En tant que dépositaires des collections, nous devons évidemment en prendre soin, mais nous n'avons pas le droit de les céder. Cela peut d'ailleurs poser des problèmes éthiques : nous conservons des crânes de résistants algériens du XIXe siècle que l'Algérie réclame, mais, dans la mesure où ils ne nous appartiennent pas, je ne peux pas les restituer sans suivre un processus assez compliqué.
D'un point de vue éthique, nous comprenons tout à fait que des règles soient mises en place en matière d'APA, afin de protéger la propriété intellectuelle et le patrimoine de chaque pays, mais elles compliquent sensiblement la vie du Muséum. Même si la « profondeur historique » finalement indiquée dans la loi n'est pas trop importante, l'application de ces règles représente pour le Muséum, d'après notre estimation, une charge de travail supplémentaire de trois à six équivalent temps plein. Car il faut garantir la traçabilité des matériels et être prêt à les restituer en fonction des situations. Et c'est loin d'être simple, non seulement pour les crânes humains que j'ai mentionnés, mais aussi pour un simple oiseau empaillé ou un batracien conservé dans un bocal : une commission spécifique doit d'abord démontrer la perte d'intérêt de l'objet que l'on souhaite restituer. Or, aucune limite temporelle ne s'applique lorsque l'on apprécie cette perte d'intérêt, et il est très difficile de démontrer qu'il n'existera pas, dans cinquante ans, des techniques scientifiques nouvelles qui rendront intéressant tel ou tel objet. Ajoutons que les décisions de cette commission ne sont susceptibles d'aucun recours.
Le Muséum a cinq grandes missions : la conservation et la gestion des collections, la recherche, la diffusion des connaissances auprès du public, l'enseignement supérieur et, enfin, l'expertise, notamment en appui à des politiques publiques.
Les trois premières missions me paraissent les plus importantes. Je vais essayer de vous le faire comprendre en vous donnant un exemple que j'ai utilisé lors d'une conférence de presse. À cette occasion, j'avais fait placer sur la table, devant les 70 ou 80 journalistes présents, un petit caillou noirâtre. Je leur ai fait noter que, si l'on avait vu un tel caillou sur un chemin, on ne l'aurait même pas remarqué : on serait passé à côté ou on aurait donné un coup de pied dedans. Je l'avais tout de même fait mettre sous une cloche en verre. J'ai expliqué que ce n'était pas une simple mise en scène : cet objet appartenait à nos collections. Puis j'ai indiqué que, d'après les analyses d'une équipe de cosmochimistes travaillant au Muséum, ce caillou noir nous informait sur l'origine du système solaire, il y a 14 milliards d'années ; il s'agissait d'un fragment de la météorite d'Orgueil, tombée en France en 1864. En résumé, cet objet qui figure dans nos collections n'est pas très beau, mais il est éclairé par la recherche, qui nous raconte une histoire à son propos. Et si, dans un deuxième temps, je ne vais pas à la rencontre du public pour lui expliquer cela, il manque une dimension fondamentale. Ainsi, conservation des collections, recherche et diffusion auprès du public sont les trois missions essentielles du Muséum. Elles doivent être intimement liées et fonctionner ensemble.
Je fais une parenthèse concernant la recherche : nous sommes le premier muséum au monde pour la recherche en histoire naturelle. Nous hébergeons 450 à 500 chercheurs, une partie d'entre eux étant affectés dans nos unités par des organismes de recherche tels que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Le Muséum de Paris rassemble à lui seul davantage de chercheurs que ses homologues de Londres, Berlin, Vienne et Copenhague réunis, et nous sommes numéro un mondial pour les publications dans nos domaines. C'est un modèle unique au monde, qui fait notre originalité.
Le Muséum se répartit sur douze sites : celui du Jardin des Plantes ; le musée de l'Homme ; deux zoos en plus de la Ménagerie du Jardin des Plantes, à savoir le parc zoologique de Paris, plus connu par les Parisiens sous le nom de « zoo de Vincennes », et la réserve animalière de la Haute-Touche, dans l'Indre, qui s'étend sur 500 hectares ; deux stations marines en Bretagne ; le jardin botanique exotique de Menton et le jardin botanique alpin « La Jaÿsinia », à Samoëns ; un abri préhistorique en Dordogne ; l'Harmas de Jean-Henri Fabre, entomologiste de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, dans le Vaucluse ; le magnifique arboretum de Chèvreloup, à proximité immédiate du château de Versailles, qui occupe 205 hectares et préserve 2 500 espèces d'arbres, dont certaines espèces exotiques très rares telles que le chêne du Texas – il en reste 200 exemplaires vivants au monde – ou le cèdre du Ténéré – qui a pratiquement disparu de la planète.
Nous gérons donc, entre autres, des galeries, des zoos et des collections vivantes dans nos jardins. Ces activités relèvent de divers métiers. Sur nos douze sites, nous employons un peu plus de 2 000 personnes, dont 1 600 sont directement rattachées au Muséum, les autres relevant d'organismes divers. Environ 8 millions de visiteurs traversent nos sites chaque année, 3 à 4 millions d'entre eux étant des visiteurs payants.
Je signale deux autres particularités du Muséum.
Première particularité : nous impliquons les citoyens dans un certain nombre de démarches, notamment des collectes de données scientifiques – ce qu'on appelle « science participative » ou « citizen science » en anglais. Les premières opérations de cette nature ont été les programmes de suivi temporaire des oiseaux communs (STOC) et de suivi photographique des insectes pollinisateurs (SPIPOLL), qui nous ont permis d'accumuler de nombreuses informations et ont donné lieu à des publications scientifiques de très haut niveau. Grâce à ces programmes, nous avons notamment démontré que les espèces de papillons migraient beaucoup plus rapidement vers le nord en raison du changement climatique que les espèces d'oiseaux. Les oiseaux volant globalement plus vite que les papillons, on aurait pu penser que ce serait l'inverse (Sourires), mais le renouvellement de génération est plus rapide chez les papillons, et la mobilité y est plus importante d'une génération à l'autre. Peut-être sont-ils aussi plus sensibles au changement climatique.
Autre « signature » particulière du Muséum : nous conduisons de grandes expéditions naturalistes dans divers endroits de la planète. Nous en avons une en ce moment en Nouvelle-Calédonie. Il s'agit de faire un inventaire exhaustif de la biodiversité à un instant « t » dans un endroit donné, du sommet des montagnes ou des collines jusqu'à environ 1 000 mètres de profondeur dans la mer.
Rappelons, pour finir, que le Muséum a récemment changé de statut. À cette occasion, si je puis me permettre ce mot dans cette enceinte, nous sommes un peu passés de la IVe à la Ve République.