Monsieur le président, si nous avons effectivement pu travailler assez rapidement, c'est que nous partions de l'accord historique que vous avez évoqué qui a permis à tous les membres de la communauté universitaire de se retrouver autour d'une même table pour régler la question lancinante de la sélection en deuxième année de master, dont les fondements juridiques restaient incertains.
Je veux saluer l'esprit de responsabilité et le courage des principales organisations représentant les étudiants – l'UNEF, la FAGE, et le PDE –, les enseignants et personnels des établissements d'enseignement supérieur – leurs organisations sont énumérées dans les documents à votre disposition –, mais aussi celles représentants les établissements d'enseignement supérieur – la conférence des présidents d'université (CPU) et la conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI). Elles se sont toutes entendues, le 4 octobre 2016, sur une position commune équilibrée et prometteuse.
Ce compromis a été approuvé par plus des deux tiers des suffrages lors du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) du 17 octobre 2016. Le Sénat s'est inspiré de ce puissant et original consensus en adoptant le 26 octobre dernier, à une très vaste majorité, la présente proposition de loi déposée par M. Jean-Léonce Dupont, sénateur du groupe Union des démocrates et indépendants, qui intègre, grâce à un amendement de Mme Dominique Gillot, le résultat de l'accord du 4 octobre.
Nous devons constater que la situation actuelle est insatisfaisante. Le système licence-master-doctorat (LMD), introduit en France en 2002, est demeuré inachevé pour cette étape décisive des parcours que constitue le master. Le LMD s'inspirait pour la forme du processus de Bologne de 1999 visant au rapprochement des systèmes d'enseignement supérieur européens, mais sans véritable cohérence avec cette démarche en raison de l'existence d'une césure en milieu de master. Seuls certains masters permettent de déployer une formation complète et homogène sur quatre semestres, et ils sont presque majoritaires à conserver une procédure sélective à l'entrée de la deuxième année, héritée de l'accès limité qui existait traditionnellement à l'entrée des diplômes d'études approfondies (DEA) et des diplômes d'études supérieures spécialisées (DESS). Il faut dire que le maintien des traditions de recrutement à bac + 4 des professions emblématiques du droit et de la psychologie a contribué à ancrer cette pratique.
Cette situation nuit à la qualité pédagogique d'un cycle dont la pertinence doit reposer sur l'indivisibilité de ses quatre semestres constitutifs. Elle tend à réduire les formations en M2, amputées par les nécessaires remises à niveau d'étudiants venus d'horizons divers. Cela obère aussi les expériences à l'étranger telles les semestres Erasmus, qui ne trouvent pas leur place entre un Ml concentré sur la nécessité d'obtenir le « meilleur M2 possible », et un M2 déjà très rempli par les mises à niveau et les stages.
Cette césure est aussi un facteur d'incertitude et d'inégalité pour les étudiants. Les articulations byzantines entre les mentions Ml et M2 sont autant de facteurs de complexité qui défavorisent les étudiants issus de familles peu au fait des subtilités du système universitaire. Finalement, 35 % des étudiants n'obtiennent pas leur Ml en un an.
Ce master coupé en deux affaiblit la lisibilité et donc l'attractivité internationale de nos universités alors que nous cherchions précisément à améliorer ces dernières lors des débats préalables à l'adoption de loi relative à l'enseignement supérieure et à la recherche. Comme je l'ai indiqué, cette césure n'est pas cohérente avec le processus de Bologne.
Enfin cette coupure juridiquement très fragile nourrit des contentieux récurrents qui sont une continuelle source d'instabilité aussi bien pour les requérants que pour les établissements mis en cause. En 2015 et en 2016, de très nombreux tribunaux, ainsi que le Conseil d'État, ont annulé des refus d'inscription en constatant que la loi actuelle n'autorisait une sélection, d'ailleurs prévue en entrée de Ml et non en M2, que dans des conditions particulières non satisfaites.
Nous devons aborder de façon constructive la question de la sélection. Si chacun convient qu'il est indispensable d'achever la construction du processus LMD, cette question est longtemps demeurée piégée par des postures idéologiques autour de conceptions qui, lorsqu'elles sont radicales, sont également impraticables.
Il est cohérent que soit assurée une légitime adéquation entre les formations et l'aptitude des étudiants à les suivre avec succès. Pour autant, orienter là où l'on a de réelles chances de réussir n'est pas sélectionner par principe, dans une logique malthusienne, en réservant les « meilleures » formations à des jeunes préalablement triés sur le volet.
Notre système d'enseignement supérieur souffre trop de cette extrême et précoce sélectivité dans de très nombreuses filières, préemptées par ceux qui disposent du capital culturel pour les identifier et y pénétrer. S'il est un fait systématiquement démontré par les chiffres, c'est que chacun gagne à élever notre niveau global d'études. Les étudiants eux-mêmes y gagnent bien sûr, car le diplôme demeure le meilleur bouclier contre le chômage et l'un des gages les plus précieux pour accéder à des métiers qualifiés et des rémunérations plus confortables. Mais tous les citoyens bénéficient ensuite du dynamisme économique et social d'une société mieux formée. Dans ce contexte, il n'est ni efficace, ni juste de priver des jeunes, engagés avec réussite dans un parcours, de toutes perspectives de poursuite d'études.
L'accord du 4 octobre qu'il nous est proposé de transcrire dans la législation présente un compromis audacieux et protecteur.
Le texte renoue avec la logique LMD, ce qui donne une visibilité internationale, en permettant la construction d'une offre de formation de master qui se déroule pleinement sur deux années. Il supprime en effet la barrière sélective qui existe aujourd'hui entre la première et la seconde année de master. À cet effet, il déplace l'éventuel recrutement des universités à l'entrée de la première année du cycle.
