne a en effet lancé une consultation publique relative au renforcement de la législation sociale dans les transports routiers. Notre commission a décidé de répondre à cette consultation publique, qui prend fin le 11 décembre.

La France est en réalité à l'initiative de ce « chantier » du renforcement de la législation sociale dans les transports routiers, avec la conférence internationale organisée à Paris, en avril 2014, par le ministre en charge des Transports à l'époque, M. Frédéric Cuvillier, sur la question de la dérégulation routière et la concurrence non soutenable.

L'ouverture du marché du transport routier international de marchandises est réalisée depuis 1992, l'ouverture des marchés nationaux étant prévue dans un deuxième temps – ouverture à laquelle s'est opposée la France – , dans un contexte où prévalait l'idée que le chemin de fer prendrait une part croissante des échanges intérieurs, selon le modèle du « split modal » pour reprendre le titre d'une communication de la Commission dans les années 2000 sur le transfert modal, qui avait pour objectif d'encourager un report du transport de marchandises de la route vers le rail grâce à des incitations fiscales et normatives.

Or ce transfert n'a pas eu lieu, en dépit de tous les discours et de toutes les intentions sincères en vue d'un transfert des moyens de transport polluants vers des transports moins polluants : en 2002 en France la route prenait en charge 77% du transport de marchandises, c'est 82 % aujourd'hui. Les évolutions technologiques du transport routier lui ont permis d'abaisser ses émissions, évolution que n'a pas encore entrepris le chemin de fer.

La géographie du transport routier de marchandises (TRM) est simple aujourd'hui, elle oppose les pays du centre et de transit aux pays périphériques.

La France et l'Allemagne ont en effet subi le plus gros impact lié à la règle des trois cabotages dans un délai de sept jours lié au transport international – règle instaurée, je le rappelle, pour des raisons écologiques, afin d'éviter le retour à vide de camions – puisque en raison de leur situation centrale ce sont des pays de transit.

Ce phénomène géographique se conjugue à un autre, celui du dumping social lié aux taux de salaire très différents au sein même de l'Union. J'ai moi-même vu, lors d'un contrôle voilà deux ans, un chauffeur routier roumain international employé par Geodis payé 191,80 euros par mois, soit le salaire minimum de son pays d'envoi. Aucun transporteur routier français ne peut rivaliser sur ces trois chargementsdéchargements réalisés sur notre territoire national dans ces conditions.

Le résultat est que le pavillon français s'est effondré à l'international et que le marché intérieur des pays de transit subit une concurrence déloyale.

Aiguillonnée par la France et l'Allemagne – ce sont les pays les plus cabotés – mais aussi par l'Italie et les Pays-Bas, la Commission Juncker a accepté de bouger, la première étape est cette consultation publique.

La France et l'Allemagne ont décidé d'avancer plus vite en agissant sur la question du salaire minimum, en choisissant d'appliquer les règles du détachement et donc leurs législations nationales dès le premier cabotage sur leur territoire. C'est une mesure portée en France par la loi Macron.

Il faut être clair : c'est contrôlable, mais ce n'est pas réprimable car ces chauffeurs routiers sont hypermobiles, et il n'est pas possible que leurs feuilles de paie retracent toutes ces heures de chargementdéchargement passées dans les différents pays.

Nos deux pays font à ce sujet l'objet d'une procédure d'infraction lancée par la Commission. Je reconnais que la réponse française est bancale, mais charge à la Commission de proposer un meilleur système. Pour ce faire, elle a lancé cette consultation, et ce qui vous est proposé dans ces conclusions c'est de d'indiquer les orientations et les mesures qui nous paraissent pertinentes.

C'est un sujet, vous l'avez compris, qui est parallèle à celui du détachement. La Commission européenne a choisi de les séparer car il concerne ici des travailleurs transfrontaliers hypermobiles. Le Gouvernement français tend à vouloir relier les deux, dans la directive détachement. Je ne pense pas que ce soit la meilleure stratégie : le risque en effet est d'agglomérer les oppositions, celle des pays périphériques (Suède, Irlande, Espagne) venant s'ajouter à celle des pays d'Europe centrale et orientale déjà virulents sur la question du détachement. L'Espagne a été très claire, elle s'y oppose. Ma première proposition est donc de bien séparer ces deux dossiers.

Le cadre européen en matière de transport de marchandises par route (TRM) a trouvé ses limites dans les différences considérables de niveaux de salaires et de législations du travail, et l'efficacité de la régulation du TRM en matière sociale est remise en cause non seulement par près de la moitié des États membres mais aussi par les travaux d'évaluation ex post engagés par la Commission européenne elle-même.

En créant des conditions de concurrence insoutenables, basées exclusivement sur le coût de la main d'oeuvre, les dérives constatées du cadre réglementaire applicable au TRM sont finalement contraires au principe de concurrence libre et non faussée du marché intérieur. Vous trouverez dans la communication des éléments statistiques éclairants, cette question recouvre aussi des enjeux de dignité humaine.

Il est donc essentiel de soutenir la position exprimée par le Gouvernement français, qui s'oppose à toute nouvelle initiative législative européenne libéralisant le cabotage national sans un renforcement préalable de la législation sociale européenne dans ce secteur.

Nous parlons ici de travailleurs hypermobiles, donc c'est bien à l'échelle européenne que la question doit être réglée, l'article 5 du traité trouve ici pleinement à s'appliquer. Nous avons besoin d'un cadre spécifique applicable à ces travailleurs, notamment pour ce qui relève de la rémunération minimum, articulé avec la révision de la directive détachement.

Le point 8 des conclusions que je vous propose liste enfin un certain nombre de principes ou d'outils à mes yeux indispensables pour améliorer la législation sociale applicable à ce secteur.

En premier lieu, il faut clarifier et simplifier la règlementation en vigueur, notamment en matière de définition des temps de travail, de conduite et de repos, et en interdisant expressément la possibilité d'effectuer dans un véhicule le temps de repos hebdomadaire normal. Il s'agit là d'une avancée de la loi française, résultat de la proposition de loi que j'avais déposée pour lutter notamment contre un consensus implicite de cette profession sur le travail dissimulé le weekend, les chauffeurs prenant leur repos hebdomadaire normal dans leur camion et assurant par là-même gratuitement le gardiennage dudit camion et de sa marchandise. C'est indiscutable au plan juridique, cela permet de rééquilibrer le coût des chauffeurs étrangers. En outre, les Espagnols nous accusent de discrimination à leur encontre, puisqu'ils doivent passer par la France, il faut donc que cette règle soit fixée au niveau européen.

Deuxièmement, il est nécessaire de garantir l'application et l'exécution uniformes de la règlementation sociale dans les États membres en améliorant notamment l'efficacité des contrôles. Cela passe par la possibilité donnée aux autorités de contrôle des États membres d'accéder directement et en temps réel au registre électronique d'un autre État membre – ce qui n'est aujourd'hui pas possible –, au registre européen de transport et aux cotes de risque des États membres.

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