Intervention de Bruno David

Réunion du 7 décembre 2016 à 10h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Bruno David, président du Muséum national d'histoire naturelle :

Je ne suis pas juriste, mais scientifique. Ce que je peux vous dire, c'est que les données sont libres d'accès, et c'est une des missions de l'établissement de les mettre à la portée du public le plus large. Dans cette optique nous avons développé une application gratuite – INPN Espèces – qui permet aux utilisateurs de découvrir la faune et la flore de l'endroit où ils se trouvent.Ce recensement des espèces permet également un suivi temporel qui, sur dix ans ou plus, devient pertinent, et grâce auquel on peut savoir, par exemple, à quelle vitesse les oiseaux et les papillons migrent vers le nord.

S'agissant de l'organisation de l'établissement, fort du constat que les douze sites étaient autant de muséums, j'ai souhaité réaffirmer, dès mon arrivée, l'existence d'un seul muséum, devant fonctionner comme une entité unique. C'est facile à dire, mais ce n'est pas forcément simple à faire entrer dans les esprits.

Le visiteur doit savoir qu'il est au Muséum national d'histoire naturelle quel que soit le site qu'il visite. Ainsi le Jardin des Plantes, qui est bien sûr gratuit, ne doit-il pas seulement être un jardin public mais le jardin du Muséum. Ce jardin a une histoire scientifique et son histoire renvoie à la grande histoire de France. Nous réfléchissons à l'installation de panneaux pour raconter ces différentes histoires : Bernardin de Saint-Pierre, dont la statue se dresse dans le jardin, était un scientifique du XVIIIe siècle qui a servi de modèle au personnage de Pangloss dans Candide dans lequel il dit : « les nez ont été faits pour porter des lunettes, aussi avons-nous des lunettes ». Bernardin de Saint-Pierre avait écrit que les melons avaient des côtes pour pouvoir être dégustés en famille – cette explication fait sourire aujourd'hui mais, à l'époque, elle avait sa cohérence. Le Jardin des Plantes est plein d'anecdotes de ce genre qu'il faut savoir raconter au public. C'est compliqué et long à mettre en place dans cette grande maison qui fait preuve d'une certaine inertie. Mes projets ne se concrétisent pas aussi vite que mon impatience le voudrait. J'essaie de m'y habituer et de modérer mes ambitions.

Afin de donner corps à ce projet d'un seul muséum, j'ai lancé une restructuration de l'établissement. De manière très schématique, le nombre de grandes structures de pilotage est passé de seize à sept, ce qui n'a pas manqué de susciter quelques tensions. Sur le plan scientifique, le nombre de départements a été réduit de dix à trois afin de les rendre plus visibles et de renforcer les liens entre les champs disciplinaires. Le premier département traite des questions relatives à l'homme et à l'environnement ; il regroupe, sur le site du musée de l'Homme, l'ensemble des équipes qui s'intéressent à la préhistoire, l'ethnobiologie, l'ethnobotanique, l'ethnozoologie, l'anthropologie biologique et l'archéozoologie. Cette dernière étudie notamment la domestication et ses conséquences. Des articles publiés récemment sur la domestication du chien par exemple montrent que les chiens que nous connaissons sont issus de la domestication asiatique et non européenne. Ce département compte également toutes les équipes qui travaillent sur la gestion de la biodiversité. Il assure l'interface entre les sciences de la nature classiques et les sciences humaines et sociales. Je pense que le Muséum était le seul à pouvoir le faire. Certes, nombre d'universités sont pluridisciplinaires – je suis moi-même issu de l'université de Bourgogne –, mais elles ne possèdent pas la taille et la culture qui font du Muséum le lieu idéal. Le CNRS embrasse toutes les disciplines mais il n'est pas capable de créer ce genre d'interfaces.

Un deuxième département s'intéresse à l'adaptation du vivant, à toutes les échelles, depuis les chromosomes ou les gènes jusqu'aux écosystèmes. Nous travaillons ainsi sur l'altération des chromosomes au cours du vieillissement, à partir d'un adorable petit lémurien de Madagascar, le microcèbe ; normalement, chez les mammifères, plus on est gros, plus on vit vieux – un éléphant vit plus vieux qu'une souris. Nous cherchons à comprendre pourquoi ce petit mammifère, qui devrait vivre trois ans, vit quinze ans. Quant aux écosystèmes, nous essayons d'analyser leur résilience et leur capacité d'adaptation.

Le troisième département travaille sur les questions d'origine et d'évolution, depuis l'origine du système solaire jusqu'à l'origine de la vie sur Terre et son histoire.

Pour essayer de fédérer les douze sites, tous ceux accueillant du public – musées, jardins et zoos – sont rassemblés dans une direction générale qui a notamment pour mission de mettre au point une politique des publics réaliste.