Cette sélection à l'entrée reposera sur des procédures claires et transparentes.L'admission ne pourra être subordonnée qu'au succès à un concours ou à l'examen du dossier du candidat, selon des critères qui seront exposés en particulier sur un portail d'information créé à cette occasion. Les décisions de rejet devront être motivées et communiquées aux candidats.
Un aménagement est introduit pour les formations du droit et de la psychologie, dont les concours ou les métiers réglementés reposent encore sur des sorties à bac + 4. Cependant, cette exception est transitoire, et une vaste concertation est d'ores et déjà engagée pour garantir rapidement leur retour vers le droit commun.
Je signale aussi que pour éviter que cette nouvelle faculté ne nourrisse une inflation infondée du nombre de masters sélectifs, la fixation des capacités d'accueil par les établissements fera l'objet d'un « dialogue » avec l'État. Ce dernier pourra ainsi s'assurer qu'elles seront fixées uniquement en fonction de critères objectifs comme les capacités des locaux d'accueil, celles de l'encadrement, ou l'aptitude à offrir un nombre suffisant de stages. Pour autant, je ne crois pas à un réflexe malthusien des universités. Les capacités existantes en Ml comme en M2 sont totalement en phase avec les flux actuels de diplômés de licence. Les universités n'ont aucune raison de diminuer leurs capacités d'accueil en master, car ces dernières irriguent leur potentiel de recherche.
En contrepartie de cette clarification des procédures d'entrée, et pour éviter que certains titulaires de licence se retrouvent dans une impasse au milieu de leur parcours, alors même qu'en franchissant cette très difficile étape qu'est l'obtention du premier cycle ils ont démontré leur aptitude à réussir, la proposition de loi institue un très prometteur et innovant droit à la poursuite d'études en master. Tout étudiant titulaire d'un diplôme national de licence qui n'aura pas reçu de réponse positive à ses demandes d'admission se verra ainsi désormais garantir une inscription dès lors qu'il saisira le recteur.
Le recteur de région académique lui formulera trois propositions cohérentes avec ses aspirations, en priorité dans l'établissement dans lequel il a obtenu sa licence ou, à défaut, dans un établissement de la même région académique. Ces propositions tiendront évidemment compte du projet professionnel de l'étudiant.
Des moyens seront mis en place pour l'application de cette disposition. Je veux souligner l'ampleur des garanties apportées à ce droit. La mobilité géographique, souvent coûteuse pour l'étudiant, est limitée autant que possible. Sont moins en cause les changements d'établissements, souvent indispensables pour aller dans un master qui correspond mieux à un projet professionnel, que les déménagements très loin du domicile, socialement discriminants. Je rappelle qu'aujourd'hui, plus de 40 % des étudiants changent déjà d'établissement en Ml, et que 37 % en changent en M2. En retenant l'échelle de la région, l'accord et la proposition de loi trouvent le juste équilibre. En outre, l'État s'est engagé à mobiliser tous les moyens disponibles, en particulier les bourses, déjà dépendantes de la distance entre le foyer familial et le lieu d'étude ainsi que les aides ponctuelles à l'installation.
Un autre élément est important à mes yeux : ce droit à la poursuite d'étude ne se limite pas aux jeunes diplômés de licence. Il pourra être sollicité de nombreuses années après l'obtention du diplôme, conformément à l'ambition de renforcer la formation tout au long de la vie.
Il est un dernier élément, moins fréquemment souligné, sur lequel je veux insister avec force. L'accord du 4 octobre n'oublie pas l'indispensable information et le défi de l'orientation.
Comme je l'ai dit, en matière de formation, la complexité et la profusion sont souvent les masques d'une préemption sociale de l'orientation au bénéfice des jeunes les mieux armées pour identifier les parcours de la réussite. Pour éviter cet écueil, l'accord repose sur l'engagement du Gouvernement de mettre en place dans les plus brefs délais un portail dénommé « trouvermonmaster.gouv.fr » présentant avec clarté et précision l'ensemble des filières disponibles, leurs prérequis et leur évaluation. Ce portail, qui ne sera en aucune manière prescripteur – il sera donc très loin du modèle de l'administration post-bac (APB) –, permettra à tous les étudiants de connaître les formations et les débouchés concrets des masters, de mieux identifier les logiques de continuité entre les licences et les masters, et de bien comprendre les éventuels critères de sélection retenus. C'est là encore un progrès considérable, qui appelle un travail de préparation approfondi de la part des universités – certaines ont déjà amplement commencé leur réflexion sur la constitution du portail.
Cela explique pourquoi, si nous voulons réussir la rentrée 2017, il importe d'adopter cette proposition de loi aussi vite que possible. Bien sûr, il faudra réfléchir à une refonte de l'orientation en licence, en s'inspirant notamment des conclusions de la mission d'information de notre commission sur le bac – 3bac + 3, présentées l'année dernière par notre collègue Emeric Bréhier qui appelait en particulier à la mise en place d'un tutorat d'orientation pour tous les étudiants.
Avec cette proposition de loi, je crois que nous avons affaire à un équilibre de grande qualité qui évite les ornières idéologiques, et qui s'appuie sur le principe cardinal selon lequel, en matière d'enseignement, l'essentiel est d'orienter sans empêcher. Il rend concrète l'ambition de co-construction avec les acteurs, ambition qui constitue le meilleur espoir pour continuer de bâtir un enseignement supérieur performant et démocratique.