Quant à la capacité d'adaptation de la nature, tout dépend de l'échelle temporelle. La vie existe sur Terre depuis 3,8 milliards d'années. Cela ne vous dit rien, forcément. Je prends comme point de comparaison la tour Eiffel : si le Champ-de-Mars est l'origine de la vie, nos deux mille ans d'histoire depuis Jésus-Christ tiennent dans l'épaisseur d'une rognure d'ongle au sommet de l'antenne. Cela devrait nous rendre modestes et humbles : on ne peut pas se contenter de jardiner la planète et de transformer l'océan en aquarium en espérant que cela suffira. Si nous modifions trop l'édifice qui s'est construit sur cette très longue période – nous sommes le fruit de cette évolution –, nous risquons de connaître des problèmes.

Les formes de vie ont toujours réussi à surmonter les crises très importantes qu'elles ont subies par le passé, sinon nous ne serions pas dans cette salle pour en parler. La nature possède une bonne capacité de résilience, mais elle s'exerce sur des temps longs. L'expérience des crises du passé est intéressante là aussi. On pensait que la biosphère s'était remise en dix millions d'années de la plus grande crise qui l'a frappée il y a 250 millions d'années ; les études récentes ont montré qu'il ne lui a fallu qu'un million d'années – ce n'est rien au regard de la durée de vos mandats. Il y a de l'espoir ! (Sourires)

Les systèmes sont résilients. Je prends un autre exemple pour illustrer mon propos. Lors d'une marée noire, au-delà du nettoyage des plages pour faire revenir les touristes, en dix ans, l'écosystème a récupéré, notamment grâce à tout ce qui est microscopique – le pétrole, c'est de la matière organique, donc des bactéries vont le manger. Je ne suis pas en train de vous dire qu'il faut encourager le déversement du pétrole dans la mer. Je souhaite souligner que la résilience des systèmes peut, dans certaines circonstances, être très importante. Pour les pollutions par des métaux lourds, la résilience est faible car ce ne sont pas des matières organiques.

Toutefois, nous sommes en train d'altérer assez considérablement la capacité d'adaptation de la nature par des changements d'usage : le goudronnage, la transformation de l'agriculture, la déforestation, la pollution, le transfert d'espèces – une fois transférées, certaines espèces peuvent devenir invasives et affecter l'équilibre des écosystèmes, voire créer un nouvel équilibre qui ne nous rende pas les mêmes services – ; la surexploitation des ressources, en mer par exemple – on a fait disparaître la morue des grands bancs de Terre-Neuve, et trente plus tard elle n'est toujours pas revenue, en dépit d'un moratoire.

À terme – je vous parle du point de vue du paléontologue –, nous risquons de basculer dans un système radicalement différent, dans lequel l'espèce humaine n'aurait pas nécessairement sa place. J'arrête de vous effrayer, ce n'est pas pour tout de suite, peut-être dans trois, cinq ou dix mille ans, je ne sais pas ; ce n'est pas instantané.

Si l'on compare avec les crises du passé, on peut dire que nous sommes sur la trajectoire d'une des crises majeures. En découpant les 500 derniers millions d'années – le moment où la vie sur Terre a été la plus importante – en cinq cents tranches d'un million d'années, le taux d'extinction entre deux tranches est de 20 %. Pour les cinq grandes crises qui ont jalonné ces 500 derniers millions d'années, ce taux s'établit à 80 %. Aujourd'hui, ce taux atteint, pour les mammifères, 8 000 %. Mais, je vous trompe un peu en comparant une vitesse moyenne sur un million d'années à une vitesse instantanée sur cent cinquante ou deux cents ans. Rien ne dit que ce rythme sera conservé. Toutefois, même si je me trompe d'un facteur dix ou cent, je retombe sur les chiffres qui correspondent aux grandes crises du passé. Cela doit nous faire réfléchir. Nous sommes en train de foncer sur un obstacle, nous sommes au tout début du parcours – il n'y a pas le feu –, mais nous y allons très vite. Nous avons été dotés d'un cerveau qui nous permet de nous voir agir et de réfléchir. Cela nous donne une responsabilité morale face à ce qui est en train de se passer. L'homme fait partie du jeu. Si les progrès technologiques que notre cerveau conçoit mènent à la disparition de la moitié de la biosphère, y compris de notre espèce, cela fait aussi partie du jeu. Mes propos sont très cyniques et politiquement incorrects.

Je ne donne jamais de leçons au public auquel je m'adresse lors des conférences sur le comportement qu'il conviendrait d'adopter. Cela relève selon moi de la responsabilité personnelle de chacun. C'est aussi ce genre de message que le Muséum essaie de transmettre.

Concernant le public, je souhaite – cela doit se réaliser pendant l'année 2017 – qu'il trouve au Muséum des réponses aux questions qui sont posées tous les jours dans les médias, au travers de modules relativement simples. Ces modules, sous la forme d'une vitrine et de quelques éléments interactifs, sont co-construits avec les muséums de province – je tenais à ce qu'ils soient impliqués. Je suis assisté dans cette tâche par un chargé de mission qui est directeur d'un muséum de province. Je ne voulais pas d'une opération parisienne – je connais ce travers de l'institution, je rappelle parfois à mes collègues qu'on trouve aussi des cerveaux de l'autre côté du périphérique. Plusieurs questions seront posées : la sixième extinction, mythe ou réalité ? Les OGM sont-ils dangereux ? Que signifie le retour des grands prédateurs en France ? Les pollinisateurs, où en est-on ? Que sont les services écosystémiques ? Qu'est-ce que l'ingénierie écologique ?

Le Muséum n'est pas un lieu de polémique. L'objectif est de présenter l'état de la réflexion scientifique sur un sujet donné. Quelques modules seront installés à Paris dans la grande galerie de l'évolution, d'autres en province, et ils permuteront. Il s'agit d'enrichir une bibliothèque sur les grandes questions et de la faire voyager à travers la France. Ce projet doit être collectif et national.

Quant à notre politique en direction des enfants, je rappelle que les sites du Muséum sont gratuits jusqu'à vingt-six ans, ce qui ne va pas sans nous poser des problèmes budgétaires. Par ailleurs, nous avons terriblement souffert de la chute de fréquentation consécutive aux attaques terroristes : les sorties scolaires ont été suspendues et n'ont pas vraiment repris, ce qui ne sera pas non plus sans conséquences budgétaires.

J'ai mis en place une commission, présidée par Philippe Taquet, ancien directeur du Muséum et ancien président de l'académie des sciences, qui réunit une douzaine de personnes qui n'appartiennent pas toutes au Muséum – philosophe, économiste, représentant des organisations non gouvernementales, scientifique – en leur demandant de réfléchir à la question suivante : à quoi sert l'histoire naturelle en Europe au XXIe siècle ? Dans le passé, l'histoire naturelle a souvent joué un rôle structurant pour les sociétés – la Naturphilosophie en Allemagne au début du XIXe siècle, le siècle des Lumières en France, Darwin en Angleterre – en les aidant à se penser elles-mêmes par rapport à l'environnement.

Alors que nous sommes au bord d'une rupture environnementale majeure, je pense que le temps est venu de se poser cette question. Je m'adresse à vous, élus, pour m'aider ensuite à relayer ces messages. Il ne s'agit pas là non plus de donner des leçons mais simplement d'essayer de comprendre comment l'histoire naturelle peut aider à penser les grandes échelles de temps et d'espace, qui souvent échappent aux individus que nous sommes, pris par le quotidien. Cette commission est chargée de rédiger un texte, une sorte de manifeste, d'une dizaine de pages, qui pourrait être ensuite diffusé dans sa version intégrale ou dans une version résumée avant les prochaines échéances électorales. Ce texte servira aussi à construire le projet du Muséum.

Enfin, au sujet des ressources de l'établissement, je pourrais me contenter de vous dire qu'elles sont insuffisantes… Mais je dois vous avertir du problème budgétaire auquel le Muséum doit faire face – vous en avez sans doute entendu parler dans les médias : le modèle économique du parc zoologique de Paris repose sur un partenariat public-privé qui requiert le remboursement de 12 à 14 millions d'euros par an. Or, ce modèle est fondé sur des hypothèses de fréquentation irréalistes. J'ai commandé une étude comparative avec soixante zoos européens. Il est surréaliste d'avoir envisagé une telle fréquentation compte tenu de la surface, du nombre d'espèces et du nombre d'animaux que nous accueillons, mais surtout de l'importance des surfaces couvertes. En effet, cela peut vous paraître bizarre, mais les surfaces couvertes permettent de rendre le zoo indépendant de la météo : les visiteurs viennent même s'il pleut. Pour illustrer mon propos, lors du dernier week-end de l'Ascension, nous avons enregistré un pic de fréquentation avec 16 000 visiteurs en une journée ; lorsqu'il pleut, nous accueillons 500 personnes. Il a beaucoup plu durant les mois de mai et juin ; l'année 2016 s'annonce donc très mauvaise. Nous sommes confrontés à un problème structurel – la redevance au titre du partenariat public-privé – et à un problème conjoncturel lié à la météo, auxquels s'ajoute la baisse de fréquentation consécutive aux attentats. Le Muséum a absorbé les difficultés financières en effectuant un prélèvement sur son fonds de roulement l'année dernière et cette année, ce qu'il ne pourra pas faire l'année prochaine.

Mon objectif est évidemment d'accroître les ressources de l'établissement dans tous les domaines, notamment en augmentant la fréquentation. Nous menons une restructuration des grandes expositions temporaires : le calendrier est stabilisé ; nous essayons pour la saison d'été d'attirer des expositions qui soient économiquement rentables. En 2017, nous accueillerons une exposition sur les grandes expéditions de National Geographic ; en 2018 – j'ai signé le contrat la semaine dernière –, je fais venir en France pour la première fois un tyrannosaure rex original.

Nous avons créé – ce n'était pas évident car ce n'était pas la culture – un pôle dédié au développement commercial qui s'occupe notamment du mécénat, de la location d'espaces, de la marque « Muséum » ainsi que des sous-marques « Jardin des Plantes » et « parc zoologique ». Tout cela sera en place à partir du 1er janvier. Les nouveaux directeurs généraux ont été recrutés et prendront leurs fonctions à cette même date.

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